Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain, elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs canes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas sur le carrelage. Du battement de leurs cornettes. Et moi, criant en silence derrière elles qu’elles ne devaient pas avoir peur, que je ne leur voulais aucun mal. Qu’aurais-je pu leur faire? Dites-moi. De quel mal aurais-je été capable, moi qui ne suis capable de rien que regarder les autres et traverser les murs? Sans doute était-ce mon apparence. Plus tard, il y a eu les portraits-robots de moi affichés sur les murs. Quand ils se sont mis à me chasser. Ne me demandez pas combien de temps il a fallu avant qu’ils ne m’attrapent et qu’ils m’enferment, le temps ne compte pas pour moi, ni comment ils s’y sont pris, par quel stratagème, je ne saurais vous le dire. Je ne sais pas. Ou peut-être qu'un jour je vous le dirai, si la vérité de la chose me revient à l’esprit. Pour l’heure, je dis juste que les malades, quant à eux, n’avaient pas peur de moi. Que je pouvais rester assis à leur chevet des nuits entières sans qu’ils protestent. Sans qu’ils s'en plaignent. Mais aussi que, le plus souvent, ils ne me voyaient pas. Je traversais un couloir, j’entrais par une fenêtre. J'étais assis à côté du lit d’un malade, j’avais passé la nuit à son chevet, et à l’aube une infirmière entrait dans sa chambre, elle commençait par ouvrir les rideaux, puis elle revenait près de son lit pour voir s’il n'était pas mort, en posant une main sur son front, en lui prenant la main pour lui tâter le pouls, sans voir que j'étais assis là à les regarder. Alors, comme elle ne me voyait pas et comme elle ne m’aurait pas davantage entendu, je me levais et je quittais la chambre, avec l'idée de m’occuper ailleurs, comme je pourrais, jusqu'au soir où, franchissant de nouveau les hautes grilles de l’hôpital, sous l’enseigne en fer forgé à-demi décrochée de ses chaînes, je reviendrais ici comme au turbin. Les après-midi étaient longues, j’en passais une partie à me promener sur les boulevards, une autre, assis dans des fauteuils de velours, à avoir peur, à rire comme un tordu, à pleurer comme une Madeleine, en mangeant des cacahuètes devant un écran de cinéma.
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J'adore ce texte, je vais me l'accaparer !
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