C'était quand nous roulions, tous les quatre, l'été, sur les routes de montagne. Il arrivait que nous rencontrions de ces hameaux du bord des routes dont les pauvres façades épousent la courbe. Abandonnés, où souvent il ne reste qu’une boulangerie et peut-être un café. Écrasés de soleil. Et quelquefois il arrivait aussi qu’on voie, à peine plus loin, garée dans l’herbe d’un talus, une voiture de luxe, rutilante. Alors, je disais au trois autres du Fab Four:
— Vous avez vu? Jef Costello est venu se cacher ici!
Et comme ils en avaient l’habitude, ils savaient que je voulais parler, bien sûr, du Samouraï.
Après un coup incroyablement audacieux, qu’il était seul à pouvoir réaliser, en plein cœur de Paris, Jef a à ses trousses les condés en même temps que toute une bande de malfrats commandés par un roi de la pègre. Alors, pour se faire oublier, pour soigner aussi une blessure, le temps qu’il faudra, il est venu se réfugier dans les montagnes du sud de la France. Une adresse que lui a indiquée un ancien contact qu’il a pu joindre par téléphone, dans une cabine qu’il est allé chercher au fond d’un bar où tintaient les flippers. La voix sourde au téléphone d’un ancien de la police, ou d’un ancien parachutiste, qui a été son instructeur dans les Aurès, et qui a commencé par lui dire, avant de lui donner l’adresse:
— Tu sais, Jef, ce sera la dernière fois. Je suis surveillé. Il faut que tu m’oublies.
Et Jef l’a remercié. Je crois même qu’il l’a appelé “Mon lieutenant”, et puis il a traversé toute la France en voiture, de nuit, en fumant des Gitanes, avec la plaie de côté qui saignait dans sa chemise blanche, et au matin il est arrivé ici. Et la personne qui l’a reçu, qui était prévenue, c'est une femme, la patronne du café.
Elle lui a montré sa chambre (sic), elle a soigné sa plaie, elle lui a donné des chemises blanches qui étaient rangées dans une armoire, toutes propres et bien repassées, qui sentaient la lavande. Et, depuis ce jour, Jef Costello habite dans cet endroit. Il s’est habitué. Je pense même qu’il cherche à se rendre utile en aidant au service. Vous imaginez Jef Costello, derrière le comptoir, occupé à remplir les ballons de rouge, ou se glissant entre les tables pour servir les hors-d’œuvre!
Le mythème ajoute que, bien sûr, très vite, il est devenu l’amant de la patronne qui s'appelle Louise, il ne pouvait pas faire moins. Et on peut imaginer qu’il reste assez longtemps auprès d’elle, qu’il lui est à peu près fidèle, encore que la jeune serveuse lui fasse les yeux doux, si longtemps qu’on veut croire qu’il en a fini avec sa vie d’avant. Qu’il a tourné la page. Qu’il est devenu un autre. Que la planque provençale est devenue sa maison. Jusqu’au jour où, hélas, il dira à Louise qu’il a une dernière affaire à régler, et où il partira pour Paris, de nuit, au volant de la même voiture, cette fois pour se faire abattre en pleine rue, d'un coup de feu tiré dans le dos, avec son chapeau Fédora qui roule sur le trottoir à l’instant où il tombe sur les genoux, dans son grand manteau noir, les mains gantées de blanc jointes sur la poitrine.
Encore était-il superflu que je raconte tout cela aux trois autres. Depuis le temps, ils savaient l’histoire aussi bien que moi, ils auraient pu en broder des détails. Je leur disais seulement:
— Il n’a pas pu se décider à fourguer sa voiture, ce qu’il aurait dû commencer par faire. Il la laisse là, bien visible sur le bord de la route, où n’importe qui peut la voir…
Ou peut-être même ne faisais-je que murmurer ces paroles par-devers moi. Nous avions attaqué le col en direction de Barcelonnette. Les plus jeunes avaient faim. En attendant qu’on arrive, ils voulaient écouter des chansons.
Jef et Louis apparaissent une première fois dans Évite, mais alors ils sont à Ajaccio.
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