Jean-Luc Mélenchon veut débaptiser le français pour l’intituler "langue créole". Je passerai sur les accents haineux que contient son article, qui sont dans sa manière, et qui suffisent à disqualifier sa proposition. Je note plutôt que des socio-linguistes universitaires (payés par l’université de leur pays, pas un autre) volent déjà à son secours. Rien d’étonnant à cela puisque ceux-ci lui préparent le terrain depuis plusieurs décennies, exerçant leur influence délétère sur la Commission des programmes et sur toute la hiérarchie de l'institution scolaire, dans le but qu’on renonce à enseigner la langue.
Je voudrais répondre sur le fond. En déclarant d’abord que la linguistique n’a rien à voir dans cette affaire. Qu’elle n’a rien à répondre à l'idée baroque du tribun. Qu’il ne lui appartient pas de la réfuter, dans la mesure où il ne lui revient pas de dire ce qui est bien d’une langue (ici, le français) ou ce qui n’en est pas. Tout ce que peut dire la linguistique c’est si un mot ou un tour de phrase est bien en usage ou s’il ne l’est pas — ce que fait le dictionnaire. Ensuite, du moment qu'un mot est en usage, elle s’interdit de juger de sa correction.
Oui, les langues évoluent. Oui, elles sont des organismes vivants, ou ce qu’en mathématiques on appelle des “sous-ensembles flous”, à savoir qu'elles respirent, que des mots et des tours de phrase s’y agrègent tous les jours, tandis que d'autres disparaissent tous les jours, sans qu’on ait rien à y redire ni rien à regretter. C’est ainsi.
Oui, les langues sont créoles, toutes et depuis toujours. Mais la vraie question, la question décisive se pose à un tout autre niveau: celui des textes. Il est permis de penser que la langue de Marguerite Duras n’est pas aussi riche que celle de Mme de La Fayette. Il est probable que le lexique y soit moins abondant, que beaucoup de connecteurs logiques aient disparu de sa syntaxe. Mais il n’en reste pas moins que les textes de Marguerite Duras sont devenus des classiques au même titre que ceux de Mme de La Fayette. Qu’ils exercent, en France et dans le monde, une influence au moins aussi grande. Qu’ils sont des objets auxquels on se réfère pour penser, pour écrire et pour dialoguer ensemble.
Et la question, la vraie question se pose alors de savoir qui a et qui aura accès à ces textes, et qui sont ceux qui resteront à l'écart.
Jean-Luc Mélenchon et les socio-linguistes songent-ils à interdire les textes de Mme de La Fayette et de Marguerite Duras? On ne l’imagine pas. Songent-ils à les bannir de l'école? C’est plus probable. Ce serait même inévitable si on les suit. Mais comment ne pas voir que cette évolution qu’ils préconisent serait foncièrement inégalitaire. Qu’elle entraînerait un clivage toujours plus profond et plus irréductible entre les communautés, ou ce qu’on appelle les “classes sociales”?
Marguerite Duras n’appartenait pas à l’aristocratie comme Mme de La Fayette, mais sa mère était maîtresse d'école. Et elle a lu, dès le plus jeune âge. Et grâce à la langue qu’elle a ainsi apprise, elle s’est élevée au même rang que la première.
Combien d’autres noms pourrions-nous ici citer, de celles et de ceux qui ont fait la gloire de l’école de la République, privée et publique, avant que celle-ci renonce à sa principale mission?
Un texte de Marguerite Duras ou de Mme de La Fayette n’est pas un classique à cause de quelque mérite qu’on lui accorde ou qu'on peut lui contester. Il l’est à cause de l’influence objective qu’il exerce, de l'aide à penser et à parler qu’il nous apporte. À cause de l’énigme qu’il représente en même temps que du lien qu’il fait entre nous.
Qui songe à nous en priver?
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