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Articles

Ghislain Reger

Ghislain Reger me donnait rendez-vous, le soir, au bar de l’hôtel Westminster, sur la Promenade des Anglais. Souvent, j’avais passé l’après-midi dans la partie sud de la ville, à travailler à la bibliothèque Dubouchage ou dans des cafés où j’avais mes habitudes, et ensuite, quand nous avions quitté le Westminster, et après que nous nous soyons attardés un long moment encore sur la Promenade des Anglais, à marcher dans la nuit, en devisant côte à côte, il fallait que je retourne chez moi, tout à fait à l’opposé de la ville. Je tournais le dos à la mer pour gravir les avenues qui s'éloignent en direction des quartiers nord, ce qui revenait à traverser la ville de part en part. Je m’en allais en tramway par l’avenue Jean Médecin, puis par l’avenue Malaussena, puis par l’avenue Borriglione, enfin je m’engageais à pied dans l’avenue Cyrille Besset qui tourne et qui s'élève dans la nuit, comme si elle devait rejoindre un lieu magique où se tiendrait un bal, avec une estrade en bois s...

Pour une langue créole ?

Jean-Luc Mélenchon veut débaptiser le français pour l’intituler "langue créole". Je passerai sur les accents haineux que contient son article, qui sont dans sa manière, et qui suffisent à disqualifier sa proposition. Je note plutôt que des socio-linguistes universitaires (payés par l’université de leur pays, pas un autre) volent déjà à son secours. Rien d’étonnant à cela puisque ceux-ci lui préparent le terrain depuis plusieurs décennies, exerçant leur influence délétère sur la Commission des programmes et sur toute la hiérarchie de l'institution scolaire, dans le but qu’on renonce à enseigner la langue. Je voudrais répondre sur le fond. En déclarant d’abord que la linguistique n’a rien à voir dans cette affaire. Qu’elle n’a rien à répondre à l'idée baroque du tribun. Qu’il ne lui appartient pas de la réfuter, dans la mesure où il ne lui revient pas de dire ce qui est bien d’une langue (ici, le français) ou ce qui n’en est pas. Tout ce que peut dire la linguistique c’...

La dictée préparée

Pour qu’une tradition se perpétue, il ne suffit pas de lui être fidèle, il faut sans cesse la mettre à jour. La nettoyer, l'améliorer. On ne joue pas aujourd'hui la musique baroque comme on la jouait il y a cinquante ans. On le fait mieux. La dictée préparée est un exercice scolaire dont on parle depuis un bon demi-siècle, tandis que sa pratique, à ma connaissance au moins, est restée marginale. Aucun texte officiel ne l’interdit. Pour autant, les professeurs d’école semblent partagés en deux camps: les conservateurs, qui ne veulent rien lâcher sur l’exigence de la dictée traditionnelle, et les modernistes, qui préfèrent demander à leurs élèves de produire leurs propres textes. Aux modernistes, il est permis de rappeler que la dictée permet aux élèves d’apprendre la langue, non pas seulement dans leurs familles (qui toutes, faut-il le dire, n'usent pas d’une langue aussi riche) mais aussi dans des textes classiques, parmi lesquels les poèmes devraient occuper une place de c...

De quoi le Samouraï est-il le nom?

Le ciel sur la tête (3) Le Samouraï de ma fiction (de mon fantasme) est celui du film de Jean-Pierre Melville, qui est cité plusieurs fois déjà dans le projet Nice-Nord . C’est une figure importante de ma mythologie personnelle. Il apparaît en particulier dans La Chèvre et le Samouraï (dans Évite ) où il est question de la guerre d’Algérie et qui évoque le début de ma relation avec celle qui devait devenir ma femme, et que j’ai aujourd'hui perdue. Le film sort en 1967. Aujourd'hui, avec le recul, mes yeux s'ouvrent et je découvre soudain l’évidence qui aurait dû me frapper depuis le premier jour, à savoir que Jeff Costello a combattu en Algérie avant de devenir tueur professionnel à Paris. Je ne sais pas si cette hypothèse interprétative a déjà été proposée par la critique mais elle me semble tenir la route, et même être la seule en mesure de fournir une profondeur historique au personnage qui autrement semble tomber du ciel. Je la soumets à Gemini. Le robot me répond en a...

Comme un sacrilège

J’arrivais à Saint-Jean-d'Angély tôt le matin. C'était à l’automne 2019, le jour se levait et le ciel était pluvieux. J'étais invité à donner des cours de méthodologie d’enseignement du français à des professeurs venus de différents pays et regroupés là par une association qui organisait l’accueil et me payait à l’heure. La méthode que j’avais mise au point consistait à enseigner le français dans des poèmes classiques. On apprenait un poème dans sa forme orale et écrite, et ainsi on apprenait la langue. Mes interventions duraient des matinées entières et elles étaient aventureuses, à cause de la diversité du public que je découvrais en entrant dans la salle, et parce que ma proposition d’ outils numériques me rendait tributaire d’une connexion internet qui était souvent défaillante. Le diagnostic n'était pas encore posé. Le premier ne devait l'être que quelques semaines plus tard, le 24 décembre, mais je savais que A. était malade. Nous le savions sans en parler. E...

Gisèle (7 et fin)

Qu’est-ce que c'était que cette “vierge à l’enfant” qu’Hortense avait dans une poche de son manteau? C'était tout simplement une photo de Gisèle avec un bébé dans les bras, qu’Hortense avait découverte en fouillant dans un tiroir de la chambre de Mme Simonin, un matin que j’étais au rez-de-chaussée, dans la cuisine, en train de préparer le petit déjeuner et que je la croyais encore sous la douche. Un court billet y était joint, dans la même enveloppe qui était ouverte. Gisèle remerciait Mme Simonin pour l’aide qu’elle lui avait apportée, elle lui disait qu’elle habitait Marseille, qu’elle travaillait dans un salon de coiffure, qu’elle était mariée et que ce petit enfant lui était né, qui s’appelait Victor. En sortant de la chambre de Mme Simonin, Hortense était toute étourdie du coup qu’elle avait reçu sur la tempe. Françoise Astruc l’a croisée dans l’escalier, elle lui a demandé ce qui lui était arrivé. — Fais voir ton crâne, tête de mule! Viens dans mon bureau que je te mette...

Gisèle (6)

— Mme Simonin a un neveu, a dit Françoise Astruc à Hortense. Il est notaire à Épinal. C’est lui qui paie les frais de pension. Je ne l'ai jamais vu, je l’ai eu quelquefois au téléphone. Il prend des nouvelles sans demander à lui parler. La dernière fois, c'était il n’y a pas si longtemps. J’imagine qu’il va hériter de la maison. ll a fini par la louer. Il est probable qu’il ne reste plus rien des économies de Mme Simonin, et qu’il y est de sa poche. Alors, il m’appelle plus souvent. — Elle n’a pas d’autre famille? — Pas à ma connaissance. Cette maison doit avoir de la valeur. Elle est bien placée. — Oui, enfin, elle n’est plus en très bon état. Des plafonds hauts, des pièces immenses, difficiles à chauffer. Et des travaux à effectuer dans la toiture. — Il y a le parc. — Oui, répond Hortense, et cette fois elle paraît rêveuse, évasive. Elle est debout, elle joue avec un coupe-papier qui est sur le bureau de Françoise Astruc qui est la directrice de la pension. Elle regarde ses d...