Ce n’est pas le proviseur qui est venu solliciter Daniel dans son garage à vélos, c’est la professeure de lettres, Roselyne Bujot, dont il avait été question au cours de l’entretien que le proviseur avait eu avec Langlois, à savoir la mère de la jeune fille que Daniel avait séduite trois ans auparavant, et qui était sortie détruite de cette histoire. Pourquoi cette femme? Parce que le proviseur lui avait demandé de le faire, sans doute pour se préserver lui-même. Il fallait qu'il l’ait informée de l'échange qu'il avait eu avec Langlois, ce qui suppose qu’il existait entre eux une confiance, voire une complicité qui peut surprendre au premier abord, et qu'on est tenté d’expliquer de différentes manières, et sans doute aussi parce que cette professeure trouvait là l’occasion de se réconcilier avec son ancien élève, dont on pouvait se demander s’il n’avait pas été traité de manière quelque peu expéditive et injuste, trois ans auparavant. Si on ne s'était pas débarrassé de lui un peu trop vite pour étouffer l’affaire. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre d’après ce que m’a dit Daniel. Mais Daniel ne parlait pas beaucoup, il était avare d’explications. Et puis, il est arrivé que j’en parle aussi avec Langlois, quand l’histoire a trouvé sa conclusion. Mais Langlois n’est pas du genre à beaucoup s’étendre, lui non plus. Et d’ailleurs, il n’est pas du tout certain que lui-même ait jamais eu le fin mot de l’affaire. La clé de l’énigme. Mais bon, il avait fini par connaître les grandes lignes de ce qui s’était passé entre Daniel et la jeune fille, trois ans auparavant, et un jour il me l’a laissé entendre en quelques phrases sibyllines.
La jeune fille s’appelait Laurence, et Daniel avait avec elle un “flirt un peu poussé”, comme avait dit le proviseur. À cette époque, Daniel habitait encore chez sa mère, rue Kosma, et comme celle-ci sortait de plus en plus souvent, de plus en plus éhontément, avec Simon Breuer, le jeune patron de l'atelier de la rue Victor Juge, il avait de plus en plus souvent aussi le champ libre. Si bien qu’il cherchait à attirer la jeune fille dans sa chambre.
Le flirt durait depuis des mois sans qu’elle accepte. Et Daniel s'était déjà un peu lassé, il est probable que sa curiosité l’avait déjà porté ailleurs, mais il continuait d’insister auprès d’elle sans trop d’espoir ni de conviction, plutôt par principe, jusqu'au jour où elle a fini par accepter.
C'était un dimanche de juin, il faisait chaud, tout le monde était à la plage, et, par contraste, il régnait dans sa chambre une ombre et une fraîcheur agréables, derrière les fenêtres ouvertes qu’obstruaient les feuillages du magnolia et des deux bananiers qui poussaient dans le jardin, devant la façade. Ils se sont débrouillés comme ils ont pu, l’un de l’autre, avec ce qu’ils étaient, avec ce qu’ils savaient. Ils ont beaucoup transpiré. Dans la pénombre, leurs deux jeunes corps étaient luisants de sueur. Et puis, il est arrivé que Daniel se lève pour aller aux toilettes, à l’autre bout de l’appartement, et quand il est revenu, dans la même nudité où il était parti, il a trouvé Laurence debout derrière le lit avec, à la main, une brosse à cheveux. Et elle était furieuse. Et elle a crié:
— À qui est cette brosse? Tu veux me dire à qui elle appartient?
Daniel lui répondu qu’elle était à lui. Mais la jeune fille n’a pas voulu le croire. Elle a continué de crier, de pleurer, en exigeant une réponse qui ne soit pas mensongère. Et, de ce jour, elle n’a plus voulu le voir. Elle s’est enfermée dans la solitude et le secret. Elle est devenue comme folle. Et Daniel, lui aussi, s’est muré dans le silence. Quand, quelques jours plus tard, Roselyne Bujot l’a attrapé par le bras, dans un couloir du lycée, qu’elle l'a attiré dans une salle vide, qu’elle en a refermé la porte et qu’elle lui a crié, les yeux dans les yeux: “Mais enfin, tu veux me dire ce qu'il s’est passé?”, il n’a pas répondu.
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