— Qu’allez-vous faire là-haut?
Sa question était improbable et totalement inadaptée. À un autre moment je lui aurais répondu que cela ne le regardait pas, mais peut-être avais-je envie de parler de l’endroit où j’allais. Personne jusque-là ne m’avait donné l’occasion de le faire. Depuis combien d'années effectuais-je le même trajet, semaine après semaine, et maintenant j’étais vieux. J'essayai de lui répondre de manière précise. Ce n’était pas le moment de tomber dans le sentimentalisme. Je dis:
— Je vais enseigner la lecture à des enfants. Ce sont de pauvres enfants, voyez-vous. Ils vivent dans un foyer de ce qu’on appelait autrefois l’assistance publique, et le soir est toujours un moment difficile pour eux. Alors je leur raconte des histoires, je leur lis des poèmes, je leur chante des chansons anciennes, et je leur montre des mots tirés de ces chansons.
Il m’avait écouté en hochant la tête. Il dit:
— C’est bien ce que je pensais. On m’a parlé de vous, et des enfants, bien sûr. Je n’étais pas certain que vous existiez vraiment. Mais, ce soir, je dois vous rappeler que cet autobus sera le dernier sur la ligne. Il fera demi-tour au plus haut de la cité et, si vous ne l’attrapez pas, il vous faudra redescendre à pied.
Je ne me souviens plus comment, ce soir-là, s’est passée ma visite, seulement qu’ensuite, quand je suis redescendu, il faisait froid et que parfois j’apercevais un éclat de mer sous les nuages lourds, au bout des rues.
(4 décembre 2019)
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