Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles associés au libellé Fictions

8. Mission impossible

Elle se rend au garage, un soir, au moment de la fermeture. Daniel y est seul, devant un vélo renversé, les roues en l’air, dont il est occupé à régler le dérailleur. Elle dit: — Bonjour Daniel, je peux te parler? — Oui, bien sûr, dit-il, mais sans tourner la tête. Alors, elle lui dit tout ce qu’elle est chargée de lui dire en quelques phrases. Les villas visitées par de jeunes fêtards. Le début de l’enquête. L’article de Nice-Matin . Les enregistrements produits par les caméras de vidéosurveillance. Les porteurs de masques. Les placards ouverts, les vêtements dispersés, les vols. L’alcool, probablement la drogue. Enfin, la rencontre entre le proviseur du lycée et le commissaire Langlois. Elle ajoute: — C’est le commissaire Langlois qui a prononcé ton nom. Il semble penser que tu pourrais nous aider. Roselyne Bujot est debout, un peu embarrassée de son corps, et, jusque-là, c’est à peine si elle a pu apercevoir le profil de Daniel, son front, la courbe de son nez, ses lèvres fermées. P...

7. Une brosse à cheveux

Ce n’est pas le proviseur qui est venu solliciter Daniel dans son garage à vélos, c’est la professeure de lettres, Roselyne Bujot, dont il avait été question au cours de l’entretien que le proviseur avait eu avec Langlois, à savoir la mère de la jeune fille que Daniel avait séduite trois ans auparavant, et qui était sortie détruite de cette histoire. Pourquoi cette femme? Parce que le proviseur lui avait demandé de le faire, sans doute pour se préserver lui-même. Il fallait qu'il l’ait informée de l'échange qu'il avait eu avec Langlois, ce qui suppose qu’il existait entre eux une confiance, voire une complicité qui peut surprendre au premier abord, et qu'on est tenté d’expliquer de différentes manières, et sans doute aussi parce que cette professeure trouvait là l’occasion de se réconcilier avec son ancien élève, dont on pouvait se demander s’il n’avait pas été traité de manière quelque peu expéditive et injuste, trois ans auparavant. Si on ne s'était pas débarrassé...

6. Mais fidèle, mais fier...

Le proviseur du Parc Impérial s’appelle Stéphane Theuriet. Il a demandé au commissaire Langlois de le rencontrer. De préférence en terrain neutre. Ils se retrouvent ainsi au restaurant du Club nautique, un jour de décembre où le ciel est si clair, le soleil si brûlant que, sur la terrasse, les hommes sont en chemises et les femmes en robes légères, coiffées de grands chapeaux. Ils ne perdent pas de temps en préambule. Theuriet remercie le commissaire d’avoir accepté son invitation. Ils consultent la carte, commandent l’un et l’autre des filets de soles avec une bouteille d’eau minérale, et aussitôt Theuriet explique: — J’ai reçu la visite de la mère de l’une de nos élèves en classe de Première. Une jeune fille qui ne s'était jamais fait remarquer jusque là. Sérieuse, plutôt timide. Cette mère m’explique qu’elle a fouillé dans le téléphone de sa fille, et qu’elle y a découvert deux petites vidéos que celle-ci avait postées sur TikTok, et d’autres aussi qu’elle avait reçues. Et, à le...

5. Les visiteurs de la nuit

L’histoire commence avec un article de Nice-Matin , une pleine page illustrée d'une photo. Son titre: Les visiteurs de la nuit . On y raconte que des propriétaires de villas situées sur les collines ont eu la surprise de constater que celles-ci avaient été visitées en leur absence. Non pas par des cambrioleurs, ce à quoi on s’attend toujours, mais par des jeunes gens qui sont venus y faire la fête et qui ont laissé la maison et surtout sa terrasse dans un désordre affligeant, comme si un essaim de criquets s’y était abattu. Comment ces propriétaires peuvent-ils savoir qu’il s’agit de jeunes gens, et même de très jeunes gens? La réponse est simple: parce que les caméras de vidéosurveillance le montrent. Ce qu’elles montrent aussi, c’est que ces individus ne sont pas les mêmes dans chaque occasion, pour autant que les services de police aient pu en juger d'après les enregistrements qu’ils ont visionnés dans chacune des maisons. Et on apprend aussi que certains d’entre eux, qui se...

4. L'envol

Après la mort de Viviane Hayward puis la fin de la crise sanitaire, la vie de Daniel a beaucoup changé. En l’espace de quelques mois, il est devenu marchand et réparateur de vélos. Ses parents se sont associés pour acheter un garage qui existait déjà, rue Vincent Fossat, à deux pas de la rue Parmentier où il continue d'habiter, et ils en ont fait le gérant, rôle qu’il assume avec beaucoup de sérieux. Il a renoncé au poker et il paraît bien décidé à faire en sorte que son garage devienne l'un des rendez-vous incontournables du cyclisme azuréen. Il a une stratégie pour cela: il va courir le dimanche matin avec ceux de ses clients qui ont déjà leurs habitudes sur les routes de l'arrière-pays. Il les suit comme il peut, encore que la plupart soient plus âgés que lui, et de chacune de ces randonnées il rapporte de courtes séquences vidéo qu’il réalise avec une caméra frontale, et qu'il projette ensuite sur un grand écran qu’il a fait installer dans le magasin, puis qu’on peu...

3. The Bling Ring

Le lendemain matin, je me suis réveillé tard, et tout de suite j’ai su que je ne retournerais pas au boulevard de la Libération. Ce que Daphné m’y avait dit, je m’en souviendrais un jour, et il serait bien temps alors que je le sache, ou bien je ne m’en souviendrais pas et ce serait sans importance. Je suis descendu me promener sur le Vieux Port et bientôt j’ai eu l'idée d’aller déjeuner à la brasserie Le Grillon, sur le cours Mirabeau, à la suite de quoi je rentrerais à Nice pour me coucher et dormir. Le Grillon était un lieu que nous regardions de l’extérieur, quand nous étions jeunes, pendant les deux années où nous avons habité là-bas, rue de l’Aumône-Vieille, parce que nous étions trop pauvres alors pour nous y asseoir. Mais nous ne manquions pas d’y prendre nos repas chaque fois que, par la suite, nous retournions à Aix pour faire des emplettes et célébrer notre passé. Et, depuis cinq ans, j’avais évité d’y faire le pèlerinage que je me sentais capable de faire à présent. Un ...

2. Au Mama Shelter

Cette fois, j'étais venu en voiture. Mais c'était de nouveau l'automne et, quand je suis arrivé, il faisait déjà nuit. Plusieurs fois au cours des dernières années, j’avais consulté le plan de la ville pour ancrer mon souvenir dans le monde réel, et mon attention avait fini par se concentrer sur une zone qui s'étendait de la gare Saint-Charles au parc Longchamp. Et, à force, le boulevard de la Libération m’était apparu comme le résultat le plus probable de ma recherche. J’ai laissé ma voiture dans un parking souterrain et je m’y suis rendu à pied. Et aussitôt que j’y suis parvenu, je n’ai plus douté. En effet, il était en pente, parcouru par une ligne de tramway, et l’absence presque complète de vitrines éclairées aux rez-de-chaussée des immeubles lui donnait dans la nuit un air d’abandon. Mais de là à retrouver l'entrée de l’immeuble où Daphné avait habité et où j'étais venu la rencontrer, c'était une autre affaire. On parlait beaucoup, à cette époque, des ...

1. Daphné

J'étais allé à Marseille pour retrouver un immeuble dont j’avais perdu l’adresse. Bien des années auparavant, j’y avais fait une visite à une femme qui avait été une amie de ma mère et qui avait demandé à me voir. J'étais arrivé à Marseille par le train, un après-midi d’automne, j’avais passé la soirée chez elle et j’y avais dormi. Depuis toujours je connaissais son existence mais je l'avais rencontrée peu souvent et jamais bien longtemps. Il y avait les photos que ma mère me laissait voir. De furtives apparitions dans le couloir de notre appartement de l’avenue Jugnot. Un rire, un parfum qu'elle laissait derrière elle. Son invitation tardive m'avait surpris. J’y avais répondu en pensant qu’elle me parlerait de ma mère. Les deux femmes avaient été liées par une longue amitié, elles avaient voyagé ensemble, elles étaient allées au cinéma, au concert, elles avaient échangé des livres, elles avaient beaucoup parlé, et j’avais imaginé que Daphné (c'était son nom) me...

17 - Final(e)

Ils savaient que Flora ne refuserait pas de rendre le fusil et les photos, qu’il serait facile de la convaincre. Mais concernant les photos, avait-elle conscience de les avoir volées? Et quelle serait sa réaction quand elle l’aurait compris? La question était épineuse. Elle a donné lieu à une réflexion à laquelle j’ai eu la chance de participer, un matin de septembre où nous nous sommes retrouvés tous les trois au Café du Cycliste, sur le quai des Docks. Dans le scénario que nous avons élaboré, il restait une part d’incertitude. Nous savions qu’à un moment ou un autre, il faudrait improviser. Néanmoins, les lignes générales étaient très claires. Daniel est entré dans la maison et, sous la menace de l’arme que la pauvre femme braquait sur lui, il lui a dit: — Flora, il faut que tu rendes les photos. Elles ne sont pas à toi, elles sont à Viviane et Viviane veut qu’elles reviennent à Cynthia, sa nièce! Tu comprends? Tu veux bien? Flora a aussitôt baissé son arme, et elle a dit: — Viviane ...

16 - Une sorcière chamanique

Quand Langlois lui parle du bref échange qu’il a eu avec Richard Janvrin, Daniel n’entend qu’une chose: Flora devra vendre sa maison. Et pas à n’importe qui — au couple Brandone, des gens riches et vulgaires, qui la harcèlent depuis le premier jour dans le but d’agrandir leur jardin. C’est à peine s’il peut dire qu’il connaît l’infirmière. Combien de fois l’a-t-il rencontrée? Et qu’a-t-elle pu lui laisser deviner des troubles dont elle souffre? De plus, il a toute raison de penser qu’elle vole les photos de Viviane, des photos qui doivent revenir à Cynthia, laquelle s’est engagée un jour à en dresser le catalogue, et à en faire des livres et des expositions. Mais c’est comme s’il avait compris quelque chose de plus profond, rien qu’à la voir. Il ne saurait mettre des mots sur ce qu’il devine, mais Flora a acquis à ses yeux le statut trouble et prestigieux d’une sorcière chamanique. Et l’idée qu’on puisse la chasser de sa maison lui est insupportable. Il dit au commissaire: “Mais enfin,...

15 - Langlois fait la sieste

Quand Langlois découvre le nom de Flora Zambetti dans le livre des mains courantes enregistrées par son service, Daniel lui a déjà parlé d’elle. La plainte a été déposée par Bernard et Marie-Claude Brandone, ses voisins, propriétaires de la Villa Rodrigue. Ceux-ci affirment que madame Zambetti les a menacés avec un fusil et même qu’elle a tiré deux coups de feu en l’air pour les faire reculer, un soir où ils étaient venus devant chez elle pour se plaindre des nuisances sonores causées par ses chiens. Langlois demande qu’on lui fournisse un plan du Domaine des Ollières, dont fait partie la Villa Rodrigue. Le lendemain matin, il s’accorde une promenade en voiture sur la colline de Gairaut. La masure héritée par Flora se trouve en contrebas de la Villa Rodrigue, à la limite du Domaine des Ollières, devant un mur de soutènement qui longe le Vieux Chemin de Gairaut. On y accède par un sentier escarpé que Flora emprunte avec sa Mobylette. Langlois, ce matin-là, arrête sa voiture devant le ha...

14 - Un paysage de ruines

Se peut-il que Flora ne soit plus la même quand elle se trouve seule, la nuit, dans l’appartement de la rue Verdi, qu’elle se laisse envoûter par les vêtements de Viviane et par ses photos, tout spécialement par celles qui montrent Judith? Ou faut-il imaginer que déjà elle a perdu l’esprit quand elle a hérité de la masure de Gairaut et qu’elle a commencé de l’habiter en compagnie de deux gros chiens et d’un fusil? À ces décors s’ajoute celui de la chambre d’hôpital où Viviane est enfermée. Les visites à l’hôpital ne sont pas autorisées en raison de la crise sanitaire et des risques de contamination, ce qui fait qu’aucun de nos protagonistes n’a pu voir cette chambre ni ne la verra jamais, mais chacun l’imagine, ne peut pas s’empêcher de l’imaginer, de l’avoir toujours en tête, la nuit comme le jour, et tout spécialement Flora. Si bien que nous avons affaire à trois lieux qui sont comme des planètes qui gravitent ensemble. Le film, ou le roman graphique, devra rendre compte de ce systèm...

13 - Fenêtre sur cour

Il a continué à marcher vers le nord, sur la rue de Rivoli. Il a traversé la rue de la Buffa puis le boulevard Victor Hugo, il est arrivé ainsi à l’angle de la rue Verdi, et il s’est arrêté. Il fallait qu’il s'arrête à cet endroit, qu’il marque une pause, en dépit de la pluie, et alors il a vu, d’où il se tenait, à l'angle des rues désertes, une fenêtre éclairée. C'était au 26 de la rue Verdi, Palais Mireille, troisième étage.  D’abord il s’est demandé s’il ne se trompait pas, mais non, c'était bien la fenêtre du salon. Puis il s’est demandé si Viviane pouvait être rentrée de l’hôpital. Elle y avait été admise dix jours auparavant et, d'après ce que Flora lui avait dit, la dernière fois qu’ils s'étaient parlé au téléphone, il était peu probable qu’elle revienne de sitôt. Se pouvait-il que les lumières du salon soient restées allumées depuis si longtemps? Un sombre pressentiment lui fait traverser le carrefour.  Il vérifie qu’il a bien la clé de l’immeuble et cel...

12 - Rue de Rivoli

La Promenade des Anglais n’était pas belle à voir, par les nuits de ce printemps-là. Ou peut-être l'était-elle mais d’une beauté dont, par prudence ou par pudeur, on préférait se détourner. Tant de noirceur du ciel et de la mer, opposée à la lumière blanche des chambres d’hôpitaux où les malades étaient branchés sur des respirateurs artificiels, dont des infirmières en blouses blanches venaient, d’heure en heure, vérifier le bon fonctionnement. La maladie de Viviane suffisait, à elle seule, à remplir d’effroi les palmiers alignés comme une armée de crocodiles qu’on aurait coiffés de plumes. Il pleuvait quand Daniel est sorti de l'hôtel et il ne s’est pas attardé devant ce spectacle. Il a tourné dans la rue de Rivoli et, le col relevé, les mains enfoncées dans les poches de son blouson, il est parti d’un bon pas en direction des quartiers nord. Il se souvenait de leur dernière rencontre, sur ce banc du boulevard Victor Hugo, quand ils étaient convenus qu’il la remplacerait auprè...

Le blanc et le noir

Et puis son état s’est aggravé, au point qu’il a fallu l’hospitaliser à plusieurs reprises. C’était une période critique: les hôpitaux, débordés par l’afflux des malades du COVID, ne savaient plus où trouver les lits ni les chambres nécessaires pour les accueillir. La priorité était de limiter les risques de contamination. Les autres patients devaient être gardés le moins longtemps possible, et ils étaient isolés tant bien que mal, souvent relégués dans des recoins improbables. On installait des lits dans des couloirs déserts, derrière des paravents, ou au fond d’annexes oubliées. Viviane se retrouvait alors dans l’un ou l’autre de ces endroits sinistres. Et chaque semaine, une personne désignée sur sa fiche d’admission devait venir lui apporter du linge propre en échange du sale. Mais il n'était pas question que cette personne pénètre dans l'hôpital. Le linge devait être livré sur le parvis, soigneusement emballé dans un sac en plastique. Tout juste pouvait-on ajouter à ce bal...

11 - Deux ou trois choses que je sais d'elles

Car lui, Daniel, combien de fois a-t-il rencontré Flora Zambetti, l’infirmière de Viviane, avant que les choses se compliquent? Durant les trois premiers mois de sa maladie, Viviane n’avait affaire à l’hôpital que pour ses séances de chimiothérapie. Une ambulance venait la chercher le matin et la ramenait quelques heures plus tard. La faiblesse l’avait envahie d'un seul coup. En l’espace d’une semaine, elle l’avait transformée en fantôme. Et, le reste du temps, par ses propres moyens, elle était incapable de sortir.  Flora Zambetti était la seule à lui apporter de l’aide. Elle lui faisait une visite le matin et une autre le soir. Et Viviane ne tarissait pas d'éloges à son égard. Elles étaient devenues amies. Flora faisait halte à la rue Verdi quand elle avait déjà vu tous ses autres clients, ce qui lui laissait davantage de temps, disait-elle, pour s’occuper de “sa malade préférée”. La plus jolie, la plus élégante dans ses manières, la plus célèbre, et celle qui lui parlait ave...

10 - Les photos du désastre

Je n’ai jamais rencontré Viviane Hayward. De ses photos, j’ai connu d’abord celles qui figuraient dans les magazines de mode que je feuilletais distraitement quand le hasard voulait qu’il m’en tombe un sous la main. On les reconnaissait au premier coup d'œil à cause du flou qui nimbait ses modèles et qui donnait le sentiment de les voir de très loin, à travers la poussière du temps. Comme des personnes qu’on a connues, puis qu’on a oubliées et qui, un jour, vous reviennent en rêve. Sur ces photos, les visages qui semblaient émerger de l’oubli retenaient l’attention plutôt que les vêtements. C'étaient de grands manteaux noirs aux cols relevés ou, à l’inverse, des robes d'écolières, claires et légères comme pour un été à la campagne. Et toujours il se dégageait de ces images une impression de luxe mais aussi de désastre. Il fallait que les jeunes femmes qu’elles montraient soient sportives, cultivées, libres, audacieuses, aimées par leurs familles et par leurs amants, en ...

9 - Patrick Modiano et Fip

Fip est “la radio la plus éclectique du monde”. C’est son slogan. En cela, c’est celle où l’auditeur est le mieux livré aux hasards de ce que Patrick Modiano appelle “l'éternel présent”. Les titres musicaux se succèdent en continu, jour et nuit, choisis dans tous les genres et de toutes les époques. Le concept est hérité de l'ancienne émission de Paris-Inter intitulée Travaillez en musique! Vous travaillez dans votre bureau ou dans votre atelier et Fip vous offre un fond sonore auquel, la plupart du temps, vous ne prêtez pas attention, vous avez trop à faire, jusqu'à ce que soudain une musique vous accroche l’oreille. Le plus souvent, c’est une musique que vous connaissez et qui vous transporte aussitôt à l’époque où vous l’avez entendue pour la première fois, ou dans un moment marquant de votre vie, que vous n'êtes pas prêt d’oublier, soit parce que vous étiez seul à vous morfondre dans votre chambre d’adolescent, avec des posters aux murs, soit au contraire parce que...

8 - Bientôt cinq ans

Le reste, ce qui se passait chez Viviane, au 26 de la rue Verdi, je l’ai appris par Daniel. Non pas qu’il m’en ait dit beaucoup, il n'était pas bavard, et à présent, quand il venait chez moi, nous jouions aux échecs. Sans lever les yeux de l’échiquier, en préparant ses coups, il lui arrivait de livrer deux ou trois informations concernant ce qu’il avait vu là-bas, qu’il laissait échapper par inadvertance, comme s’il s'était parlé à lui-même. Il disait: — J’y suis retourné hier soir. L’infirmière était là, elle s’appelle Flora Zambetti, elle paraissait surprise de voir que j’avais les clés. Viviane l’a rassurée. Elle lui a dit que j'étais le petit ami de sa nièce Cynthia. Oui, le petit ami de Cynthia, ce que Daniel avait toujours été, depuis qu’ils étaient sortis de l’enfance, Cynthia et lui, même si à présent elle se mariait avec un autre. Il disait encore: — Dans le salon, il y avait une odeur de tabac. J’ai demandé à l’infirmière si c'était elle qui avait fumé. Elle m...

7 - Une maison à Gairaut

Sur la colline de Gairaut, il reste une maison abandonnée. Il faut se dépêcher pour la voir, elle ne restera plus longtemps debout. C’est le commissaire Langlois qui m’a raconté l’histoire de Flora Zambetti et de la maison abandonnée. Il l’a fait quand l'histoire a trouvé son dénouement. Son récit m’a permis de recoller les morceaux. Flora Zambetti était infirmière. Elle était atteinte de troubles de la personnalité, ce qui ne la rendait pas toujours disponible pour exercer sa profession. Il y avait des périodes durant lesquelles elle n'était capable de rien, tout juste de ne pas avaler deux ou trois boîtes de médicaments, ou de se tailler les veines, ce qui lui était arrivé de faire quand elle était jeune. C'était une infirmière libérale, une agence d'aide à la personne lui trouvait des clients. Elle ne voyait pas d’inconvénient à habiter seule un logement social dans le quartier prétendument “défavorisé” de l’Ariane. Elle disait même qu’elle était ravie d’habiter là. ...