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Articles

Le fantôme de Baudelaire (1)

Quand l’un de nous était désigné pour effectuer une mission, il savait ce qu’il aurait à faire mais il ne savait pas pourquoi. Le Maître, son Secrétaire et Anna Maria étaient seuls à le savoir. Ils en avaient longuement discuté, ils avaient pesé le pour et le contre au cours d’innombrables échanges, et nous ne doutions pas que la décision qu’ils avaient prise allait dans le sens de la concorde et du progrès universels, même si elle n'était pas toujours conforme à la loi. Et nous ne doutions pas non plus que le Cercle avait des appuis dans les hautes sphères de la société. Auprès des gouvernants de différents pays. Qu’il recevait des financements occultes. Qu’en cas de dérapage, d’accidents de parcours, nous serions protégés. Cela s'était vu. On le racontait. Mais, pour l’affaire du fantôme de Baudelaire, il n'était pas question de s’en prendre à quiconque. De commettre aucun délit. De dérober aucun dossier dans les archives d’un notaire. De remplacer, dans une salle de musé...
Articles récents

À propos de Stevenson

Dans son introduction à l' Intégrale des Nouvelles de Robert Louis Stevenson (édition Phébus, 2001, volume 1, p. 10), Michel Le Bris écrit à propos de l’auteur: “Le choix du récit bref rejoignait son rejet de l'idéologie réaliste, et plus généralement de la description. La nouvelle lui permettait surtout d'affirmer ce à quoi il tenait le plus: ce privilège accordé d'abord à l'image, non plus donnée comme décalque d'un quelconque réel, mais comme vision, projection de l'imaginaire imposant sa puissance créatrice au réel et le transfigurant. L'idée d'un pouvoir plastique de l'imaginaire est en effet au centre de la plupart des œuvres ici réunies, induisant une conception presque abstraite de l'art. Sa manière de procéder est toujours la même: une ou deux images, trois au maximum, issues dirait-on d'un rêve mauvais, visions arrachées ‘au cœur des ténèbres’, autour desquelles enrouler une intrigue ‘au fil de fer’, dont aucune digression ne ...

Un voyageur romantique

Il était venu de Gênes en autobus. Celui-ci l’avait déposé devant la plage de San Terenzo, il avait demandé qu’on lui indique le chemin qui conduisait à la villa où habitaient “les Argentins”, et ainsi il avait continué à pied, gravissant la côte avec son sac sur le dos, à la manière d’un voyageur romantique, comme je faisais moi-même chaque matin. La veille au soir, il avait appelé Thierry Nogaret pour le prévenir de son arrivée. Il avait dit que sa voiture était tombée en panne à son retour de Rome, qu’il l’avait laissée à Gênes, dans un garage, et que, du temps qu’elle soit réparée, il avait songé à nous faire une visite, si du moins nous avions une chambre pour le recevoir. Thierry avait fait part de cette proposition à Anna Maria, qui ne connaissait pas cet homme, encore qu’elle avait entendu parler de lui, et comme, en effet, une chambre était libre, celle-ci n’avait vu aucune raison de refuser. “Pour autant, je ne suis pas certaine que Thierry soit ravi de le voir”, devait-elle ...

Thanks to Leonard Bernstein

La première fois que je suis allé à Paris avec mes parents, je devais avoir douze ans. Notre hôtel était tout près des Champs Elysées. Et je me souviens de deux choses: 1) Je lisais une biographie de Van Gogh. 2) Nous sommes allés voir West Side Story dans un cinéma des Champs Elysées. "I like to be in America / Okay, buy me in America..." Trente ans plus tard, nous chantions cela dans la voiture, avec nos enfants.  America great again! Qu'en dirait aujourd'hui Donald Trump?

Ariane à Naxos

L'histoire de Gérard Laigle, le dentiste de Montmartre, ne s'est pas terminée là, mais la suite est plus confuse. Denis Sandler s'entretenait avec lui dans ce café, au bout de la rue des Abbesses, quand une élégante automobile noire est venue s'arrêter devant les vitres que la pluie inondait de traînées lumineuses. Celles-ci semblaient vivantes et serpentaient comme des larves descendues du ciel. Que faisaient-elles ici? Quelle était leur mission? Selon toute apparence, elles essayaient de communiquer avec les habitants de la terre en leur adressant de mystérieux signaux, dans leur langage non-linéaire et silencieux que les plus éminents spécialistes de différents pays travaillaient à déchiffrer.  Le praticien s'est tourné vers l'automobile, où un visage transparaissait derrière le pare-brise, et il a dit: "C'est mon épouse. Une première nous attend, ce soir, à l'opéra. Il faut que je vous quitte." Puis, en se levant, il a ajouté: “Vous êtes à ...

Le dernier visiteur

Je passe sur ce qu'il est trop facile de deviner. Jamais la beauté dAnna Maria ne m'avait paru si émouvante. Elle n'avait pas quarante ans. Ses cheveux qui frisaient sur sa nuque, l'ourlet de son oreille, le galbe de ses jambes dorées, ses tenues si simples, une robe blanche et des sandales aux pieds, lacées sur ses chevilles, les longs doigts de ses mains, un sourire, un bout de langue entre ses lèvres. Sa présence m'était difficilement supportable. Je craignais toujours de dire un mot de trop, de risquer un geste qui m'aurait trahi. D'abuser de sa confiance. D'encourir sa fâcherie. De me rendre ridicule. Aussi, je la fuyais. J'avais pris mes habitudes. Je partais le matin pour la plage. Je descendais à pied la petite route qui conduisait au port, sinuant entre les grilles des villas et leurs jardins. Je regardais le ciel. Les serres. Les terrasses d'oliviers. Les bouquets de roseaux. La plage formait une anse abritée par le môle. Je me baignais...

Sens / Texte

Le texte nous renseigne sur l'intention de l'auteur, mais, en même temps, il y a presque toujours un décalage entre ce que nous comprenons (ou que nous croyons comprendre) de cette intention et ce que dit le texte. Tandis que parfois, ce décalage n'existe plus. Ce qui signifie qu'il y a (ou qu'il y aurait) alors une complète adéquation entre l'intention de l'auteur et ce qu'il a écrit. Mais pour percevoir cette adéquation, il faut que le lecteur ait le sentiment d'une claire compréhension de l'intention de l'auteur. Or, ce sentiment correspond à une intelligence du texte. Il est d'ordre cognitif, comme par exemple quand on voit soudain la solution d'un problème d'échecs. Pour autant, cette intelligence est conditionnée, pour partie au moins, par une compatibilité entre l'imaginaire du lecteur et celui de l'auteur, ainsi que par une compatibilité de leurs opinions (philosophiques, politiques). Par une proximité ou une famil...