Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles associés au libellé Neige et sable

Phyllis

J’ai vu Phyllis quand la voiture s’est arrêtée devant le petit restaurant de Jim et qu’elle en est descendue. Il était un peu plus de minuit. J’étais debout à l’entrée de la ruelle, à côté du restaurant, là où je me tiens le plus souvent à cette heure de la nuit. L’entrée de mon immeuble est dans la ruelle, derrière moi, à quelques pas seulement, et une fois monté dans ma chambre, je me tiens debout, un long moment encore, devant ma fenêtre. Quand Phyllis est descendue de la voiture, elle ne m’a pas vu, ou elle a fait semblant de ne pas me voir. Il faut dire qu’elle baissait la tête parce qu’il pleuvait un peu. Elle tenait d’une main son petit sac au-dessus de sa tête pour protéger ses cheveux. Elle était pressée de rentrer chez elle pour se mettre à l’abri. Elle habite tout près. Quel âge peut avoir cette gamine? Elle m’a dit vingt-cinq ans, je dirais plutôt vingt-deux ou vingt-trois, peut-être moins. Que vient-elle faire ici? Elle me lit les lettres de sa mère. Chaque fois, elle m’ap...

Cap-d'Ail

Nous nous sommes installés dans un cabanon, devant la mer. Il avait été construit au pied de la montagne. Trois autres cabanons semblables s'alignaient là. La paroi rocheuse projetait son ombre sur la plage de galets. La route et la voie ferrée passaient très haut au-dessus de nous. Nous ne pouvions pas les voir. Les oiseaux blancs s'envolaient au grondement des trains. J'avais apporté ma machine à écrire, je pouvais travailler, mais nous n'avions pas l'électricité, si bien que nous ne pouvions pas écouter de musique. La nuit encore, quand l'unique pièce du cabanon était éclairée par des bougies, qu'il restait un fond de vin rouge dans nos verres, nous traversions la plage pour nous baigner. Je nageais loin. J'ai appris qu'un célèbre architecte s'était suicidé l'été précédent dans l'un des cabanons voisins. J'ai enquêté au village où nous recevions notre courrier. Une poignée d'habitués assis à la terrasse du café, les taches d...

Rêve de la cellule du PCF

Il fait nuit, la campagne a été inondée par les pluies. Sur une butte, une petite maison cubique aux fenêtres éclairées. Je gravis la butte, la pluie recommence à tomber, et je pénètre dans la maison. Une réunion du PCF s’y tient. Elle a commencé. Je m’installe dans un coin et j’écoute les propos qui s’échangent. C’est un petit homme qui les anime. Il se tient debout devant les autres qui sont assis, comme à l’école. Il ne parle pas de politique, je ne comprends pas de quoi il est question. Le petit homme ne s’adresse pas à moi, il m’ignore. mais sans que mon nom soit jamais prononcé, c’est de moi qu’il s’agit. Le petit homme plaisante, mais ses propos tendent tous à monter les autres contre moi. Je comprends que je vais me trouver bientôt exclu de cette cellule dont je suis le membre le plus ancien et le plus vieux, pas forcément le plus actif. Je me dis alors que j’en ai assez entendu, et je me lève pour partir. Personne ne semble s’en soucier. Mais lorsque je parviens à la porte, de...

Thelonious Monk à Nice

J’imaginais que Thelonious Monk vivait à Nice et que c’était moi. Ou que j’étais lui. À cette première proposition s’en rattachaient trois autres. La première voulait que Thelonious Monk habitât dans des hôtels, dont il changeait souvent, sans que dans aucun il y ait de piano. La seconde, qu’il se produise dans plusieurs boîtes de nuit, mais que la principale, celle où il revenait jouer chaque nuit, à une heure plus ou moins tardive, s’appelait Le Select et se trouvait dans le Passage Émile-Négrin, qui est une petite rue en pente, qui bifurque de celle qu’on appelait alors Avenue de la Victoire, à peine plus haut que la rue de la Liberté. La troisième des propositions secondaires était la plus curieuse et peut-être la plus inventive. Elle disait que Thelonious Monk avait besoin de s’asseoir à un piano, le matin, pour composer ses œuvres, les retravailler dans le moindre détail, et préparer ainsi celles de ses compositions qu’il jouerait le soir, quand les clubs accueilleraient leur pub...

Impression d'oiseaux

Debout devant l’imposante bâtisse, la tête levée pour voir les fenêtres de l’appartement situé au-dessus des classes, il était un peu plus de midi, le ciel gris et froid, en passant la curiosité m’a pris, comme je montais les escaliers du côté opposé de la cour, je me suis arrêté, j’ai levé la tête, renversé serait trop dire, encore que notre appartement soit au plus haut, qu’il regarde la mer, en cet instant (la mer) je lui tournais le dos, j’étais chaudement vêtu, les mains enfoncées dans les poches de mon blouson, je me dirigeais vers le réfectoire de l’école et j’ai levé les yeux vers les fenêtres de l’appartement que j’avais quitté le matin, les vitres nues où, de l’extérieur, il m’arrive d’apercevoir la silhouette en transparence de quelqu’un des miens qui se tient debout et me fait signe, le ciel gris et froid: entre l’escalier où je me trouvais, conduisant au réfectoire, et la façade de la maison, l’espace d’une cour plantée d’arbres où des enfants couraient, et venant à se ref...

Tapisserie

Lorsque j’étais le cerf que l’on chasse, mes bois heurtaient les branches les plus basses des arbres, mon cœur battait si fort, Pas de rivière où enfin l’on s’arrête, où l’on se mire, où l’on boit, seulement les aboiements des chiens qui accourent, que j’entends sans les voir à cause des feuillages des taillis épais, Une rivière soudain qui m’arrêtait et je restais sur la berge à haleter, à écouter le son du cor, les aboiements des chiens qui bavent, Qui franchissent en courant l’obstacle d’un arbre couché, viennent à leur suite les cavaliers vêtus de rouge qui sonnent du cor, Linceul de sueur sur tout mon corps qui haletait et je restais derrière les arbres, Un rayon de soleil oblique perce les feuillages, Mon regard s’embuait, grelottant du froid qui montait de la rivière, mes yeux fendus baignés de larmes. Écouter

Une attraction de foire

Son art, si art il y avait, n'avait rien à voir avec la Poésie, plutôt avec la Passion d'apparaître et disparaître lui-même tout entier. Une attraction de foire qu'il exerça dans les foires des villes d'Europe où il accompagnait la famille qui l'avait recueilli dès l'enfance, souvent dans de pauvres Villages où ils parvenaient à la nuit tombée, grelottant sous une pluie qui n'avait pas cessé depuis des nuits et des jours (leur caravane sentait le Chien mouillé, une gouttière se formait au bout de leurs chapeaux), mais quelquefois aussi sur les scènes les plus prestigieuses (les mieux éclairées) de Londres ou Copenhague. Un destin qui le faisait se replier comme un pantin dans des coffres, se pendre dans des portants de costumes bariolés. Qui le faisait éternuer. À cause du fard à joues. Et jouer de la guitare et chanter comme on fait en Italie. Combien de langues au juste savait-il parler? De combien d'instruments de musique pouvait-il jouer? Et ces to...

Baigneurs

Les baigneurs sont trop loin dans les dunes, écrasés de soleil, silhouettes à peine moins graciles que le parasol coiffé de bleu et blanc que le vent menace d’emporter, qui les fait se lever, tourner autour et danser une danse de Sioux, si bien que tu hésites à te prononcer sur l’âge et le sexe de ceux que tu aperçois, encore que ce soit bien la beauté de leurs corps qui t’émeut, lesquels sont alors, tracés en noir sur blanc, comme paraphe de leur âme. Ou ces autres, vus de haut, qui paraissent flotter dans le bleu comme des anges. Le spectacle des êtres humains aperçus de si loin suffit à l’éblouissement d’un esprit lassé, qui n’a point perdu le goût de ses semblables mais qui souhaite les saisir au point où l’âme et le corps se confondent. Ne font qu’un. Comme Dieu lui-même les regarde d’où il est, ou les anges. Ou Alberto Giacometti. Tel baigneur, comme tel piéton filiforme dans l’œuvre du sculpteur, serait-il moins connu d’être aperçu de loin, et qu’entre lui et nous pas un mot ...

À Thot

Tablette évoque l’Égypte et ses tombeaux, le fleuve et les roseaux où se posent des ibis. Les journées les plus libres, de ciel clair et vent, n’empêchent pas qu’il écrive la nuit.  Sable soulevé criblant les murs d’un tombeau où volent des ibis, et le parfum de l’eau du fleuve. Au couchant, le bois mouillé des barques couvertes de chiures d’oiseaux, les poivriers.  Que vit-il? Il vit. Couché, le visage seul éclairé par l’écran. Quand on quitte Marseille, les rochers baignent dans une eau transparente dont on devine la teneur excessive en sel. Brûlant le linge étendu qui bat. Les barques. Les ailes du soleil. (10 juin 2009)

Retour de concert

Quand on lit un roman, notre attention est requise par l’histoire, on veut en connaître la fin. Mais quand la lecture est finie, que du temps est passé, ce qu’il en reste dans le souvenir se réduit à des images. On aime le roman, dans le souvenir au moins, pour ce qu’on y voit, et qui se voit comme dans l’encadrement d'une fenêtre; dans le train de La Bête humaine , c’est la fenêtre qui laisse entrevoir, à l’intérieur d’un compartiment éclairé dans la nuit, une scène de crime; dans tous les cas, des images floues, aux contours imprécis, auxquelles nous aurions du mal à ajouter un titre, à l’intérieur desquelles les personnages ne sont pas arrêtés mais se déplacent, glissent en silence, mus par quelque mécanisme dont les ressorts nous échappent. Surprenant l’intérieur d’un appartement, un soir d’automne, comme nous passions sous ses fenêtres en rentrant du concert et qu’il commençait à pleuvoir. Soir humide d’octobre, quand la saison des concerts a commencé et qu’on est un dimanche....

L’enquête

Il s’installe dans une ville qu’il ne connaît pas, où il n’était jamais venu, pour écrire un livre qui sera un portrait (description) de cette ville: un ouvrage de commande, où l’on trouvera les récits des rencontres qu’il fera avec certains habitants, dans certains lieux, le tout augmenté de transcriptions d’interviews. Il habite cette ville une année durant, loge dans un appartement qui est la propriété de son éditeur, dont celui-ci a hérité sans l’avoir jamais occupé, explique-t-il, où il lui est arrivé de rendre visite à ses parents (les parfums confinés dans le recul et la demie obscurité de leur chambre, un miroir au-dessus de la cheminée, sur la tablette, des peignes et des brosses, quelques objets de culte), mais où il n’a jamais dormi et où il n’est pas retourné depuis le décès de son père, voici longtemps. L’éditeur lui donne la clé et dit: “Tu verras, tu ne manqueras pas de place pour installer ton matériel”. Un appartement beaucoup trop vaste pour les besoins d’un journali...

Neige et sable

J’ai suivi la berge du torrent dans les éclats de pierre, la neige puis le sable encore. La montagne dominait ma course. Le jardinier habite les allées, le serpent reste caché, les oiseaux immobiles sur les branches basses. La ville est à l’embouchure du fleuve, au soleil maintenant. Dans la neige et le roc, l’eau qui surgit écumeuse, cascade vers la plaine. Je souris au visiteur. Des jeunes gens se promènent dans les jardins qui dominent la ville. Tu te promènes l’après-midi dans les jardins qui dominent la ville. Tu t’inquiètes de la sécheresse, de l’état des cultures, je te réponds de mon mieux. Je te montre les fruits qui alourdissent les branches, le bassin d’arrosage, les canaux d’irrigation. Le soir nous trouve assis contre le mur de la maison.  L'orangeraie se situe dans la vallée qui s'étend derrière la ville, plusieurs kilomètres en amont. Le jardinier habite une cabane de pisé, au cœur de l'orangeraie.  On m’avait parlé de lui, de ce qu’il pouvait savoir sur l’af...

Les justes

J’ai joué aux échecs chaque samedi après-midi, dans un bistrot de banlieue, avec un ami toujours le même. Il prenait l’autobus au cœur de la ville et j’attendais son arrivée derrière la vitre du café en disposant les pièces. Je ne me souviens pas de quoi se nourrissaient nos conversations pendant ces parties interminables, seulement du bruit des camions qui passaient sur la route. Le soleil nous brûlait la joue. Un poste de télévision était installé derrière le comptoir, parmi les bouteilles d’apéritifs, où passaient en continu des clips de chansons. Les buveurs levaient des regards absents au-dessus de leurs verres pour suivre, dans la fumée des cigarettes, les déhanchements en couleurs criardes d’une chanteuse que le bruit de la circulation rendait presque muette.

Chauve-souris

La plus grande partie de mon enfance se passe à Nice. Mon père est violoniste à l’opéra, ma mère mannequin, souvent absente. Nous habitons un appartement grand et vétuste de la rue Cronstadt. Ma grand-mère paternelle habite avec nous. Elle s’occupe du ménage. J’ai treize ans, je suis élève au lycée du Parc Impérial. Je m’y rends chaque jour par le boulevard Gambetta. Puis je tourne dans les ruelles qui grimpent en escaliers entre les murs des villas. Elle me conduisent jusqu’à l’entrée du parc. Ses plates-bandes et palmiers. L’ancien palace transformé en hôpital militaire lorsqu’il s’est agi d’accueillir les trop nombreux blessés de la Première Guerre mondiale. Dans la pénombre du hall, l’impression que le sol se dérobe sous vos pieds, que vous devenez aveugles tant la lumière du dehors vous a ébloui. Le professeur de sciences naturelles fait tirer les lourds rideaux de toile noire pour nous projeter des photographies. Elles représentent des méduses, des coupes de cellules microbiennes...

Il neigeait

La nuit, la fenêtre éclairée au dernier étage de l’immeuble qui s’élevait de l’autre côté de la cour paraissait suspendue dans le ciel. D’où je me tenais, je ne voyais qu’un plafond. Selon mon humeur, il m’arrivait d’imaginer dans ce décor des scènes d’amour ou d’étude. Puis la révolte éclata. Elle fit des centaines de victimes dans les rues étroites de la vieille ville, alentour du palais, et j’appris par les journaux que la fenêtre éclairée en figurait le centre. Ce logement était celui d’un jeune professeur de philosophie venu d’ailleurs. Les réunions avaient lieu dans la pièce éclairée qui lui servait tout à la fois de chambre et de bureau. On racontait qu’il offrait du thé et des cigarettes à ses hôtes. Que, parfois, pour des raisons de sécurité, le groupe préférait se partager le lit et l’unique fauteuil dans l’atmosphère empuantie par le tabac, jusqu’au matin. Une jeune femme fut arrêtée, porteuse d’une bombe. Elle avait été l’élève du philosophe et sa maîtresse. Je n’étais qu’u...

Pierre Lanteri

Pierre Lanteri apparaît accompagné par un capitaine de gendarmerie. Arrivé à l’hôtel de ville, il demande à voir monsieur le maire. On doit aller quérir celui-ci aussitôt, quitte à fermer la mairie, le temps qu’il faudra pour le trouver, et la secrétaire accourt à la scierie qui est à la sortie du village, sur la route du col, et d’où, bientôt après, l’édile redescend le cou nu, la chemise trempée de sueur, en courant presque, sous une petite pluie d’octobre qui sent le champignon et le cierge, à vous glacer les os. Les deux hommes restent enfermés, seul à seul, un peu moins d’une heure, à la suite de quoi il est annoncé que Pierre Lanteri aura accès aux livres de comptes, aux registres d’archives, qu’il logera dans l’ancien cabinet médical, où lui sera dressé un lit et où on lui fera apporter ses repas, sauf ceux, bien sûr, qu’il souhaitera aller prendre à l’auberge. Il demeure tout l’hiver. Le soir, dans la grande salle à manger de l’auberge, il regarde jouer aux cartes et au billard...

Des armes, des algues

Il effectue la dernière partie de son voyage assis sur des rouleaux de fil de fer, à l’arrière d’une camionnette, sous une bâche délavée. Il n’est guère plus de midi, c’est le mois le plus chaud de l’année. Aux cahots de la route, il dodeline du buste et de la tête. Puis la voiture s’arrête, le conducteur en descend et vient le réveiller. Il annonce: “Kilomètre 32”. Le voyageur remercie, il descend à son tour en clignant des yeux. La camionnette repart. Il reste seul au milieu de la route, le sac marin à ses pieds. Il sonne à la grille, un chien accourt et se jette contre la grille en aboyant. Un homme apparaît, grand, en slip de bain et tricot de tennis, la peau brunie par le soleil. Il sourit. Il écarte le chien pour ouvrir la grille et invite le voyageur à entrer. Il l’embrasse. Il dit: “Je suis heureux de te revoir, Madeleine aussi sera contente.” Une petite gare désaffectée (le train passait donc si près de la mer). Pas d’électricité, on y dîne aux bougies, sur une véranda qui dom...

Jeunes amants

Elle est autrichienne et lui français et ils voyagent en Italie. Ils se confondent, tant que dure l’été, à la foule des touristes. Puis l’été se termine et ils continuent de se déplacer d’une ville à l’autre, avec obstination, comme si, plutôt que d’admirer les vestiges du passé, ils avaient à cœur d’égarer quelque improbable poursuivant. Un matin ils descendent du train, on les voit apparaître sur le quai d’une gare, les bras encombrés de valises et de cartons à chapeaux. Le nom de la ville importe peu. Elle est ancienne mais de moindre prestige. Ils y louent une chambre. Deux jours se passent avant que la jeune femme évoque le nom d’un médecin. C’était un ami de son père, il a quitté Salzbourg avant que la guerre n’éclate, il demeurerait ici. Elle se souvient du son de sa voix, qu’il s’adressait à elle comme si elle eût été une grande personne. Pas grand, le regard clair derrière des lunettes cerclées, épaisses comme des loupes. Son ami l’encourage à lui faire une visite. Elle hésite...

Vers la fin de la nuit

Vers la fin de la nuit, nous descendons à pied dans un quartier ancien. Nous sommes vêtus de pyjamas, les rues sont désertes. Ma femme me montre un square où nous pourrions nous étendre. Nous en passons la grille. L’obscurité nous accueille sous les branches, mais au-dessus le jour se lève et nous risquerions d’être surpris. Au sommet du square, le dominant de très haut, une cité HLM. Nous sommes éblouis par la blancheur des constructions. Au pied de la muraille de la ville fantôme, nous découvrons un terrain vague où des enfants disputent un match de football. Ils ne jouent pas sur une pelouse mais dans la terre, une cuvette que leurs jeux ont creusée assez profond et sur le bord de laquelle nous nous tenons debout, l’un près de l’autre comme sur les gradins d’un stade. Les deux équipes sont de onze joueurs chacune, le terrain présente les dimensions réglementaires et le match est arbitré par d’autres enfants attentifs et précis, qui usent de sifflets. Pas une parole échangée, pas l’...

Filiation

Il y a toujours eu des fautes d’orthographe dans les lettres de mon fils, et, à chaque occasion, c’était une souffrance pour moi de le constater. Je ne pouvais les mettre sur le compte de l’ignorance, ayant eu loisir de lui servir de maître, à tout le moins pour ce qui concernait la chose écrite, ses autres professeurs ayant si peu compté. Mais aussi bien celles-ci me faisaient-elles craindre que ce double qui s’était éloigné de moi et qui avait rendu mon nom célèbre sur les scènes les plus prestigieuses d’Europe où il était prié et payé à prix d’or pour monter des spectacles, ne fût en fin de compte qu’un vil usurpateur. C’était un doute qui m’obsédait, si bien que, dans ses lettres, je ne voyais plus qu’elles: d’étranges aberrations, dont le nombre d’ailleurs n’était pas excessif mais d’une nature telle, pas toutes d’inattention, qu’elles m’empêchaient de lire. Elles faisaient de chacune de ces missives un paysage de cauchemar, peuplé de monstres grimaçants, que je parcourais trop vi...