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Articles

Un père venu d’Amérique

Quand Violaine est rentrée, il devait être un peu plus de minuit, et j’étais en train de regarder un film. Le second de la soirée. À peine passé la porte, j’ai entendu qu’elle ôtait ses chaussures et filait au fond du couloir pour voir si Yvette dormait bien. Dans la chambre, j’avais laissé allumée une veilleuse qui éclairait les jouets. Violaine l’a éteinte et maintenant l’obscurité dans le couloir était complète. Et douce. Elle est venue me rejoindre au salon. Elle s’est arrêtée sur le pas de la porte. Pas très grande. Mince pas plus qu’il ne faut. Yeux noirs, cheveux noirs coupés à la Louise Brooks. Elle a dit: “Tout s’est bien passé? — À merveille. — Elle n’a pas rechigné à se mettre au lit? — Pas du tout. Je lui ai raconté une histoire et elle s’est endormie avant la fin. — Elle n’a pas réclamé sa Ventoline? — Non. D’abord, elle est restée assise dans son lit, et j’ai vu qu’elle concentrait son attention pour respirer lentement. Elle m’écoutait à peine, puis elle a glissé sous le ...

L'enfant, l'école et la langue

La fonction de l'école a toujours été de fournir aux enfants des dispositifs favorables à l’apprentissage de l'écrit. On fait entrer un groupe d’enfants dans la machine et, si la machine fonctionne bien, ils apprennent à lire et à écrire. Cela, nous le savons. Cela a été démontré par des millénaires de tradition dans toutes civilisations du monde qui disposent de l'écrit. Au centre de ces dispositifs, il y a le maître. Le maître est celui (ou celle) qui fait fonctionner la machine, ce qui suppose qu’il la connaisse bien, qu’il ait été formé à son utilisation, mais ce n’est pas lui qui l’a inventée, tout juste peut-il y apporter ici ou là tel minime perfectionnement, et dans la plupart des cas il n’a qu’une idée très approximative de la manière dont celle-ci opère sur ses élèves. Car savoir dans quelles conditions les enfants apprennent à lire et à écrire n’implique pas de savoir comment ni pourquoi ils le font. Et cette part de méconnaissance est bien inévitable par le fait...

L'école de la langue

L'être parlant est soumis à l’ordre de la langue . Il l’est depuis son plus jeune âge et jusqu'à son dernier souffle. Et il l’est quel que soit son milieu social, son niveau de culture et son désir éventuel de “faire péter les règles”. À l’intérieur de cet ordre, il trouve sa liberté mais il n’est pas libre de s’en affranchir. Pour autant, s’il y est soumis depuis toujours, ce n’est pas depuis toujours qu’il en a conscience. Le petit enfant parle comme il respire, ce qui signifie que la langue qu’il parle et qu’il entend est pour lui un élément naturel, au même titre que l’air. Et il parle aussi comme il bouge ses bras et ses jambes, ce qui signifie qu’il a le sentiment que cette langue lui appartient aussi bien que son corps. Et il reste dans cette douce illusion jusqu'au moment de sa rencontre avec l'écrit. L'école a pour mission de ménager cette rencontre et de la nourrir. Les personnes qui nous gouvernent, et qui souvent sont fort instruites, peuvent décider que...

Une affaire d'élégance

Ma cousine Marie-Claude qui dit un jour, au milieu d’un repas de famille (je devais avoir treize ou quatorze ans, et elle à peine plus vieille): “Christian, il ne marche pas, il danse”. Comme j’en ai été touché. Mais une élégance, un raffinement, qui ne s’opposent pas à la culture populaire, qui s’appuient sur elle, qui tendent à la promouvoir en la nourrissant de beaucoup de choses distinctives de ce qu’on appelle la culture bourgeoise. En la faisant échapper à tout ce qui m’a toujours paru vulgaire chez les gens riches, à ce qui est vulgaire chaque fois aussi qu’on veut montrer qu’on a des goûts élevés, qu’on est instruit. Pourquoi j’ai été tellement sensible à La Distinction de Pierre Bourdieu. Voir aussi mon Rêve de la cellule du PCF . Il m’arrive de dire ces derniers temps que je ne fais pas partie de ceux qui écrivent pour donner le change aux éditeurs, mais pour trouver un registre d’élégance (d’acceptation, de simplicité) qui me convienne.  Une conversation téléphonique, c...

De la Petite Madeleine

En psychanalyse, il y a le moment où tu racontes un rêve puis l’autre moment où, sur l’invitation du psychanalyste, tu te livres à des associations. Chaque élément du rêve donne lieu à une chaîne d’associations. Le récit du rêve peut tenir en quelques mots, les associations auxquelles il donne lieu sont potentiellement infinies. Et ces associations, tu ne les inventes pas, tu les découvres dans la mesure où elles étaient contenues dans le rêve. Si le rêve t'a frappé, t’a ému sans que tu saches d’abord pourquoi, c’est parce qu’il contenait cela aussi, et sans doute bien d’autres choses encore. Et c’est de la même manière que j'écris la plupart de mes textes auxquels j’ajoute le libellé d’ Apparitions , en particulier celui intitulé Affaire de style , écrit la nuit dernière.   J’en parlais hier avec Michel au téléphone, en déambulant entre les étaux du marché de la Libération, devant la gare du Sud, et Michel m’a fait remarquer que Proust ne dit pas autre chose dans le fameux pas...

Du non-dit

Il arrivera bien une fois qu'un journaliste nous dise que le Hamas peut hâter la fin du conflit en libérant les otages, ou pas? Le Hamas a pris en otages des Israéliens en même temps que tout le peuple gazaoui. En ne le disant pas, on ne sert pas les intérêts des Palestiniens, seulement ceux du Hamas. Il s'agit là d'une véritable manipulation de l'opinion française et internationale. Un jour les journalistes devront en répondre.

Affaire de style

C’était l’hiver dernier, un dimanche, je me promenais rue Hôtel des Postes, j’ai été dépassé par un groupe d’une dizaine de jeunes punks, en passant ils se sont retournés sur moi et un garçon a ralenti pour me dire que j’étais stylé et je l’ai remercié. Ils étaient beaux, ils me faisaient penser aux jeunes gens grimés et costumés en artistes de cirque qu’on voit au début et à la fin de Blow-Up , debout à l’arrière d’un camion puis qui s’arrêtent dans un parc pour jouer au tennis sans raquettes ni balles. J’imaginais qu’ils avaient pu passer plusieurs heures dans l’appartement des parents de l’un d’eux, un appartement bourgeois luxueux d’où les adultes s’étaient absentés, peut-être à Cimiez, et où ils avaient déjeuné de sandwichs et de Coca en même temps qu’ils s’entraidaient pour se maquiller et se vêtir debout devant des glaces, dans des couloirs, dans des chambres aux armoires ouvertes, dans un salon, dans une cuisine, circulant d’une pièce à l’autre avec un ou plusieurs postes de té...