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Articles

Affichage des articles du 2025

Structuralisme

J’ai compris que mon séjour se passerait dans la banlieue. Une voiture m’attendait à la gare. Piotr est assis à l’avant, il donne des ordres au conducteur. Nous parlons lui et moi en nous regardant dans le rétroviseur. Nous traversons des quartiers anciens, places monumentales que je reconnais pour les avoir vues en photos. Il neige, il se mit à neiger. Les ailes blanches des oiseaux battaient dans le ciel des boulevards. Des nuages noirs emplissent le ciel où flottent des ballons qu’on voit pilotés par des êtres appartenant à plusieurs espèces animales mais de formats plus importants, effrayants ou grotesques. Échanges de tirs au laser. Plutôt rituels. La nuit vient trop vite. La banlieue, au contraire, apparaît dans un pâle soleil d’hiver. Ma chambre au premier étage ouvre sur une esplanade où est installé un cirque. Je découvre, sous ma fenêtre, son chapiteau et ses caravanes peintes de couleurs vives. Je respire l’odeur des fauves, je les entends se plaindre dans la nuit, raconter ...

Conte de Noël

Avec l'arrivée de l'hiver, Pierre a froid dans son abribus quand il fait nuit, ce qui n'empêche pas qu'il reste plus longtemps. Des hommes l’observent d'un peu loin, depuis le seuil de l'Auberge des Vieilles Écuries où ils sortent pour fumer une cigarette et pour le voir, dont un qui dit, Il est toujours là, il ne faudrait pas qu'il s'endorme sur le banc, tandis qu’une maison confortable l'attend à pas plus d’un kilomètre. Le col relevé de sa veste, un bonnet sur la tête, pas assez couvert, transi avec toujours une nouvelle partition sur les genoux qu’il a reçue par la poste, qu'il scrute et qu’il annote au crayon rouge et, posée à côté de lui, une boîte de bière, c'était la dernière, qui est vide maintenant. Dans le halo de lumière de l'abribus, ce qu'il peut voir de cette partition, on se demande, avec ce qu'il a bu de bière, et ensuite comment il finit par se lever, rassembler son barda pour s’en retourner à pied comme il étai...

La Belle Hélène

Mon grand-père travaillait à la poste, un emploi très modeste dont le salaire lui permettait à peine de nourrir sa famille, mais il était aussi pompier-volontaire, ce qui lui valait un accès gratuit au théâtre de l'opéra où, debout dans les coulisses, il était censé prévenir les départs d'incendies. Venant d’Italie, il s'était établi à Douai, où il s’était marié et avait eu des enfants. Mon père n’avait que douze ou treize ans quand mon grand-père est mort, mais il se souvenait de l’avoir accompagné dans les coulisses du théâtre de l'opéra au moins une fois, pour une représentation de La Belle Hélène . Mon grand-père, venant de Naples, se dirigeait vers le nord, probablement vers la Belgique, peut-être la Hollande, et je me suis toujours imaginé qu’il s’était arrêté à Douai parce que cette ville était dotée d’un théâtre d'opéra à l’italienne. De fait, il était entré à la poste et j’ai cru comprendre qu’il était chargé d’installer les téléphones chez les particuliers...

Andromaque

Ils répétaient Andromaque . Ils étaient une petite troupe de comédiens amateurs, ils se déplaçaient dans un parc, à la tombée de la nuit, à l’abord d’une ville nouvelle, ou le long de la route, ou dans les rues désertes, et de loin je les voyais qui parlaient sans entendre ce qu’ils pouvaient se dire, mais que c'étaient de longues phrases qui s’enchaînaient et qui se répondaient l’une l’autre. Je voyais qu’ils parlaient haut et fort mais sans violence, du même souffle qui les portait, qui les poussait de l’avant, au même rythme, du même bon pas de cavaliers français, ou juste un instant soudain pour se retourner, se regarder l’un l’autre sans que le discours s'arrête, plutôt pour ajouter une répartie cinglante comme un fouet de l’air, une question jetée à la face de l’autre, l’aveu d’une passion qui les terrassait, une circonstance, un reproche, une raison qu’ils devaient exprimer avant de reprendre leur déambulation assidue dans la nuit, le long de la route où je les voyais à ...

OVNI

Elle m’a fait entrer dans la classe, elle m’a dit, Quand j'étais enfant, nous étions là une trentaine d’élèves, à présent ils sont moins de dix, pas plus de huit cette année. Chaque année, l’inspection académique nous annonce qu’elle supprime le poste, alors nous descendons en délégation devant le rectorat, nous y faisons du bruit, les journalistes de Nice-Matin viennent nous interroger, nous pique-niquons sur place et nous finissons par obtenir gain de cause pour l'année qui commence. Mais cette fois, je crains fort qu’il n’en aille pas ainsi. Un autobus viendra chercher les enfants le matin pour les transporter à Guillaumes et il les ramènera le soir. Notre petite école sera fermée. Il y avait dans cette salle tout le matériel qu’il fallait pour faire une belle école: les tables des élèves, le bureau du maître perché sur son estrade en bois, le grand tableau noir en authentique ardoise avec ses craies de différentes couleurs, des cartes en relief de la France et du départeme...

Où es-tu?

— L’instituteur était chez nous depuis deux ans, m’a dit le maire, nous l’attendions au retour des vacances d'été. Nous ne nous sommes pas inquiétés d’abord, il avait parlé d’un assez long voyage qu’il voulait faire, mais à la rentrée de septembre il n'était pas de retour, et quand Ingrid vous a vu ici, elle a cru que vous étiez son remplaçant. Elle m’a appelé à l’atelier, elle m’a dit, J’ai ici un monsieur qui a loué une chambre, il est seul, je ne le connais pas, je me demande si ce n'est pas le nouvel instituteur. Je lui ai dit, C’est facile de le savoir, tu n’as qu’à lui poser la question, mais elle m’a répondu qu’elle n’osait pas, que ce n'était pas à elle de le faire, qu’elle était commerçante. J'étais arrivé en milieu d’après-midi. L’auberge était bien à sa place, au fond de l’épingle à cheveux que fait la route qui traverse le village, avec le même air abandonné qu’elle montrait huit ans auparavant, quand nous y avions dormi. Je ne me souvenais pas du numéro...

Mstislav Rostropovitch

Pierre se souvient que Mstislav Rostropovitch jouait dans les salles de concert les plus prestigieuses partout dans le monde, avec les plus grands orchestres, sous la direction de chefs renommés, devant les publics les plus connaisseurs et les plus exigeants, mais il se souvient aussi des tournées qu’il lui arrivait de faire dans des villages perdus de Sibérie où il s’acheminait en camion ou en naviguant en barques sur les rivières, avec un tout petit nombre d’autres musiciens et un unique récitant qui était chargé de présenter les œuvres; et il se dit que c'étaient là deux visages très différents du même métier d’artiste, deux faces opposées; et il se trouve que, s’il nourrit la plus grande admiration pour le Rostropovitch qui crée, le 4 octobre 1959, à Leningrad, le Concerto pour violoncelle et orchestre n⁰ 1 que son ami Dimitri Chostakovitch a écrit pour lui et qui présente d’incroyables difficultés techniques, il est fasciné peut-être davantage par les petits concerts que le mê...

Âme en peine

Maintenant je retrouve Jean chaque fois que je vais dormir chez eux. Il occupe un couloir. Au-dessus de son lit, des étagères où il aligne des livres de la Série noire. Il en achète un, il le lit jusque tard dans la nuit, je vois la lumière sous sa porte, puis il le range avec les autres. Je vais compter combien il y a de livres sur son étagère le lendemain matin quand il est déjà parti. Je ne me souviens pas qu’il se soit jamais adressé à moi, qu’il m’ait jamais vu mais je l’observe. Il dîne assis à côté de mon grand-père de ce que ma grand-mère a préparé (des cocas à la frita, tortillas et poulet farci, avec de la salade et une pointe de brie), ils partagent la même bouteille de vin, il ne parle qu’à lui, non pas des chantiers où il travaille mais des cafés qu’il fréquente le soir quand il ressort. Il est question de bagarres et peut-être de filles que les garçons comme lui rencontrent dans les bars, et mon grand-père fait un signe vers moi avec la pointe de sa fourchette pour lui ra...

Fanfan la Tulipe

Nous avons marché dans la nuit, d’abord sur la route, ensuite dans un champ, avec les lumières et les bruits de la fête devant nous. J'étais fatigué, j’avais sommeil, j'étais déjà à moitié endormi et je marchais quand même en tenant la main de maman. D’habitude, à cette heure, j'étais couché, tandis que ce soir-là, après dîner, nous étions partis tous les trois pour la fête dont les baraques avaient été installées assez loin, à la sortie du village. Et de la fête, je n’ai aucun souvenir, encore moins de notre retour. Alors, je devais dormir. Il a bien fallu que Rémy me porte, mais peut-être que je dormais déjà dans les allées de la fête, malgré le bruit des manèges et des rires, couché n’importe où. Enfant, lorsque j’avais sommeil, je pouvais m’endormir n’importe où, le bruit ne me dérangeait pas. Quand nous étions invités chez des gens, maman et moi, il suffisait de me trouver un lit sur lequel étaient entassés les vêtements des invités, elle me couchait là et je dormais, ...

Evasion de la sieste

L’armoire était ouverte et reflétait le large. Il ne pourrait s’agir que d’un contrat très bref. L’autre hésite, tapotant d’une main la poche de sa veste. Il dit: “Votre passion s’enlise sous les coques éventrées, naufragées des miroirs, longs cils des palourdes comme des yeux qui veillent".

Titus

  L’agression  Quand j’ai annoncé que mon oncle Titus avait été victime d’une agression, chez lui, à Lisbonne, tout le monde s’est bien douté que le personnage en question était lié au Cercle, sans quoi je n’aurais pas évoqué son cas devant cette assemblée. Mais à part Fernando Auguri et sans doute aussi Anna Maria, personne ne pouvait savoir comme je savais que le Cercle de Lisbonne était dissous depuis longtemps.  Je m'étais adressé à Auguri, notre Secrétaire, et à lui seul, comme c’était la règle, et celui-ci m’avait répondu: “J’en suis désolé pour votre famille. Votre oncle a survécu? — Oui, par chance! Mais on me dit qu’il n’en sort pas indemne. Que son esprit est troublé par le choc qu’il a reçu. — J’imagine que vous souhaitez vous rendre auprès de lui? Que vous envisagez de faire le voyage? — En effet, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Si ma présence ici n’est pas indispensable dans les prochaines semaines… — Bien sûr que non! Les affaires sont plutôt calmes en...