Un père venu d’Amérique (8)

Elle m'a appelé en partant de Nice. Comme je n'ai pas pu lui répondre, elle m'a laissé un message: “Bon, j'y vais. Je te tiens au courant. Je te fais signe quand j'arrive. Souhaite-moi bonne chance! Bise."
Violaine ne conduit pas. Il fallait donc qu'elle ait pris un taxi. Et je me suis dit qu'à présent, elle était avec lui, et qu'elle avait alors bien d'autres choses à raconter et à entendre, d’autres idées en tête, et qu'elle m'appellerait plus tard, quand elle serait de nouveau seule dans sa chambre. Mais ce ne fut pas le cas. Et alors, j'ai commencé à m'inquiéter. Comment avait pu se dérouler la rencontre pour qu'elle tarde ainsi à m'en faire le récit? J'ai laissé le téléphone allumé à côté de mon lit. Je m'attendais à ce qu'il sonne, je me levais pour boire, pour regarder l’heure, pour regarder par la fenêtre d’où j’aperçois la boutique de Violaine, rue Longchamp, sa vitrine éclairée, si bien que je n'ai pas dormi, ou seulement d'un sommeil lourd vers trois ou quatre heures du matin. J'ai dû rêver. Ce n’étaient pas des rêves agréables. Je me disputais avec une femme. Je ne comprenais pas ses reproches. Ils semblaient s’adresser à un autre que moi. Il faisait chaud. Je me suis réveillé un peu après neuf heures et j'étais sous la douche quand le téléphone a sonné. Je l'ai rappelée. Elle était paniquée. Elle a dit: “Mon père n'est pas venu, Quentin, son téléphone ne répond pas!
— Reste calme!
— J'ai attendu toute la nuit, j'ai failli t'appeler, mais il ne s’agit plus de cette nuit, il s’agit ce qui vient de m’arriver maintenant, ici… Oh! Quentin, dis-moi que c’est un cauchemar…”
Elle éclatait en sanglots, sa voix s’étranglait. Je l’ai laissé reprendre son souffle, puis j’ai dit: “Explique-moi, Violaine! Je t'écoute! Que t'est-il arrivé?”
J’aurais voulu me moquer un peu d'elle alors, de sa frayeur! J’eusse été dans mon rôle. Mais je n’en avais pas le cœur, je savais déjà que la moquerie n'était pas de mise. Je crois que je tremblais, et elle a répondu: “J'ai peur, Quentin! Je suis remonté m'enfermer dans ma chambre, mais je suis sûre que les deux hommes sont encore là, au rez-de-chaussée, et qu'ils m'attendent!
— De quels hommes parles-tu? Voyons, je t’écoute! Qui sont-ils?
— Je ne les connais pas. Ils sont arrivés hier soir, je les ai remarqués. Et ce matin, ils étaient de nouveau là, dans la salle à manger, ils prenaient leur petit-déjeuner à une table voisine. Et ils me regardaient.”
Elle hoquetait. J'ai dit: “Mouche toi! Respire! Il faut que tu m’expliques, que je comprenne!
— J'essaye. Je veux dire que j'essayais d'avaler un café, et toutes les cinq minutes encore j’essayais d'appeler mon père! Mais son téléphone ne répondait pas, et puis, à un moment, les deux hommes se sont levés et l'un d'eux, en passant, a déposé une enveloppe sur ma table. Sans rien dire. Ils sont grands, costauds, ils se ressemblent, et ils parlent anglais avec un fort accent américain. Je les avais entendu parler entre eux. Quelques mots à peine que je ne comprenais pas. Puis ils se sont éloignés. Ils sont sortis. Je les ai vus allumer des cigarettes et marcher sur la route. Mais je suis sûre qu’ils ne sont pas partis.
— Tu as cette enveloppe?
— Je suis remontée à ma chambre pour l'ouvrir, et maintenant elle est là, devant moi...
— Que contient-elle?
— Trois photos, seulement trois photos, des petites photos carrées, prises avec un Polaroid. Mais c'est ce qu'on y voit, Quentin! Je ne peux pas te dire!”
Mon cerveau fonctionnait à toute vitesse. Il s’emballait. Tout ce que j'ai pu imaginer, la foule d’images que je voyais défiler. Mais il ne fallait pas que j'imagine! J'essayais de contrôler ma voix. J'ai dit: “Dis-moi, Violaine! Il faut que tu me dises!” Alors, elle m'a répondu, elle aussi en essayant de contrôler sa voix: “L'une montre mon père. Son visage seulement. Tel que je l’ai vu me parler sur l’écran de mon ordinateur. La seconde montre une voiture calcinée, dans un paysage désert, au milieu des rochers. Et la troisième est celle qui me fait le plus peur... Je l’ai vue, je t’assure, mais je ne peux pas la regarder!
— Dis-moi, Violaine, ce qu’on y voit! Il faut que je sache!
— La troisième, Quentin, montre Yvette! Tu entends ce que je te dis? C'est trop horrible! Elle montre ma petite fille, toute heureuse, qui rit et qui tient la main de Mizuki. Ensemble, elles traversent le hall de Nice-Étoile, au retour de l'école! Je suis glacée de terreur, Quentin! J'ai envie de vomir! Qu'est-ce que je dois faire?
— Tu ne fais rien. Surtout tu ne fais rien. Tu restes enfermée dans ta chambre, tu n'ouvres à personne, sous aucun prétexte, et tu m'attends. J'arrive!”




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