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L'épars

J’ignore comment je peux savoir ce que je sais ou ce que je crois savoir concernant mes petits personnages. Au début, c'était quand ils m'apparaissaient au coin d’une rue, à l’improviste. Et ils m’apparaissaient séparément. Toujours dans le quartier nord, alentours de chez moi. À la vue de l’un d’eux s’ajoutait un nom personnel et une bribe d’histoire, comme en surimpression. Ou comme une bulle de texte flottant au-dessus de la tête d’un personnage de bande-dessinée. Mais il faut croire que ces bribes d’histoires continuaient de m'occuper l’esprit après que le petit personnage avait disparu. Qu’elles s’entrelaçaient et se prolongeaient l’une l’autre. Comme de faux cheveux. Qu’elles dessinaient des volutes, qu’elles m’entraient par une oreille pour me sortir par l’autre. Puis, j’ai commencé à rêver d’eux. Ces rêves étaient sans ordre, et les bribes d’histoires que chacun m’apportait l'étaient aussi. Je m’efforce à présent de faire des nœuds, de les ranger et de les coudre l'une à la suite de l’autre. Pour qu’elles fassent une histoire avec un début et une fin. C’est bien difficile. Je crains de leur faire perdre ainsi beaucoup d'éclat. En réalité, dans cette histoire, tous les moments viennent ensemble. Le passé, le présent et l’avenir n’existent pas. Ou plutôt, ils se succèdent en même temps qu’ils flottent à la dérive, sans que jamais le présent n’efface le passé, sans que jamais il l’abolisse. Chaque moment de l’histoire reviendra toujours. Cynthia, Daniel, Karim et les autres sont comme les petits personnages de bandes-dessinées qui traversent le temps sans du tout vieillir. Sans perdre leur jeune âge. Des morceaux épars d’un paradis de l’enfance qu’il s’agirait de rassembler, à ceci près qu’il ne s’agit pas d’un paradis. Tout commence à Nice-Nord mais tout bascule très vite, à l’opposé de la ville, devant les eaux glauques du port.

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