Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles du novembre, 2023

Les fleurs sont livrées le matin

Chaque année, au 15 août, il pleut, et après cette pluie, pour le reste de l'été, la chaleur n'est plus aussi accablante. C’est du moins ce qu’on disait, et je ne prétendrai pas que cette affirmation se vérifiait toujours, mais ce fut le cas cette année-là. Mes parents possédaient une petite maison dans les collines, juste un cabanon en dur où j'ai passé la plus grande partie de mes vacances lorsque j'étais enfant, et où je revenais, de loin en loin, pas toujours seul, de préférence quand mes parents n'y étaient pas. J’y avais amené un ami. Je l’appellerai Édouard. Nous étions tous les deux étudiants en philosophie et nous avions à travailler un texte difficile de Husserl, auquel nous envisagions de consacrer un long mémoire, et il était prévu que nous en présenterions le projet à notre professeur dès la rentrée d’octobre. Nous avions emporté des livres. Nous emportions toujours quantité de livres difficiles à la maison des collines mais il était rare que nous les o...

Tadira

1. Tadira est un port. La ville s’est construite devant le port. Avec les siècles, le maigre comptoir maritime s’est beaucoup développé. Tadira est devenue une grande cité, on y vient du monde entier, par train et par avion, tandis que l’activité du port a périclité. Le déclin du port est la conséquence de celui des Royaumes du Sud qui s’étendent de l’autre côté de la mer. Les habitants des Royaumes du Sud ont oublié les richesses qu’ils ont longtemps tiré du commerce maritime et terrestre. Ils se sont appauvris. Ils ont remplacé les mathématiques et l’astronomie par des querelles théologiques. Dans les écoles de Tadira, les élèves apprennent les noms des voyageurs et des savants des Royaumes du Sud qui, après avoir sillonné la mer intérieure, ont conquis la planète. Ils imaginent leurs dialogues à bord des voiliers qui, au lever du soleil, laissaient derrière eux traîner des filets. Aujourd’hui, le port de Tadira est un fantôme. On lui connaît une église qui regarde vers le large, un ...

Structuralisme

J’ai compris que mon séjour se passerait dans la banlieue. Une voiture m’attendait à la gare. Piotr assis à l’avant, il donnait des ordres au conducteur. Nous parlons en nous regardant dans le rétroviseur. Nous traversons des quartiers anciens, places monumentales que je reconnais pour les avoir vues en photos. Il neige, il se mit à neiger. Les ailes blanches des oiseaux battaient dans le ciel des boulevards. Des nuages noirs emplissent le ciel où flottent des ballons qu’on voit pilotés par des êtres appartenant à plusieurs espèces animales. Échanges de tirs au laser. Plutôt rituels. La nuit vient trop vite. La banlieue, au contraire, apparaît dans un pâle soleil d’hiver. Ma chambre au premier étage ouvre sur une esplanade où s’est installé un cirque. Je découvre, sous ma fenêtre, ses caravanes peintes de couleurs vives. Je respire l’odeur des fauves, je les entends se plaindre dans la nuit, raconter leurs histoires. Occupé la plupart du temps à jouer aux échecs avec des inconnus dans ...

Les émeutiers

1. Réveillé, la nuit dernière encore, par des bruits d'émeutes. Ils correspondent à des rêves. Je veux dire que je rêve d’émeutes et que j’entends les bruits de ces émeutes, les fracas à peine assourdis. Il se peut que ce soient mes rêves qui me les fassent entendre, mais il se peut aussi que ce soient des bruits que j’entends durant mon sommeil qui me fassent rêver. Dans la journée, le plus souvent, je n’y pense pas, mais il m’arrive aussi, en me promenant dans les rues voisines, d’en repérer de possibles traces. Des éclats de verre, des boulons, des manches de pioches, des barres de fer, des éléments de carrosseries incendiées. Des véhicules blindés. Je découvre tel vestige repoussé sur le bord du trottoir, et je m’arrête pour mieux le regarder. Quand je lève les yeux, je croise le regard d’un autre passant qui s’est arrêté, lui aussi, devant la même découverte, et qui semble intrigué. Mais nos lèvres restent serrées et, bien vite, nous détournons la tête, nous reprenons notre ch...

Phyllis

J’ai vu Phyllis quand la voiture s’est arrêtée devant le petit restaurant de Jim et qu’elle en est descendue. Il était un peu plus de minuit. J’étais debout à l’entrée de la ruelle, à côté du restaurant, là où je me tiens le plus souvent à cette heure de la nuit. L’entrée de mon immeuble est dans la ruelle, derrière moi, à quelques pas seulement, et une fois monté dans ma chambre, je me tiens debout, un long moment encore, devant ma fenêtre. Quand Phyllis est descendue de la voiture, elle ne m’a pas vu, ou elle a fait semblant de ne pas me voir. Il faut dire qu’elle baissait la tête parce qu’il pleuvait un peu. Elle tenait d’une main son petit sac au-dessus de sa tête pour protéger ses cheveux. Elle était pressée de rentrer chez elle pour se mettre à l’abri. Elle habite tout près. Quel âge peut avoir cette gamine? Elle m’a dit vingt-cinq ans, je dirais plutôt vingt-deux ou vingt-trois, peut-être moins. Que vient-elle faire ici? Elle me lit les lettres de sa mère. Chaque fois, elle m’ap...

Cap-d'Ail

Nous nous sommes installés dans un cabanon, devant la mer. Il avait été construit au pied de la montagne. Trois autres cabanons semblables s'alignaient là. La paroi rocheuse projetait son ombre sur la plage de galets. La route et la voie ferrée passaient très haut au-dessus de nous. Nous ne pouvions pas les voir. Les oiseaux blancs s'envolaient au grondement des trains. J'avais apporté ma machine à écrire, je pouvais travailler, mais nous n'avions pas l'électricité, si bien que nous ne pouvions pas écouter de musique. La nuit encore, quand l'unique pièce du cabanon était éclairée par des bougies, qu'il restait un fond de vin rouge dans nos verres, nous traversions la plage pour nous baigner. Je nageais loin. J'ai appris qu'un célèbre architecte s'était suicidé l'été précédent dans l'un des cabanons voisins. J'ai enquêté au village où nous recevions notre courrier. Une poignée d'habitués assis à la terrasse du café, les taches d...

La vie d’artiste

J’étais devant Parade de cirque de Georges Seurat. Nous avions été invités à donner trois concerts aux États-Unis (Detroit, Cleveland, Pittsburgh) et, avant de regagner la France, je m’étais échappé du groupe pour aller voir le tableau qui est conservé au Metropolitan Museum of Art de New York. C'était la première fois que je me trouvais en sa présence, debout devant lui, et cette rencontre revêtait pour moi une importance particulière. Depuis bien des années, j'en gardais une reproduction glissée dans la boîte de mon violon comme d'autres violonistes gardent à cette place des photos de leur femme et leurs enfants. Je n'étais pas marié, je n'avais pas d'enfants, mais je reconnaissais, dans l'atmosphère douce et mystérieuse qui nimbe les personnages, dans le silence de l'œuvre, le feeling qui a présidé au choix de mon métier de musicien.  C’était un soir d’automne, il faisait déjà nuit, et pour la première fois, je me voyais admis à la classe d’orchestr...

Rêve de la cellule du PCF

Il fait nuit, la campagne a été inondée par les pluies. Sur une butte, une petite maison cubique aux fenêtres éclairées. Je gravis la butte, la pluie recommence à tomber, et je pénètre dans la maison. Une réunion du PCF s’y tient. Elle a commencé. Je m’installe dans un coin et j’écoute les propos qui s’échangent. C’est un petit homme qui les anime. Il se tient debout devant les autres qui sont assis, comme à l’école. Il ne parle pas de politique, je ne comprends pas de quoi il est question. Le petit homme ne s’adresse pas à moi, il m’ignore. mais sans que mon nom soit jamais prononcé, c’est de moi qu’il s’agit. Le petit homme plaisante, mais ses propos tendent tous à monter les autres contre moi. Je comprends que je vais me trouver bientôt exclu de cette cellule dont je suis le membre le plus ancien et le plus vieux, pas forcément le plus actif. Je me dis alors que j’en ai assez entendu, et je me lève pour partir. Personne ne semble s’en soucier. Mais lorsque je parviens à la porte, de...

Leçons de nuit

1 - Au bout de la ligne de tramway (3 mars 2020) LE TÉMOIN - Il vide ainsi son appartement. Sans hâte, un jour un meuble, un jour un livre, un jour un vêtement, le jour suivant un ustensile de cuisine. Il les dépose la nuit, devant l’entrée de son immeuble, ou il demande à des brocanteurs de venir les emporter.  ELLE - Il n’est pas impatient. Il ne l’a jamais été.  LE TÉMOIN - Mais, d’un autre côté, qui peut dire pourquoi il agit comme il fait, où il veut en venir?  LUI - J’avais l’idée de partir. De quitter cet appartement. Et je voulais que ce départ s’opère le plus simplement du monde, le jour venu. LE TÉMOIN - Et maintenant?  LUI - Je n’ai pas changé d’idée. Je n’ai pas oublié. Mais les mois ont passé, des années peut-être. Combien, au juste? LE TÉMOIN - Pas beaucoup, mais bientôt deux. Cela dépend comment on compte. À partir de quel moment. LUI - Je ne tiens pas à parler du début. ELLE - Il ne tient pas à parler de la fin. Car c’est à elle qu’il songe. LE TÉMOIN...

A Pity of Love

À l’automne 2019, j’ai animé un petit nombre d’ateliers de lecture pour les enfants accueillis au foyer Alta Riba qui se trouve installé dans une ancienne villa, au sommet de Las Planas. Depuis l’été au moins, Annie toussait beaucoup, elle était fatiguée, nous savions elle et moi qu’elle était malade mais nous faisions semblant de rien, nous parlions d’une bronchite, et comme c'était l’automne la nuit tombait très tôt. J’ouvrais mon atelier aux alentours de cinq heures et j’en repartais une heure plus tard, quand il faisait nuit. Et j’avais seulement quelques pas à faire pour rejoindre la station d’autobus qui marque le terminus de la ligne. Une placette où l’autobus fait demi-tour, sous des arbres, pour y stationner quelques minutes avant de redescendre vers la ville. Et quand je quittais le foyer, j’avais le cœur ému à cause de l’air éperdu qui se voyait sur le visage des enfants auxquels j’avais montré des mots écrits, non pas qu’ils fussent maltraités par les éducateurs chargé...

Un bel équipage

Un couple d’adolescents venaient à ma rencontre. Je les ai vus de loin. Déjà je ne voyais qu’eux parmi les autres passants. Leur jeunesse, leur élégance. Ils marchaient sans hâte et ils parlaient sans se toucher, l’air à peine plus grave du garçon tourné vers sa compagne, le visage à peine plus lumineux de celle-ci qui regardait droit devant, sans voir personne. Leur tranquillité. Un bel équipage descendant par un clair matin de printemps l’avenue Borriglione. Puis soudain, sans cesser de parler, il arriva que la jeune fille marque un arrêt. La voilà qui suspend son pas et qu’elle soulève à peine son pied droit, qu’elle le montre. La jambe pliée au genou comme celle d’un cheval, elle se tient en équilibre. Vêtue comme le garçon d’un pantalon de jogging qui bouffe, d’un pull de coton et de chaussures de tennis, elle montre la chaussure de son pied droit dont le lacet est défait. La pose me surprend. Je ne la comprends pas. Le garçon fait un pas de plus, il dépasse son amie, puis se reto...

Thelonious Monk à Nice

J’imaginais que Thelonious Monk vivait à Nice et que c’était moi. Ou que j’étais lui. À cette première proposition s’en rattachaient trois autres. La première voulait que Thelonious Monk habitât dans des hôtels, dont il changeait souvent, sans que dans aucun il y ait de piano. La seconde, qu’il se produise dans plusieurs boîtes de nuit, mais que la principale, celle où il revenait jouer chaque nuit, à une heure plus ou moins tardive, s’appelait Le Select et se trouvait dans le Passage Émile-Négrin, qui est une petite rue en pente, qui bifurque de celle qu’on appelait alors Avenue de la Victoire, à peine plus haut que la rue de la Liberté. La troisième des propositions secondaires était la plus curieuse et peut-être la plus inventive. Elle disait que Thelonious Monk avait besoin de s’asseoir à un piano, le matin, pour composer ses œuvres, les retravailler dans le moindre détail, et préparer ainsi celles de ses compositions qu’il jouerait le soir, quand les clubs accueilleraient leur pub...

La Chèvre et le Samouraï

La première fois que nous nous sommes parlés, Annie et moi, c’était à l’automne 1967, nous avions seize ans, et nous étions élèves d’une classe de seconde au lycée Beau-Site. J’avais remarquée la jeune fille mince et noiraude qu’elle était alors, aux cheveux soigneusement tirés en queue de cheval, à la silhouette pure comme celle d’un caractère d’écriture arabe ou d’une branche de figuier, l’année précédente déjà, dans les couloirs du lycée du Parc Impérial, où nos regards sombres s’étaient croisés, et juste un peu mieux que croisés, mais où très vite alors nous avions détourné la tête. Tandis qu’à présent, nous nous retrouvions dans la même classe, et j’étais venu m’asseoir à côté d’elle. J’avais dit: “Je peux, cela ne t’ennuie pas?”, ma maigre expérience m’ayant appris à faire de l'extrême politesse une arme fatale de séduction. Et, cette fois, en effet, la tactique avait marché. Annie avait incliné la tête en signe d’assentiment, comme aurait fait une jeune chèvre. Et, très vite...

Rue Dabray

Les patrons tenaient des chambres meublées au-dessus du bistrot. J’en ai loué une pour la semaine. L’appartement que j’avais habité avec ma femme se trouvait à quelques rues de là, dans un quartier aux immeubles cossus. Mais aussitôt après sa mort, j’ai su que je ne pourrais plus y vivre. J’y étais demeuré jusqu’à son enterrement, parce que nos enfants avaient fait le voyage et que nous avions quantité de démarches administratives à accomplir. Mais le lendemain qu’ils étaient repartis, j'étais venu me promener du côté de la rue Vernier, où j'ai grandi. J’ai marché au hasard. Je suis entré dans ce café de la rue Dabray parce qu’il pleuvait et j’ai commandé un verre de vin. Il n’était pas dans mes habitudes de boire du vin au milieu de l'après-midi, mais je commençais une autre vie, il fallait marquer le passage, prendre de nouvelles habitudes. Je n’étais pas seul à perdre ainsi mon temps. Plusieurs hommes étaient groupés devant le comptoir, et l’un d’entre eux parlait d'...

Impression d'oiseaux

Debout devant l’imposante bâtisse, la tête levée pour voir les fenêtres de l’appartement situé au-dessus des classes, il était un peu plus de midi, le ciel gris et froid, en passant la curiosité m’a pris, comme je montais les escaliers du côté opposé de la cour, je me suis arrêté, j’ai levé la tête, renversé serait trop dire, encore que notre appartement soit au plus haut, qu’il regarde la mer, en cet instant (la mer) je lui tournais le dos, j’étais chaudement vêtu, les mains enfoncées dans les poches de mon blouson, je me dirigeais vers le réfectoire de l’école et j’ai levé les yeux vers les fenêtres de l’appartement que j’avais quitté le matin, les vitres nues où, de l’extérieur, il m’arrive d’apercevoir la silhouette en transparence de quelqu’un des miens qui se tient debout et me fait signe, le ciel gris et froid: entre l’escalier où je me trouvais, conduisant au réfectoire, et la façade de la maison, l’espace d’une cour plantée d’arbres où des enfants couraient, et venant à se ref...

Son nom

Son nom est celui d’un petit mammifère de la montagne. Et, par métonymie, dans la langue du pays, c’est aussi l’un des noms qui désignent la montagne. Chose plus étonnante, on y entend un verbe qui signifie partir, s’en aller, sans idée, dans l’emploi qu’on en fait, qu’on irait quelque part.  Son nom signifie partir pour partir, rompre, en finir ou, plutôt que nulle part ailleurs, aller se perdre dans la montagne, pour devenir un petit mammifère fouinant dans la pénombre opulente de parfums, promener son museau, sa moustache et ses griffes sur les feuilles tombées, dans l’humus où poussent les champignons. (9 février 2020)

Arrière-saison

Je passais mes soirées au pub puis, pour regagner la petite maison que j'habitais, je passais par la plage. Celle-ci alors était vide. Il m'arrivait de m'arrêter pour regarder la mer, et quelquefois de dormir sur le sable. Au matin, j'étais réveillé par la pluie. Dans mon sommeil, j'avais essayé en vain de reconstituer un rondel de Tristan Corbière. À présent il me revenait aux lèvres sans que j'hésite. Je le disais debout, en serrant mon caban, en grelottant de froid: “Va vite, léger peigneur de comètes ! Les herbes au vent seront tes cheveux...” (4 février 2020)

Evite

Évite de remuer la nuit De rider l’eau  et le sable sous l’eau D’agiter les fougères dans l’air du soir Mottes de terre traversées de lombrics les nuages d’ardoise Une rangée de grands arbres nus prévenus de la nuit par les cris des corbeaux Écoute la rivière sans la voir (25 janvier 2020)

Fuite

À quoi rêvais-je quand la pluie fut la plus forte?  Étais-je assis dans un fauteuil devant mes livres ou à courir sous les fougères, zigzagant entre les gouttes parmi des rats dont  l'un plus gros  que j'attrapai par la queue pour qu'il m'entraîne? Et le conte prévoit-il que le jour enfin revienne? Je quitte la forêt pour m'avancer dans la cour déserte d'une ferme. Quand l’on a faim et soif, quelqu'un apparaît, sans visage, et vous montre un puits. Écouter

Tapisserie

Lorsque j’étais le cerf que l’on chasse, mes bois heurtaient les branches les plus basses des arbres, mon cœur battait si fort, Pas de rivière où enfin l’on s’arrête, où l’on se mire, où l’on boit, seulement les aboiements des chiens qui accourent, que j’entends sans les voir à cause des feuillages des taillis épais, Une rivière soudain qui m’arrêtait et je restais sur la berge à haleter, à écouter le son du cor, les aboiements des chiens qui bavent, Qui franchissent en courant l’obstacle d’un arbre couché, viennent à leur suite les cavaliers vêtus de rouge qui sonnent du cor, Linceul de sueur sur tout mon corps qui haletait et je restais derrière les arbres, Un rayon de soleil oblique perce les feuillages, Mon regard s’embuait, grelottant du froid qui montait de la rivière, mes yeux fendus baignés de larmes. Écouter

Une attraction de foire

Son art, si art il y avait, n'avait rien à voir avec la Poésie, plutôt avec la Passion d'apparaître et disparaître lui-même tout entier. Une attraction de foire qu'il exerça dans les foires des villes d'Europe où il accompagnait la famille qui l'avait recueilli dès l'enfance, souvent dans de pauvres Villages où ils parvenaient à la nuit tombée, grelottant sous une pluie qui n'avait pas cessé depuis des nuits et des jours (leur caravane sentait le Chien mouillé, une gouttière se formait au bout de leurs chapeaux), mais quelquefois aussi sur les scènes les plus prestigieuses (les mieux éclairées) de Londres ou Copenhague. Un destin qui le faisait se replier comme un pantin dans des coffres, se pendre dans des portants de costumes bariolés. Qui le faisait éternuer. À cause du fard à joues. Et jouer de la guitare et chanter comme on fait en Italie. Combien de langues au juste savait-il parler? De combien d'instruments de musique pouvait-il jouer? Et ces to...

Baigneurs

Les baigneurs sont trop loin dans les dunes, écrasés de soleil, silhouettes à peine moins graciles que le parasol coiffé de bleu et blanc que le vent menace d’emporter, qui les fait se lever, tourner autour et danser une danse de Sioux, si bien que tu hésites à te prononcer sur l’âge et le sexe de ceux que tu aperçois, encore que ce soit bien la beauté de leurs corps qui t’émeut, lesquels sont alors, tracés en noir sur blanc, comme paraphe de leur âme. Ou ces autres, vus de haut, qui paraissent flotter dans le bleu comme des anges. Le spectacle des êtres humains aperçus de si loin suffit à l’éblouissement d’un esprit lassé, qui n’a point perdu le goût de ses semblables mais qui souhaite les saisir au point où l’âme et le corps se confondent. Ne font qu’un. Comme Dieu lui-même les regarde d’où il est, ou les anges. Ou Alberto Giacometti. Tel baigneur, comme tel piéton filiforme dans l’œuvre du sculpteur, serait-il moins connu d’être aperçu de loin, et qu’entre lui et nous pas un mot ...

À Thot

Tablette évoque l’Égypte et ses tombeaux, le fleuve et les roseaux où se posent des ibis. Les journées les plus libres, de ciel clair et vent, n’empêchent pas qu’il écrive la nuit.  Sable soulevé criblant les murs d’un tombeau où volent des ibis, et le parfum de l’eau du fleuve. Au couchant, le bois mouillé des barques couvertes de chiures d’oiseaux, les poivriers.  Que vit-il? Il vit. Couché, le visage seul éclairé par l’écran. Quand on quitte Marseille, les rochers baignent dans une eau transparente dont on devine la teneur excessive en sel. Brûlant le linge étendu qui bat. Les barques. Les ailes du soleil. (10 juin 2009)

Retour de concert

Quand on lit un roman, notre attention est requise par l’histoire, on veut en connaître la fin. Mais quand la lecture est finie, que du temps est passé, ce qu’il en reste dans le souvenir se réduit à des images. On aime le roman, dans le souvenir au moins, pour ce qu’on y voit, et qui se voit comme dans l’encadrement d'une fenêtre; dans le train de La Bête humaine , c’est la fenêtre qui laisse entrevoir, à l’intérieur d’un compartiment éclairé dans la nuit, une scène de crime; dans tous les cas, des images floues, aux contours imprécis, auxquelles nous aurions du mal à ajouter un titre, à l’intérieur desquelles les personnages ne sont pas arrêtés mais se déplacent, glissent en silence, mus par quelque mécanisme dont les ressorts nous échappent. Surprenant l’intérieur d’un appartement, un soir d’automne, comme nous passions sous ses fenêtres en rentrant du concert et qu’il commençait à pleuvoir. Soir humide d’octobre, quand la saison des concerts a commencé et qu’on est un dimanche....