Je propose de considérer les œuvres d'art comme des actes de langage, ce qui revient à les envisager sur le versant de l'énonciation en même temps et tout autant que sur celui de l'énoncé.
Cette approche devrait permettre de mieux comprendre ce qu'est une œuvre d'art, en quoi consiste sa valeur, et de répondre à la question de savoir dans quelle mesure une production de l'IA peut être regardée comme une œuvre d'art.
D'abord, un rappel historique qui devrait nous mettre sur la voie. En 1996-1997, le champion du monde d'échecs Garry Kasparov est opposé au supercalculateur Deep Blue d'IBM. Il remporte le premier match (1996) et perd le second (1997). Après quoi, l'intérêt pour des duels homme-machine au plus haut niveau diminue, car les programmes informatiques d'échecs continuent à progresser, dépassant de manière constante la force des meilleurs joueurs humains.
Le fait est connu. Le point important consiste, de mon point de vue, dans ce qui se passe après les deux matchs historiques. La machine a battu le plus fort des humains, mais elle l'a fait sans que cela dissuade les humains de continuer à s'affronter (se mesurer) entre eux, dans des tournois de différents niveaux. Les humains ne jouent pas moins aux échecs aujourd'hui, ni à un plus faible niveau, qu'ils le faisaient hier.
La question qui se pose alors est celle de savoir pourquoi ils le font. Pourquoi ils continuent de jouer entre eux. La réponse me paraît évidente. Ils souhaitent se mesurer entre eux pour la simple raison que l'adversaire humain leur donne la mesure de l'exploit qu'ils peuvent (ou qu'ils devraient pouvoir) eux-mêmes réaliser. Le train va plus vite que moi quand je cours, mais la question que je me pose n'est pas celle de savoir à quelle vitesse va le train, c'est celle de savoir quelle vitesse, pour ma part, en tant qu'humain, je peux (ou pourrais) atteindre à la course.
Une "œuvre d'art" qui n'a pas d'auteur n'est pas une œuvre d'art. Quelles que soient ses qualités propres ou ses défauts, elle est comme le train qui file devant le coureur de marathon. Elle ne montre pas, elle ne dit pas ce qu'un autre nous-même a pu montrer ou a pu dire dans des conditions particulières, personnelles et historiques. Elle ne donne pas la mesure de ce que nous-mêmes pourrions montrer ou dire dans les conditions où nous nous trouvons. Ce qui n'empêche nullement que nous puissions l'utiliser pour faire une œuvre d'art.
La production de l'IA est un énoncé sans auteur. Il lui manque en cela d'être un acte de langage. Elle peut avoir des qualités, avoir son utilité, mais elle ne vaut pas comme œuvre d'art.
Or, si la valeur d'une œuvre d'art ne réside pas dans l'énoncé tout seul mais aussi dans l'acte d'énonciation, en quoi et comment celui-ci se marque-t-il à l'intérieur de l'œuvre, c'est-à-dire dans l'énoncé lui-même?
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