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Le pitre

Le violon quelquefois fait le pitre. Et il est toujours un peu gênant, pour moi, de le voir faire le pitre. 

C’est pour moi un souci. J’ai appris le violon parce qu’il fallait que je fasse de la musique. Une dame venait donner des cours de solfège gratuits, le soir, à l'école Vernier où j'étais élève, et comme pour d’autres, elle a proposé un jour à mes parents de me donner aussi des leçons de violon. Cela se ferait chez elle et il faudrait payer un peu. Mon père a hésité, il aurait préféré que ce soit de l'accordéon, mais ma mère a insisté. C’est à elle que je dois mon prénom. Appeler Christian, à Alger, en 1951, un garçon au patronyme napolitain, cela aurait pu être un motif de divorce. Dans la lignée de mon père, j’aurais dû m’appeler Paul (Paolino), qui était le prénom de mon grand-père et qui reste mon deuxième prénom. Mais elle ne tenait pas à ce que je m’inscrive trop étroitement dans cette lignée. Elle avait ses raisons, on devine lesquelles si on est familier, par exemple, du cinéma de Martin Scorsese (merci de ne pas prononcer ce nom comme s’il s'écrivait “Scorcese”). Si je m'étais prénommé Paul, sans doute aurais-je appris l'accordéon, ou la guitare, ou la mandoline, et ma vie aurait été différente, mais je me prénommais Christian et je suis devenu un violoniste. Et ce violoniste a été initié dès l’enfance à la musique de J.S. Bach qui entrait en conflit ouvert avec le Bel canto hérité de la tradition paternelle. Et maintenant, je suis vieux et je ne choisis plus.

Mais il n’en reste pas moins que, quand le violon en fait trop, qu’il s’exhibe, je suis un peu gêné. J’ai envie de dire à l’artiste: “Arrête, ne fais pas cela, tu n’as pas besoin de faire cela, tu te fais du mal, tu sais, on t’aime, tu n’as rien à prouver!” Ou je me dis qu’il est si pauvre, peut-être, qu’il a besoin d’épater des imbéciles. Et, dans ce cas, j’ai envie de lui dire: “Viens à la maison, nous partagerons une bouteille de vin rouge, du pain, de l’huile d'olive, du parmesan et une tomate que nous frotterons sur le pain. Et puis, après, nous ferons de la musique!”

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