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La Belle Hélène

Mon grand-père travaillait à la poste, un emploi très modeste dont le salaire lui permettait à peine de nourrir sa famille, mais il était aussi pompier-volontaire, ce qui lui valait un accès gratuit au théâtre de l'opéra où, debout dans les coulisses, il était censé prévenir les départs d'incendies.

Venant d’Italie, il s'était établi à Douai, où il s’était marié et avait eu des enfants. Mon père n’avait que douze ou treize ans quand mon grand-père est mort, mais il se souvenait de l’avoir accompagné dans les coulisses du théâtre de l'opéra au moins une fois, pour une représentation de La Belle Hélène.

Mon grand-père, venant de Naples, se dirigeait vers le nord, probablement vers la Belgique, peut-être la Hollande, et je me suis toujours imaginé qu’il s’était arrêté à Douai parce que cette ville était dotée d’un théâtre d'opéra à l’italienne. De fait, il était entré à la poste et j’ai cru comprendre qu’il était chargé d’installer les téléphones chez les particuliers et peut-être d’effectuer parfois quelques menues réparations. Comment aurait-il pu imaginer les téléphones dont nous nous servons aujourd'hui, comme celui que j’ai dans ma poche et que je sors de ma poche, tout au long de ma promenade matinale, dans l’air clair et frais de novembre, pour noter ce souvenir?

Ce qui m'intéresse surtout, bien sûr, c’est la musique, ce goût pour la musique d'opéra qu’il avait apporté d’Italie, comme seul bagage sans doute, et qu’il avait trouvé à satisfaire en devenant pompier-volontaire, ce qui lui permettait de fréquenter les coulisses. Il est probable qu’à Douai, il n’avait pas la chance d’entendre tous les jours Tosca ou Cavalleria rusticana mais La Belle Hélène avait de quoi le ravir, d’autant qu’il n’aimait pas seulement la musique, disait mon père, mais aussi les jolies actrices en tenues légères, et les parfums poivrés de sueurs, de poudres et de fards qui flottaient dans les coulisses. 


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