Il se passe en musique quelque chose de très différent de ce qu’il se passe en poésie. Un poème, même bref (disons un sonnet), n’existe que dans son déroulement, comme un tout. Il faut l’avoir lu dans son entier pour savoir si on l’aime ou si on ne l’aime pas. Ou ce peut être un seul vers ou deux, mais même un seul vers se déroule dans le temps, pour la bonne raison que la parole elle-même se déroule dans le temps. Tandis que, dans la musique classique (savante et populaire), il n’en va pas de même. Celle-ci se déroule dans le temps, et c’est alors ce qu’on appelle la mélodie, qui s’étudie dans les conservatoires au titre du contrepoint, mais elle existe aussi dans l’instantanéité de son harmonie, c’est-à-dire dans la dimension verticale (synchronique) de sa tonalité (ou de sa modalité, s’il s’agit de musique modale).
Il suffit à un Espagnol d’entendre un seul accord de guitare pour savoir qu’il est chez lui et en frémir de la tête aux pieds. Je parle du mode phrygien qui est une gamme diatonique correspondant à une gamme majeure commencée par le troisième degré, qui s'incruste dans la musique de Miles Davis pendant la période d’un an ou deux, centrée sur l’album Sketches of Spain (1960).
Il ne serait sans doute pas tout à fait faux de dire qu’en musique, la mélodie occupe le second rang derrière l’harmonie. Ainsi, il paraît bien évident qu'on peut entendre le premier mouvement de la sonate de Beethoven dite "Au clair de lune" comme une longue variation sur la tonalité de do dièse mineur égrenée en arpèges dans les premières mesures. Et quand les maîtres de la cité songent à interdire la musique, ce n’est pas à des mélodies qu’ils s’en prennent d’abord, mais à certaines tonalités ou certains modes qu’ils jugent par eux-mêmes trop lascifs.
Dans le contrepoint, il existe une construction qui peut être jugée habile ou qui peut l’être moins. Elle se prête au jugement, à la critique, elle contient quelque chose de rationnel. Tandis qu’une tonalité (comme peut être le rythme) ne se juge pas. Elle vous touche ou elle ne vous touche pas. La mémoire de votre corps y adhère ou elle n’y adhère pas.
En cela, la musique est plus sauvage. Elle tient au Réel.
Ajoutons, pour nuancer ce propos, qu'un poème, une fois lu dans son entier, peut s'imprimer dans la mémoire comme une seule harmonie de couleurs, ou comme un seul accord de notes. Mais cette harmonie de couleurs, ou cet accord de notes auront été ceux inventés par l'auteur, tandis que, dans le cas de la musique, pour ce qui concerne la tonalité, l'auteur en hérite, et notre adhésion ou notre refus personnel tient d'abord à notre propre héritage imprimé dans la mémoire du corps.
Dvorah Massa-Adachihara chante en judéo-espagnol, Yo m'enamori d'un aire
Concernant la «hiérarchie» entre Melodie et harmonie, il est important de préciser qu’elle varie suivant les pays et les époques…L’Italie restera pour toujours avec son Bel Canto, le pays où la Melodie prime sur l’harmonie. L’orchestre symphonique est au service de l’Air chez Verdi, Rossini, Bellini…En France, l’harmonie revêt une toute autre importance chez Debussy qui « noie » le ton , dans Pelleas et Melissande, par exemple où la mélodie laisse place à du parler-chanter…L’harmonie avec de constantes modulations reprend le dessus…Et si on fait un petit saut en Allemagne, on assiste à une destruction totale de l’harmonie chez Schoenberg par exemple dans sa musique atonale où les piliers harmoniques ont complètement disparu et la mélodie a laissé place au spreachgesang…Melodie et harmonie se sont affrontées à différents moments de l’histoire de la Musique prenant à tour de rôle l’avantage l’une sur l’autre…
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