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Articles

Affichage des articles associés au libellé Marges

L'enfant, l'école et la langue

La fonction de l'école a toujours été de fournir aux enfants des dispositifs favorables à l’apprentissage de l'écrit. On fait entrer un groupe d’enfants dans la machine et, si la machine fonctionne bien, ils apprennent à lire et à écrire. Cela, nous le savons. Cela a été démontré par des millénaires de tradition dans toutes civilisations du monde qui disposent de l'écrit. Au centre de ces dispositifs, il y a le maître. Le maître est celui (ou celle) qui fait fonctionner la machine, ce qui suppose qu’il la connaisse bien, qu’il ait été formé à son utilisation, mais ce n’est pas lui qui l’a inventée, tout juste peut-il y apporter ici ou là tel minime perfectionnement, et dans la plupart des cas il n’a qu’une idée très approximative de la manière dont celle-ci opère sur ses élèves. Car savoir dans quelles conditions les enfants apprennent à lire et à écrire n’implique pas de savoir comment ni pourquoi ils le font. Et cette part de méconnaissance est bien inévitable par le fait...

L'école de la langue

L'être parlant est soumis à l’ordre de la langue . Il l’est depuis son plus jeune âge et jusqu'à son dernier souffle. Et il l’est quel que soit son milieu social, son niveau de culture et son désir éventuel de “faire péter les règles”. À l’intérieur de cet ordre, il trouve sa liberté mais il n’est pas libre de s’en affranchir. Pour autant, s’il y est soumis depuis toujours, ce n’est pas depuis toujours qu’il en a conscience. Le petit enfant parle comme il respire, ce qui signifie que la langue qu’il parle et qu’il entend est pour lui un élément naturel, au même titre que l’air. Et il parle aussi comme il bouge ses bras et ses jambes, ce qui signifie qu’il a le sentiment que cette langue lui appartient aussi bien que son corps. Et il reste dans cette douce illusion jusqu'au moment de sa rencontre avec l'écrit. L'école a pour mission de ménager cette rencontre et de la nourrir. Les personnes qui nous gouvernent, et qui souvent sont fort instruites, peuvent décider que...

Une affaire d'élégance

Ma cousine Marie-Claude qui dit un jour, au milieu d’un repas de famille (je devais avoir treize ou quatorze ans, et elle à peine plus vieille): “Christian, il ne marche pas, il danse”. Comme j’en ai été touché. Mais une élégance, un raffinement, qui ne s’opposent pas à la culture populaire, qui s’appuient sur elle, qui tendent à la promouvoir en la nourrissant de beaucoup de choses distinctives de ce qu’on appelle la culture bourgeoise. En la faisant échapper à tout ce qui m’a toujours paru vulgaire chez les gens riches, à ce qui est vulgaire chaque fois aussi qu’on veut montrer qu’on a des goûts élevés, qu’on est instruit. Pourquoi j’ai été tellement sensible à La Distinction de Pierre Bourdieu. Voir aussi mon Rêve de la cellule du PCF . Il m’arrive de dire ces derniers temps que je ne fais pas partie de ceux qui écrivent pour donner le change aux éditeurs, mais pour trouver un registre d’élégance (d’acceptation, de simplicité) qui me convienne.  Une conversation téléphonique, c...

De la Petite Madeleine

En psychanalyse, il y a le moment où tu racontes un rêve puis l’autre moment où, sur l’invitation du psychanalyste, tu te livres à des associations. Chaque élément du rêve donne lieu à une chaîne d’associations. Le récit du rêve peut tenir en quelques mots, les associations auxquelles il donne lieu sont potentiellement infinies. Et ces associations, tu ne les inventes pas, tu les découvres dans la mesure où elles étaient contenues dans le rêve. Si le rêve t'a frappé, t’a ému sans que tu saches d’abord pourquoi, c’est parce qu’il contenait cela aussi, et sans doute bien d’autres choses encore. Et c’est de la même manière que j'écris la plupart de mes textes auxquels j’ajoute le libellé d’ Apparitions , en particulier celui intitulé Affaire de style , écrit la nuit dernière.   J’en parlais hier avec Michel au téléphone, en déambulant entre les étaux du marché de la Libération, devant la gare du Sud, et Michel m’a fait remarquer que Proust ne dit pas autre chose dans le fameux pas...

Du non-dit

Il arrivera bien une fois qu'un journaliste nous dise que le Hamas peut hâter la fin du conflit en libérant les otages, ou pas? Le Hamas a pris en otages des Israéliens en même temps que tout le peuple gazaoui. En ne le disant pas, on ne sert pas les intérêts des Palestiniens, seulement ceux du Hamas. Il s'agit là d'une véritable manipulation de l'opinion française et internationale. Un jour les journalistes devront en répondre.

Cognitio Dei experimentalis

(i) L’idée qu’une créature puisse être sans témoin paraît inconcevable — non seulement quand il s'agit d'un être humain, ou de tout être vivant, mais aussi bien pour ce qui est d'une flaque de pluie dont le vent ride la surface, ou pour une pièce de métal abandonnée au bord d’une route de montagne, en plein midi. (ii) Telle créature singulière dont le hasard fait que je sois le témoin, creuse en perspective l’intuition de toutes celles qui restent ignorées de nous. (iii) Chaque créature, du moment qu’elle existe, revêt nécessairement une forme dont la précision du détail des lignes sculpte l'écriture du nom imprononçable par tout autre que Lui. (iv) Pour Dieu seul, il n’est de créature qui ne soit singulière. Lui ne connaît pas les arbres de la forêt mais chaque arbre en particulier, et de même pour les oiseaux du ciel, et de même à jamais pour nous. Et chacune possède un nom imprononçable par tout autre que Lui, dont l’écriture se lit en silence dans l’absolue précisi...

En marchant

Dans une interview qu’il donne à Télérama, Salman Rushdie cite le roman de Joseph Conrad, Le Nègre du Narcisse , où il est question d’un marin atteint de tuberculose que tout le monde évite, et auquel un autre marin demande: “Pourquoi es-tu monté sur le bateau, alors que tu te savais malade?”, à quoi le premier répond: “Il faut bien que je vive jusqu'à ma mort, non?” Je l’ai lu dans le tramway, en traversant la ville pour prendre mon premier café à la Brasserie Gaglio, place Saint-Francois. Nous sommes le samedi 20 avril 2024, il est huit heures et demie, le ciel est d’un bleu parfait, avec un petit air frais qui invite à la marche. Maintenant que j’ai bu mon café, je vais continuer à pied jusqu'au port. Arrivé au port, je me suis senti assez de force pour entamer la côte du boulevard Carnot en direction de Villefranche. Habiter le monde est une activité, peut-être la plus importante qui nous soit dévolue. Qui consiste à tirer le meilleur parti du milieu naturel et construit, e...

Des Impressions Imaginaires Génératives

Raymond Roussel a écrit un livre intitulé Comment j’ai écrit certains de mes livres . À sa manière, j’ai voulu comprendre et dire comment j'écris mes petites histoires. Un concept me manquait. J’ai un temps flirté avec celui d’ épiphanie , emprunté à James Joyce mais dont je n'étais pas certain de bien le comprendre ni qu’il correspondît à ma propre expérience en ce que, la concernant, je ne voyais rien y entrer de mystique. J’en ai donc inventé un que j'intitule “Impression Imaginaire Générative” (IIG) à propos duquel il m'a été facile ensuite d’aligner quelques propositions. Pour des raisons de clarté, j’ai donné à ma théorie un caractère impersonnel, encore qu’elle n’est fondée a priori que sur mon propre travail. Un cadre théorique plus large et plus robuste m’est fourni par le Tripode lacanien: Symbolique vs Réel vs Imaginaire. Je vois bien que le Réel ne trouve pas place dans mon schéma, ce qui n’a rien d’étonnant, mais l’opposition Symbolique vs Imaginaire me sem...

Stardust Memories

C’est aujourd'hui mon 73e anniversaire. Je le fêterai en me rendant sur la tombe de ma femme, au cimetière de Caucade, où je souhaite la rejoindre quand mon tour sera venu. Que puis-je espérer? De vivre le plus longtemps possible, ou de connaître une mort prompte et bienveillante, qui me trouve debout, au soleil? J’ai écouté hier, sur France-Culture, une émission consacrée à l’artiste Judith Scott , que je ne connaissais pas, à la suite de quoi j'ai fait des recherches la concernant, au hasard desquelles j’ai rencontré le terme de “cocons” pour qualifier ses œuvres, et je me dis que Nice-Nord est, lui aussi, un cocon. On a souligné à juste titre que F. Kafka n’avait pas lui-même détruit les écrits dont il a prétendu que son ami Max Brod devrait les détruire après sa mort. Au contraire, il semble les avoir conservés avec beaucoup de soin. Ainsi, que ses écrits ne fussent pas essentiellement destinés aux autres n'empêchait pas qu’ils remplissent une fonction personnelle. Cell...

Diptyque

Dans des quartiers reculés, aux maisons basses, des hommes sont assis aux tables des cafés. Un stylo à la main, ils relèvent des informations précieuses dans des journaux spécialisés. Ils connaissent les noms des chevaux et ceux des jockeys. Ils enregistrent leurs paris et ils les payent, puis ils sortent fumer des cigarettes sur le trottoir. Ils regardent le ciel. Le plus souvent le ciel est pâle, d’un bleu layette. Dans le vide de la rue, on entend le bruit d’une scie électrique ou d’un ponceuse. Une odeur de fer. Des carrés de jardins maraichers, des serres derrière la cour des ateliers. Puis ils reviennent se planter devant un poste de télévision fixé assez haut pour qu’ils doivent lever la tête. Debout, sans rien dire, ils assistent aux arrivées qui se disputent ailleurs, à grands coups de cravaches. Quand le résultat s’affiche, ils déchirent leurs tickets. Je me souviens d'André Salgues qui interprète le rôle du garagiste dans Le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Je me souvi...

Boulevard Franck Pilatte

Ils viennent passer deux ou trois jours ici. Ils se promènent en se tenant la main. Puis, quand ils voient le grand soleil, la couleur de la mer au pied des rochers, les adolescents qui sautent en riant du haut des rochers, ils sont troublés. Et plus tard ils s'arrêtent devant les vitrines des agences immobilières, et ils hochent la tête, sans rien dire. Quand je traverse le square Théodore de Banville, deux adolescentes assises sur un banc, l'une très maquillée, m'arrêtent pour me dire que mon K-Way est très beau. (J'avais emporté Léviathan , de Paul Auster.)

À propos de L'antiquaire

L'antiquaire m'a été donné ce matin par un rêve de réveil. Ce rêve ressuscitait un souvenir dont je date l'événement auquel il se rapporte de la fin de l'été 1992. Je l'ai noté aussitôt sur ma tablette, dans mon lit. Sa rédaction a été rapide. Certains éléments narratifs ont été ajoutés ou modifiés dans l'écriture. Ils se sont si bien imposés à moi que je serais incapable à présent d'en faire un partage précis. Disons que je ne venais pas chez cet antiquaire pour prendre un emploi comme le récit le laisse entendre. Nous avions rendez-vous mais je ne suis pas certain qu'il m'ait demandé de ne pas sonner. L'idée de la mer, toute proche, était-elle alors présente dans mon esprit? Je n'en suis pas certain non plus. Quant à l'idée de la pieuvre géante, elle est un pur produit du travail d'écriture. Ainsi, je me trouve en présence de trois couches sémantiques: (1) un évènement qui s'est réellement produit, dans le lieu que j'indiqu...

Des histoires

Les histoires font tenir ensemble, dans une chaîne de positions successives, des éléments (des personnages, des lieux, des faits) hétéroclites, qui contrastent ensemble comme les syntagmes dans la chaîne parlée. La force d’une histoire procède de la tension entre l'hétérocité des éléments qui la composent et l’unité qui les rassemble. Plus les éléments contrastent, plus elle est fidèle aux hasards de la vie. Il faut pour autant que la chaîne ne vienne pas à se rompre, que l’histoire garde son unité, que la vie continue. Pour que les éléments continuent de contraster poétiquement, il faut qu’ils s’inscrivent dans l’unité et la linéarité d’une chaîne. Sans quoi, ce contraste lui-même n’existerait plus. Les histoires donnent un sens à ce qui n’en avait pas. Et ce sens est d’autant plus précieux que les éléments qui les composent paraissent a priori incompatibles. Dans une histoire, les personnages accèdent à un destin. Ce qui apparaissait comme le fruit d’un hasard cruel, souvent trag...

La gloire de Robert Louis Stevenson

“À cette époque, je voyageais avec une petite charrette bâchée, une tente et un réchaud, cheminant tout le jour à côté du chariot et, la nuit, chaque fois que c’était possible, campant comme un romanichel dans un creux au milieu des collines, ou à la lisière des bois.” Le pavillon dans les dunes , dans la dimension de la nouvelle ou du court roman, regorge de mystères. Le narrateur, un certain Frank Cassilis, s’y présente lui-même, dès la première phrase, comme un grand solitaire en même temps qu’un vagabond, qui vit sur les routes, et même de préférence en dehors des routes, sur des chemins de campagne. Il dit :  “… je n’avais ni amis ni famille (…) et n’avais d’autre adresse que l’étude de mon notaire, où j’allais, deux fois par an, toucher ma rente. Cette vie suffisait à mon bonheur; et rien ne me plaisait comme la perspective de vieillir sur les routes et de finir mes jours dans un fossé” .  Ce thème du voyage solitaire fait écho pour nous, aujourd’hui, à la double fugue q...

Proust, Lacan et Wim Wenders

Marcel Proust, dans les toutes premières pages de la   Recherche , écrit: "Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes." En quoi j'entends que tout ce qui a appartenu aux années et aux mondes qu'il a traversés dans sa vie, se trouve, dans son sommeil, à égale distance de lui. Dans le souvenir que je garde d’une fiction narrative (roman, nouvelle ou film), les faits relatés apparaissent en désordre — ni dans l’ordre où ils se sont produits (dans l’histoire), ni dans celui où ils ont été racontés (dans le récit). Et cela n'a rien d'extraordinaire puisqu'il en va de même pour les souvenirs que je garde de ma propre existence. Non pas que je ne sache plus que cette image (photographie ou image mentale) que je garde d'une personne soit plus ancienne ou plus récente que telle autre, mais parce que l'image plus ancienne n'en a pas pour autant moins d'éclat, elle ne me revient pas nécessaireme...

L'œuvre ouverte de Sophie Calle

Concernant la manière dont le travail d’un artiste peut être perçu par le public, la façon dont il peut intéresser les autres, et je pense d’abord ici à des artistes comme Christian Boltanski ou Sophie Calle, dont l’œuvre est centrée sur leur propre expérience existentielle, sur leur propre imaginaire, il me semble que nous pouvons distinguer deux versants dont l’un reste étonnement inaperçu. Le versant bien visible est celui de l’énoncé, celui du contenu de l’œuvre. Et la question qui se pose à son propos est celle de savoir ce que le destinataire (disons le lecteur) peut y trouver qui le touche, qui le regarde, qui fait sens pour lui. L’autre versant, jamais évoqué, est celui du mode d’énonciation, ou de ce que, dans notre jeunesse marxiste, nous aurions appelé son “mode de production”. Et la question est alors de savoir comment l’artiste fabrique son œuvre, selon quels procédés, avec quels matériaux et quels outils — entendu que ce mode de production peut servir de modèle à des réce...

D'autres Michèle Soufflot

Une vieille amie, qui habitait rue du Soleil, tout près de chez moi, est morte il y a un an. Et souvent, en me promenant dans le quartier, je rencontre des femmes de son âge (et du mien) qui lui ressemblent. De loin, quand je les vois, je me dis: “Non, ce ne peut pas être elle”, et je me demande si son souvenir m'égare, ou si c’est le quartier qui veut qu’en effet elles paraissent des sœurs. Une escouade de nymphes vieillies qui se souviennent de leur jeunesse. À quoi ressemblent-elles? Toutes à Michèle Soufflot , ce qui signifie que leurs ressemblances ne sont pas seulement physiques. Elles étaient riches et jolies dans leur adolescence. Elles jouaient au tennis, elles avaient des amoureux, elles organisaient des surprises parties chez leurs parents au cours desquelles, les volets tirés, on dansait sur la musique du Procol Harum. Elles gardent à présent la minceur des danseuses et elles font du yoga.