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3. The Bling Ring

Le lendemain matin, je me suis réveillé tard, et tout de suite j’ai su que je ne retournerais pas au boulevard de la Libération. Ce que Daphné m’y avait dit, je m’en souviendrais un jour, et il serait bien temps alors que je le sache, ou bien je ne m’en souviendrais pas et ce serait sans importance.

Je suis descendu me promener sur le Vieux Port et bientôt j’ai eu l'idée d’aller déjeuner à la brasserie Le Grillon, sur le cours Mirabeau, à la suite de quoi je rentrerais à Nice pour me coucher et dormir.

Le Grillon était un lieu que nous regardions de l’extérieur, quand nous étions jeunes, pendant les deux années où nous avons habité là-bas, rue de l’Aumône-Vieille, parce que nous étions trop pauvres alors pour nous y asseoir. Mais nous ne manquions pas d’y prendre nos repas chaque fois que, par la suite, nous retournions à Aix pour faire des emplettes et célébrer notre passé. Et, depuis cinq ans, j’avais évité d’y faire le pèlerinage que je me sentais capable de faire à présent. Un peu sans réfléchir.

J’ai donc repris l’autoroute et j’ai déjeuné au Grillon. Le steack tartare accompagné de frites et d’une demi-bouteille de saint-amour était aussi parfait que dans mon souvenir, mais il dépassait l'appétit du vieil homme que je suis devenu, après quoi j’ai renoncé à la tarte au citron. J’ai commandé un café serré et je suis parti.

Je ne suis pas retourné rue de l’Aumône-Vieille. J’avais juste assez de force et de lucidité pour retrouver ma voiture dans le parking souterrain où je l’avais laissée, mais il a fallu que je passe par la rue Laroque où se trouve Le Mazarin, et là j’ai vu qu’on y donnait The Bling Ring de Sofia Coppola, et comme le film ne devait pas tarder à commencer, et comme il faisait trop chaud, que le soleil était éblouissant et que mes jambes ne me portaient plus, j’ai payé ma place et je suis entré.

Autant le dire tout de suite: j’avais une histoire avec Sofia Coppola. Quelques années auparavant, une amie m’avait commandé un livre sur elle. Pas une œuvre monumentale, juste cent pages d'évocation personnelle, qu’elle ferait paraître dans la collection qu’elle dirigeait et qui était très à la mode, et j’aurais accepté sa proposition avec plaisir si je n’avais pas eu alors un autre fer au feu. Une autre commande qui me tenait à cœur et qui concernait David Hockney.

The Bling Ring était un film que j’avais déjà vu au moment de sa sortie, et cet après-midi-là je l’ai revu, dans les moments du moins où je ne dormais pas sur mon fauteuil, dans la salle obscure à peu près vide, ce qui n’a pas empêché qu’en sortant de la salle je me sente très impressionné par ce que j’avais vu, sans trop savoir pourquoi, et à qui aurais-je pu essayer de le dire, de le formuler aussi clairement que possible, comme nous avions la si vieille habitude de le faire, l'un pour l'autre, en sortant d'un cinéma, maintenant que j'étais seul? Et c’est alors que l’histoire a véritablement commencé, avant même que Daniel ne me parle de l'étrange affaire à laquelle il se trouvait mêlé au titre improbable de détective amateur. 

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