Accéder au contenu principal

Il neigeait

La nuit, la fenêtre éclairée au dernier étage de l’immeuble qui s’élevait de l’autre côté de la cour paraissait suspendue dans le ciel. D’où je me tenais, je ne voyais qu’un plafond. Selon mon humeur, il m’arrivait d’imaginer dans ce décor des scènes d’amour ou d’étude. Puis la révolte éclata. Elle fit des centaines de victimes dans les rues étroites de la vieille ville, alentour du palais, et j’appris par les journaux que la fenêtre éclairée en figurait le centre.

Ce logement était celui d’un jeune professeur de philosophie venu d’ailleurs. Les réunions avaient lieu dans la pièce éclairée qui lui servait tout à la fois de chambre et de bureau. On racontait qu’il offrait du thé et des cigarettes à ses hôtes. Que, parfois, pour des raisons de sécurité, le groupe préférait se partager le lit et l’unique fauteuil dans l’atmosphère empuantie par le tabac, jusqu’au matin.

Une jeune femme fut arrêtée, porteuse d’une bombe. Elle avait été l’élève du philosophe et sa maîtresse. Je n’étais qu’un magister de l’école publique et, quand j’avais préparé ma classe du lendemain, que ma femme et mes enfants dormaient, que tout était éteint et silencieux chez moi, et même quand il neigeait, quitte à m’emmitoufler dans quantité de chandails et de cache-nez et me coiffer d’un bonnet ridicule, je sortais fumer une pipe sur mon balcon.

La prudence et la fatigue, presque un dégoût, m’avaient empêché de me mêler à la révolte, mais je songeais au philosophe. Son portrait et celui de la porteuse de bombes furent publiés dans les journaux. C’étaient des photos déjà anciennes. Elles montraient un jeune homme et une jeune fille dont on aurait pu croire qu’ils étaient frère et sœur, des êtres à peine sortis des forêts imaginaires de l’enfance, d’une légèreté, d’une transparence presque irréelles.

Comme pour me rendre le personnage du philosophe plus proche encore, le hasard voulut que je me souvienne d’une étude concernant Guillaume d’Ockham qui était parue, signée de lui, quelques semaines auparavant, dans une très savante revue de l’université. Son nom m’était alors inconnu mais, pour le plaisir ou par défi, j’en avais annoté le texte difficile au crayon rouge.

_______________
_______________

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Vampire

Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain, elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs cannes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas su...

Valeur des œuvres d'art

En quoi consiste la valeur d'une œuvre d'art? Pour répondre à cette question, je propose le schéma suivant qui distingue 3 points de vue différents: V1 - Valeur d'usage V2 - Valeur de témoignage V3 - Valeur de modèle V1 - Valeur d'usage . Elle tient à l'usage que l'amateur peut faire de l'œuvre dans l'ignorance, ou sans considération de la personne qui l'a produite, ni des conditions dans lesquelles elle l'a fait. Cet usage peut être hasardeux, très occasionnel, mais il peut être aussi très assidu et, dans les deux cas, provoquer de puissantes émotions. Ainsi, pour des raisons intimes, une simple chanson peut occuper une place importante dans notre vie, sans que, pour autant, nous nous soucions de savoir qui en a écrit les paroles ni composé la musique. Cette valeur d'usage est très subjective. Elle tient en partie au moins à la sensibilité du récepteur (celle qu'il montre aux thèmes, au climat, au genre illustrés par l'artiste), ains...

Projections du Grand Meaulnes

Augustin Meaulnes s’enfuit de l’école du village de Saint-Agathe en Sologne, où il est pensionnaire, au chapitre 4 de la première partie du roman. Nous sommes alors en décembre, quelques jours avant Noël. Et il y est de retour quatre jours plus tard, au chapitre 6 de la même partie. D’abord, il ne dit rien de son escapade. Puis, une nuit, vers le 15 février, il en fait le récit à son camarade François Seurel, le narrateur, qui est le fils du couple d’instituteurs. Et c’est ce récit que François nous rapporte, remplissant avec lui les 10 chapitres (8 à 17) qui suivent, et à l’issue desquels se clôt la première partie. Au début de ce récit (1.8), François prend soin de déclarer que son ami ne lui a pas raconté cette nuit-là tout ce qu’il lui était arrivé sur la route, mais qu’il y est revenu maintes fois par la suite. Et cette précaution me paraît de la plus haute importance, car elle est un indice. Elle s’ajoute pour donner une apparence de crédibilité à un récit qui par lui-même est in...