Les Répliquants de nouvelle génération sont des êtres vivants conçus à partir de la segmentation et de la recomposition en laboratoire de plusieurs codes génétiques, animaux ou humains. La plupart ont une vie très brève. Ils ne sont pas viables. Ils n'ont pas le temps de sortir du laboratoire que déjà ils s'autodétruisent. Et faut-il les en plaindre? Car ils sont tous des monstres et, parmi ces monstres, il en est d'autres, hélas,
qui se prêtent aux missions auxquelles on les destine. Les plus risquées, les plus violentes, les plus contraires à la morale.
On les appelle aussi des Doubles, mais ce terme prête à confusion, car un Répliquant n'est pas le Double d'un seul Antécédent, c'est un être composite. Les caractéristiques dont il hérite de plusieurs Antécédents s'additionnent, se combinent et se recouvrent l'une l'autre. Et puis s'effacent.
D'après ce que j'ai pu comprendre (mais les informations qu'on veut bien nous fournir sont tellement fragmentaires), un Répliquant ne garde aucun souvenir de ses Antécédents, ni des expériences qu'il a pu vivre dans la peau de ces derniers: des prétendus exploits que l'autre a accomplis, des souffrances qu'il a endurées, ni des atrocités qu'il a pu commettre. Je veux dire: aucun souvenir conscient. Mais cela n'interdit pas de penser qu'il en reste marqué, et que des réminiscence peuvent se faire jour à l'improviste, notamment dans ses rêves. Alors, le plus souvent, il les chasse. Il est fait pour les chasser. Mais quelques-unes peut-être ressurgissent malgré lui. Elles se recomposent au fil des nuits, comme des puzzles, elles les impressionnent plus profondément et s'offrent à lui comme des énigmes. Qui sait? Qui peut le dire?
Marcus se souvient-il de Daniel? C'est la question que je me pose quand je suis près de lui. Et il y en a une autre: se souvient-il aussi des actes que Rodolphe, son propre Répliquant, nuit après nuit, commet à sa place, en s'extrayant de sa forme, en s'élevant vers le ciel, en fusant au milieu des étoiles, en traversant les galaxies? En a-t-il une idée? La réponse, de nouveau, serait à chercher du côté de ses rêves, et je ne suis pas chargé de m'occuper de ses rêves. Pourtant je ne peux pas m'empêcher de me poser la question, quand je le vois si fort et fragile, si seul au monde, si perdu, si dépourvu de tout.
Marcus est une figure de l'innocence. Le soir, des gamins du quartier se rassemblent devant les hangars. Ils font jouer leurs musiques, ils se livrent à des danses acrobatiques, ils chahutent, ils se bousculent, ils fument des pétards. Ils ont appris à jeter des pièces de monnaie au pied des murs. Et Marcus est parmi eux comme un des leurs. Il rit avec eux. Il prend garde à ce que les jeunes filles soient bien traitées. Il aide les plus faibles à trouver leur place. Comme une vigie attentive. Comme un grand frère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire