Ensuite, tout s’est passé très vite, en moins de deux heures. Nous arrivions à Nice quand les tueurs ont appelé une première fois sur le téléphone de Violaine. Celui qui parlait a dit: “Nous avons votre fille. Nous vous la rendrons quand nous aurons récupéré l'argent.” Il parlait en anglais, d’une voix à la fois précise et nonchalante. Il a demandé à Violaine d’ouvrir le haut-parleur pour que j’entende aussi. Ils savaient que nous étions en voiture et ils savaient que je tenais le volant. Violaine a hurlé: “Vous l’avez tué! Pourquoi? Que voulez-vous?” Plusieurs fois elle a tenté de protester mais le connard au téléphone ne lui en laissait pas le temps. Il a dit encore, de la même voix indifférente: “Votre père est parti avec la caisse. Il savait qu’il était malade, qu’il allait mourir, l’argent qu’il a volé était pour vous.
— Mais je ne sais pas de quoi vous parlez! Je n’ai pas cet argent!
— Nous allons vérifier.”
Il fallait que Violaine lui donne les identifiants de ses comptes bancaires. Violaine a tout de suite accepté: “Je les note et je vous rappelle. Vous verrez bien!
— Vous avez cinq minutes et c’est moi qui vous rappelle! Et vous me donnez aussi les identifiants des comptes du monsieur qui conduit.”
J’ai hoché la tête pour qu’elle accepte. Et cinq minutes plus tard, elle avait transmis tous les codes dont ils avaient besoin. En échange, elle a crié qu’elle voulait parler à Yvette, mais ils ont refusé. Ce serait tout à l’heure, quand ils auraient l’argent.
La banque de Violaine et la mienne ont demandé les autorisations nécessaires par des messages envoyés sur nos téléphones respectifs. Nous avons confirmé, puis ce fut le silence. Le téléphone du tueur ne s'était pas affiché sur celui de Violaine. Nous n’avions aucun moyen de les joindre.
Il n’avait pas été question de Mizuki. Si Mizuki n'était plus avec Yvette, où était-elle à présent? Elle seule pouvait savoir ce qui s'était passé. Où et quand. Et nous mettre sur la piste d’Yvette.
Violaine a essayé de l’appeler mais son téléphone sonnait dans le vide. Nous n’avions plus d’autre repère que l’appartement. J’ai pu joindre Philippe. Je lui ai rendu compte de nos échanges avec les ravisseurs, je lui ai dit aussi que nous nous trouvions arrêtés sur la voie Pierre Mathis où une collision entre plusieurs véhicules bloquait la circulation. Il m’a dit qu’il envoyait des hommes au Palais Longchamp.
Nous avons perdu une demie-heure peut-être dans l’embouteillage où les carrosseries chauffaient au soleil. Entre nous, pas un mot. Plus question des Beatles. Chacun gardait pour lui son angoisse et les images qui défilaient dans sa tête. Puis enfin, nous avons débouché sur la place Saint-Philippe et, à partir de là, deux kilomètres nous séparaient du but. Je n’ai pas traîné.
Voilà comment les choses se sont passées. Mizuki était morte assassinée dans la baignoire.
Quand nous sommes arrivés, j’ai vu les deux voitures de police et j’ai reconnu la vieille Jaguar de Philippe, toutes les trois garées en double file. Nous avons couru. Deux flics en uniformes nous ont arrêtés à l'entrée de l’immeuble. J’ai appelé Philippe. Il est descendu nous chercher. Il a dit: “Yvette n’est pas là mais Mizuki est morte!” Quand nous sommes parvenus à la porte de l’appartement, il a attrapé Violaine par le bras et il a dit: “Il est inutile que vous entriez!” Violaine n’a pas insisté. Elle pleurait, elle était défaite en même temps qu’elle essayait de garder son calme. Elle savait qu’Yvette avait besoin d’elle, qu’elle devait se concentrer sur le seul objectif qui la concernait encore.
Je suis entré. Deux hommes se tenaient debout dans la salle de bains. Ils m’ont dit qu’ils attendaient l'arrivée du légiste. J’ai à peine jeté un coup d’œil dans la baignoire. Le spectacle du corps de la jeune femme était insoutenable. Une vision de cauchemar. Il manquait juste la musique d’Angelo Badalamenti, et la présence sur la scène d’un nain grimaçant.
Quand je suis revenu à la porte, Violaine m’a dit: “Pourquoi ils ont fait cela, Quentin? Pourquoi ils s’en sont pris à Mizuki?” J’ai répondu: “Juste pour nous terroriser! Viens, sortons d’ici!”
Nous avons descendu à pied les deux étages. Puis, quand nous sommes sortis sur le passage qui oblique en retrait du carrefour, devant la façade de l’immeuble, le téléphone de Violaine a sonné de nouveau, et aussitôt elle s’est éloignée dans la rue Longchamp, comme si elle avait voulu que les deux flics en faction n’entendent pas.
Je l’ai suivie. Je l’ai prise par l'épaule et j’ai incliné ma tête sur la sienne, et elle ne m’a pas repoussé. La même voix a dit: “Vous avez vu?
— Oui, nous avons vu! a répondu Violaine. Où est Yvette?
— Nous savons que l’argent n’a pas été viré, vous êtes à découvert, mais il se peut qu’il le soit dans les heures qui viennent. Ou peut-être prendra-t-il un autre chemin. Nous devons attendre!
— Où est Yvette? Je veux parler à ma fille…”
Violaine n’avait pas fini sa phrase qu’Yvette s'était mise à crier: “Il faut venir me chercher, maman!
— Où es-tu, ma chérie? Dis-moi où tu es!
— Je ne sais pas où je suis, maman. Je suis dans le noir, avec les deux bandits, je suis dans un garage, et je m’étouffe, maman!
— Respire lentement! As-tu ta Ventoline?
— Je n’ai pas ma Ventoline et je m'étouffe, maman! Dis à Quentin de venir me chercher!”
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