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Articles

Affichage des articles associés au libellé Mon cœur qui bat

Barbara

Elle était sortie de la brasserie. Je voyais la vitre de la brasserie qu’elle avait quittée, et le groupe derrière la vitre réuni autour d’une table. Des visages de gens attablés derrière la vitre, et elle debout à l’extérieur qui parlait au téléphone. Je montais le boulevard quand je l’ai vue, et deux ou trois visages du groupe derrière la vitre me regardaient, de loin, comme on regarde un étranger qui arrive, tandis que je montais et que mon regard était attiré par celle qui était sortie et qui téléphonait.  C'était le soir, il avait plu. Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là. Et l'intérieur de la brasserie était éclairé, si bien que ces visages que je voyais de loin étaient comme ceux d’acteurs de cinéma. Un groupe de figurants qui pouvaient être sa famille. Ils s'étaient réunis, ils avaient déjeuné là, ils s'étaient attardés parce que dehors aussi bien il pleuvait. Le ciel était couvert, il faisait froid. On vendait des sapins sur la place du marché, il y av...

Conte d'été

Leur maison était dans la montée qui conduit au monastère qui domine le village. Nous avions dîné dans le jardin qui se trouve derrière la maison, un jardin étroit où on étend du linge, et maintenant il faisait nuit. Ce devait être vers la fin du mois d’août. Je découvrais ces gens. Il devait bien y avoir deux ou trois arbres fruitiers dans ce jardin, je dirais des pruniers, et des cordes tendues entre leurs branches pour y faire sécher du linge. J'imaginais de grands draps qui battent dans le vent, sous des nuages qui filent à toute vitesse en changeant de formes et de couleurs. On était dans la montagne, pas très haut encore, mais pas loin du col qui bascule vers l’Italie. J'étais venu avec Louise qui était ma femme. Louise et Charlotte se connaissaient depuis l'enfance, on ne pouvait pas dire qu’elles étaient amies, mais elles avaient un passé commun de militantisme politique hérité de leurs pères, et des attaches dans ce village où Charlotte et Abel avaient cette maison...

Le maintien de l'ordre

Depuis que Pereira était médecin dans cet endroit de la ville, il pleuvait toujours. Ou, s’il ne pleuvait pas, le ciel était sombre, la pluie menaçait. Toujours l’hiver ou, si ce n'était l’hiver, l’automne ou le tout début du printemps. Son cabinet était au deuxième étage d’un immeuble bourgeois, sur un boulevard où le trafic était incessant. Son appartement ouvrait sur le même palier. Il lui suffisait de traverser le palier pour passer de l’un à l’autre. Et il se disait bien qu’il ne devait pas toujours pleuvoir. Que c'était impossible. Il cherchait à se rassurer, il se disait que c'était à cause des platanes dont les feuillages offusquaient ses fenêtres. Mais à l’automne, les platanes perdent leurs feuilles, il en avait conscience. Depuis combien d'années était-il médecin dans ce même endroit de la ville? Il ne s’en souvenait plus. Il avait dû être jeune, lui aussi. Il avait bien dû faire des études, voyager, connaître d’autres pays, traverser des jardins ensoleillés ...

L'étrangère (2)

Martin termine son séjour sans les revoir, après quoi il est difficile de savoir s’il invente la suite de l’histoire à partir du peu qu’il a vu à la terrasse du glacier, ou si les évènements se produisent en effet, dans le monde de l’histoire, voire peut-être dans le monde réel, ce qui ne fait d’ailleurs pas une grande différence. Il a ses occupations, il se passe différentes choses dans sa vie, il n’est pas du tout obsédé par ces femmes et l’enfant, de même faut-il s’ôter de l'esprit qu’il serait amoureux de la plus jeune des deux sœurs, la question n’est pas là. Il parle de quelque chose comme une boîte à chaussures à l'intérieur de laquelle on aurait déposé la chaleur de la nuit, la terrasse du glacier, les trois femmes et l’enfant, dont l’une est sa tante et lui abandonne sa main tandis qu’elles se parlent, et la ressemblance de cette jeune tante avec une riche dame peinte sur un tableau des primitifs flamands. Vous pouvez mettre ces différents éléments dans l’ordre que vou...

L'étrangère

C'étaient une mère et ses deux filles, accompagnées d’une gamine d’une dizaine d’années dont on devinait qu'elle était l’enfant de la fille aînée mais qui était en dialogue avec sa tante. Celle-ci devait avoir guère plus de vingt ans, et elle attirait le regard du jeune homme venu s'asseoir à une table voisine. Il faisait nuit, il était tard, depuis longtemps les enfants auraient dû être couchés, mais la chaleur était telle qu’on repoussait le moment d’aller s'étendre sur son lit, pour rêver de cascades sans trouver le sommeil. Martin avait dîné sur une plage, en compagnie d’un petit groupe d’amis qu’il retrouvait après plusieurs années. Il avait fait ses études supérieures à Paris, il les avait poursuivies par une série de stages à Berlin puis à Londres, ensuite à Singapour, et cet été-là, il était revenu à Nice pour loger dans un petit appartement qui avait été celui de sa grand-mère et qui était situé quelque part dans les quartiers nord, loin des touristes.  Il étai...

Fédora

C'était quand nous roulions, tous les quatre, l'été, sur les routes de montagne. Il arrivait que nous rencontrions de ces hameaux du bord des routes dont les pauvres façades épousent la courbe. Abandonnés, où souvent il ne reste qu’une boulangerie et peut-être un café. Écrasés de soleil. Et quelquefois il arrivait aussi qu’on voie, à peine plus loin, garée dans l’herbe d’un talus, une voiture de luxe, rutilante. Alors, je disais au trois autres du Fab Four: — Vous avez vu? Jef Costello est venu se cacher ici! Et comme ils en avaient l’habitude, ils savaient que je voulais parler, bien sûr, du Samouraï. Après un coup incroyablement audacieux, qu’il était seul à pouvoir réaliser, en plein cœur de Paris, Jef a à ses trousses les condés en même temps que toute une bande de malfrats commandés par un roi de la pègre. Alors, pour se faire oublier, pour soigner aussi une blessure, le temps qu’il faudra, il est venu se réfugier dans les montagnes du sud de la France. Une adresse que lui...

Le voyageur arrêté

D’abord, ses marches dans la campagne, que d’autres appelleraient des promenades ou des randonnées, il les appelle des voyages. Dès la première phrase, il dit: “Voyager à pied m’a toujours ravi” . Ensuite, ses excursions (comme on peut dire aussi) sont toujours un peu hasardeuses. Il ne suit pas un itinéraire prévu sur la carte, il va où les sentiers le poussent, à l’instinct, dans une région qui lui est pour autant familière, pas très loin de chez lui, quelque part en Provence, mais où il lui reste néanmoins des lieux à découvrir. Chaque fois qu’il part marcher ainsi, il s’attend à découvrir un endroit nouveau où il pourra se reposer, se restaurer et peut-être, pourquoi pas, passer une nuit ou deux. On comprend d'entrée de jeu qu’il s’agit de promenades solitaires. Et l’autre point essentiel est contenu dans le projet de découvrir, au bout du voyage pédestre, un endroit qu’il ne connaît pas et où il pourra rester. La solitude et l’idée de hasard complètent le désir de s’installer,...

Damien Norfolk

1. Bruno est le patron d’un petit garage automobile sur l’avenue Cyrille Besset. Je passe devant plusieurs fois par jour. Malgré son nom, l’avenue Cyrille Besset n’est, sur ce tronçon, qu’une petite rue qui s’élève en oblique dans le quartier nord, par laquelle je passe quand je reviens du centre-ville. La rue en pente et mal éclairée d’un faubourg. Bruno est le chef d’une équipe de cinq ou six solides bonhommes. Je ne lui ai jamais amené ma voiture qui ne sort presque jamais du parking de mon immeuble, mais je suis toujours très content de passer devant son garage. Le plus souvent, les ouvriers travaillent à l’intérieur, tandis que Bruno se tient sur le trottoir avec ses écouteurs aux oreilles, occupé à parler au téléphone avec des clients et des fournisseurs. Après ce premier contact, les clients lui amènent leur voiture pour que Bruno évalue les réparations qu'il faudra faire, et le temps qu'il lui faudra pour les faire, le prix qu'il leur en coûtera, tandis la voiture r...

Les amants

Nous devions imaginer chaque fois une nouvelle destination pour nos promenades en voiture, ce qui n’empêchait pas que certaines se répètent. Celle de Saint-Tropez marquait le début de la saison d’automne. Nous aimions retrouver le port quand les touristes étaient partis, les terrasses de cafés désertes et les plages vides derrière leurs forêts de roseaux. Nous avions passé l'été sans nous voir. Début juillet, Dominique allait chercher la fraîcheur dans une maison qu’elle possédait en Savoie, où ses enfants et ses petits-enfants venaient la rejoindre et où Gérard avait gardé sa chambre. Je ne l’appelais pas avant son retour à Nice, courant septembre. C'était elle qui donnait le signal. Et alors, de nouveau, nous prenions rendez-vous pour nous offrir une escapade d’un jour ou deux, qui pouvait nous conduire jusqu'à Arles ou en Italie. Elle m’avait fait quelques visites à Nice, dans les années qui avaient précédé son départ de Paris. Le plus souvent, c'était moi alors qui ...

Un médecin de campagne

On disait qu’il ressortait, la nuit, pour parcourir les routes. La voiture était la sienne. Il la sortait de son garage, des voisins entendaient le bruit de son moteur dans la rue étroite. Puis, il filait sur les routes, à grande vitesse, toujours seul. On n’en a jamais su davantage, ce qui n’a pas empêché de beaucoup parler. Et le matin, à l’heure où débutaient ses consultations, il était de nouveau là, en blouse blanche. Il vous recevait avec toujours une cigarette au coin des lèvres, les yeux noirs, et personne ne s’est jamais plaint qu’il ne lui eût pas accordé l’attention qu’il fallait, ni qu’il se soit trompé dans les remèdes qu'il prescrivait, le pharmacien en est témoin. Il écoutait, il parlait peu. Il était sans doute celui qui en savait le plus sur nous, les gens du village, personne pourtant ne s'est jamais plaint qu’il ait trahi aucun secret, la nature de sa maladie ou celle de sa femme, ou celle de ses bêtes. Il fréquentait le Café de la Poste aussi bien que les au...

Sur le balcon

Parfois, les soirs d'été, quand la chaleur vous avait accablé depuis des semaines, que vous n’aviez pas osé sortir de chez vous avant cinq heures de l'après-midi, il arrivait que le ciel se couvre, que les arbres frémissent. Et on devinait que, pas très loin de là, dans les montagnes de l'arrière-pays, l’orage se préparait. On devinait qu’il éclaterait au milieu de la nuit et qu’alors il remplirait le ciel, qu’il n’y aurait plus que lui comme un dieu ou comme un pitre pour faire le spectacle. Ici, il ne se passerait rien, mais quand il en avait l’intuition, il fallait que J. s'arrête de marcher dans le boulevard qui monte, il fallait qu’il se glisse dans l’encoignure d’une porte, qu’il s’y mette à l’abri, comme s’il avait pu craindre qu’une abondante averse soudain ne s’abatte sur lui, et il attendait debout, aux aguets, tous les sens en éveil. Il dressait l’oreille à l’affût des bruits lointains des premiers tonnerres, de leurs roulements sourds. Il se souvenait qu’il ...

Kyïv

J’ai transformé l’appartement en nursery. Je garde trois bébés, les trois derniers. J’attends d’un jour à l’autre que Bohdan me donne le signal du départ. Bohdan est le frère d’Andriy qui est parti au combat, j’ignore dans quelle zone, Bohdan le sait sans doute mais il ne veut pas me le dire, à moins qu’Andriy soit déjà mort, je ne veux pas le croire, il m’arrive de le voir en rêve, je reçois encore des lettres de lui, la dernière date d’une dizaine de jours, mais Bohdan pourrait l’avoir écrite, ils ont la même écriture, ils se ressemblent tellement. J’ai la chance d’avoir un balcon assez grand, Bohdan a fixé un grillage sur la barrière de protection, si bien que les bébés peuvent y jouer, je laisse ouverte la porte-fenêtre et ainsi les deux plus grands peuvent entrer et sortir à quatre pattes, tandis que je garde aux bras la petite Anastasiya qui pleure beaucoup, et moi aussi je profite de cette ouverture sur la ville, sur les toits et les clochers de la ville qui chante et qui bavard...

Ghislain Reger

Ghislain Reger me donnait rendez-vous, le soir, au bar de l’hôtel Westminster, sur la Promenade des Anglais. Souvent, j’avais passé l’après-midi dans la partie sud de la ville, à travailler à la bibliothèque Dubouchage ou dans des cafés où j’avais mes habitudes, et ensuite, quand nous avions quitté le Westminster, et après que nous nous soyons attardés un long moment encore sur la Promenade des Anglais, à marcher dans la nuit, en devisant côte à côte, il fallait que je retourne chez moi, tout à fait à l’opposé de la ville. Je tournais le dos à la mer pour gravir les avenues qui s'éloignent en direction des quartiers nord, ce qui revenait à traverser la ville de part en part. Je m’en allais en tramway par l’avenue Jean Médecin, puis par l’avenue Malaussena, puis par l’avenue Borriglione, enfin je m’engageais à pied dans l’avenue Cyrille Besset qui tourne et qui s'élève dans la nuit, comme si elle devait rejoindre un lieu magique où se tiendrait un bal, avec une estrade en bois s...

De quoi le Samouraï est-il le nom?

Le ciel sur la tête (3) Le Samouraï de ma fiction (de mon fantasme) est celui du film de Jean-Pierre Melville, qui est cité plusieurs fois déjà dans le projet Nice-Nord . C’est une figure importante de ma mythologie personnelle. Il apparaît en particulier dans La Chèvre et le Samouraï (dans Évite ) où il est question de la guerre d’Algérie et qui évoque le début de ma relation avec celle qui devait devenir ma femme, et que j’ai aujourd'hui perdue. Le film sort en 1967. Aujourd'hui, avec le recul, mes yeux s'ouvrent et je découvre soudain l’évidence qui aurait dû me frapper depuis le premier jour, à savoir que Jeff Costello a combattu en Algérie avant de devenir tueur professionnel à Paris. Je ne sais pas si cette hypothèse interprétative a déjà été proposée par la critique mais elle me semble tenir la route, et même être la seule en mesure de fournir une profondeur historique au personnage qui autrement semble tomber du ciel. Je la soumets à Gemini. Le robot me répond en a...