Elle se rend au garage, un soir, au moment de la fermeture. Daniel y est seul, devant un vélo renversé, les roues en l’air, dont il est occupé à régler le dérailleur. Elle dit:
— Bonjour Daniel, je peux te parler?
— Oui, bien sûr, dit-il, mais sans tourner la tête.
Alors, elle lui dit tout ce qu’elle est chargée de lui dire en quelques phrases. Les villas visitées par de jeunes fêtards. Le début de l’enquête. L’article de Nice-Matin. Les enregistrements produits par les caméras de vidéosurveillance. Les porteurs de masques. Les placards ouverts, les vêtements dispersés, les vols. L’alcool, probablement la drogue. Enfin, la rencontre entre le proviseur du lycée et le commissaire Langlois. Elle ajoute:
— C’est le commissaire Langlois qui a prononcé ton nom. Il semble penser que tu pourrais nous aider.
Roselyne Bujot est debout, un peu embarrassée de son corps, et, jusque-là, c’est à peine si elle a pu apercevoir le profil de Daniel, son front, la courbe de son nez, ses lèvres fermées. Par moments, d’une main il fait tourner la roue arrière du vélo dans le vide, de l’autre il force un changement de vitesse, puis il se remet au travail avec la clé Allen. Il donne un tour, il serre, il ajoute de la graisse sur les maillons de la chaîne. Mais maintenant il a fini. Il se tourne vers elle en s'essuyant les mains tachées de graisse. Il dit:
— C’est donc Monsieur Theuriet qui vous envoie. Le commissaire Langlois m’avait annoncé sa visite.
Il essaie de sourire. Ils se regardent. Elle lui répond:
— Il m’a donné un bon prétexte pour te rencontrer.
Daniel hésite. Puis, toujours le chiffon entre les mains, il dit:
— Comment va Laurence?
Cette question est un sésame. Depuis trois ans, Roselyne n'espérait plus l’entendre un jour. Elle dit:
— Laurence va bien. Elle habite à Paris, elle a repris des études, je ne la vois pas beaucoup mais nous échangeons sur WhatsApp. Elle m’envoie des photos, je lui envoie de la musique.
— Je suis content de le savoir. (Il hésite.) Vous me laissez le temps de me laver les mains?
Plus tard, il fait nuit, ils marchent côte à côte, sur l’avenue Malaussena, en direction du centre ville. Elle dit:
— Dis-moi qu’elle a su pour nous!
— Oui, elle a su.
— Comment?
— À cause de ta brosse à cheveux. Elle a trouvé ta brosse à cheveux à côté de mon lit.
— J’y ai pensé, mais elle ne l'a pas dit. Elle n'a pas voulu me le dire. Jamais. Et jamais, non plus, elle ne s'est plus approchée de moi, ni elle m'a regardée dans les yeux. Et comment pouvais-je lui en parler, moi, de mon côté, comment pouvais-je lui expliquer, seulement évoquer pour elle ce fait, sans être sûre qu’elle le savait déjà?
— Maintenant tu le sais. C'était de ma faute, j’ai été maladroit.
— C'était moi l’adulte. C’était moi ton professeur.
— J’ai eu peur. J’ai eu peur et j’ai eu honte d'avoir été si maladroit. Mais pourquoi cette réunion à trois dans le bureau de Theuriet?
— C’est lui qui l’a voulue. La professeure principale de la classe de Laurence avait signalé ses absences. Et comme je n’arrivais pas à te parler, que tu m'évitais partout…
— J’avais peur pour toi aussi, tu sais? Je crois que je n’ai jamais eu peur de toi, mais j’avais peur pour toi.
Elle prend son bras, elle se sert contre lui et elle dit:
— J’avais tellement peur pour Laurence, tu comprends? C'était comme si elle se noyait devant mes yeux, et que j’avais essayé de l’attraper par les cheveux. Sans pouvoir. Et, en même temps, je n'éprouvais aucun regret. C'était horrible. Parce que j’avais peur et j’avais honte de n’éprouver aucun regret.
Ils sont maintenant debout devant l'entrée d’un petit immeuble de la rue Durante. Face à face. Elle dit:
— Je ne t’invite pas à monter.
Il sourit et il dit:
— Non, tu ne m’invites pas à monter.
— Et qu’est-ce que je dis à Theuriet?
— J’en reparlerai avec Langlois. Mais oui, tu peux dire à Theuriet que j’accepte la mission impossible!
Cela, juste avant le gimmick d’ouverture, et que l’enregistrement de leur conversation s’autodétruise...
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