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Affichage des articles associés au libellé Les années d'après

Lived in Bars

Il est vrai que les rencontres de hasard, les coq-à-l’âne du destin, les effets de transparences ou de superpositions me parlent, qu’elles marquent mes souvenirs les plus anciens qui restent pour moi les plus précieux.  Je me souviens de m’être promené sur le boulevard Gambetta à la nuit tombée en reconstituant dans ma tête des strophes de La Chanson du mal-aimé , je devais avoir alors quinze ou seize ans. Je me souviens de m’être promené un jour de grand soleil près du carrefour Saint-Philippe où était mon lycée, en entendant dans ma tête la trompette de Miles Davis qui jouait Summertime . Je ne l’ai jamais si bien entendue. Si, il y a eu une autre fois, plus ancienne d’un an ou deux. C’était la nuit, j’habitais chez mes parents et ma chambre se trouvait au bout de l’appartement, tous deux étaient assis sur le canapé du salon, devant le poste de télévision, figés je les imagine à présent comme dans un double portrait de David Hockney, je suis passé dans le couloir et je me suis ar...

Père et fils

1. J’avais souvent imaginé d’aller passer une année, quelques mois au moins, de l’automne au printemps, dans une ville que je ne connaîtrais pas, où je ne connaîtrais personne, et je n’imaginais pas alors une ville touristique, je n’avais que faire des musées et des églises, des jardins ornés de jets d’eau, avec des mares où nagent des canards et des cygnes, j’en avais assez vu de pareilles, je songeais plutôt à une sous-préfecture de Bourgogne ou de la Creuse. L'idée me venait, je crois, de films que j’avais vus quand j’étais jeune. Je ne saurais pas dire lesquels précisément mais ceux de la Nouvelle Vague, où on voit des intrigues se nouer entre la modiste et peut-être un notaire; la silhouette d’une femme qui marche, à la nuit tombée, sur une place déserte, emmitouflées dans son manteau, le col relevé qui cache son visage, les talons aiguilles qui claquent sur le trottoir; des villes où un crime a peut-être été commis dont un inspecteur venu d’ailleurs devra découvrir le coupabl...

Planétarieum

1. La façade était rébarbative. Une demeure perdue dans les collines, flanquée d’une tour arrondie, avec un toit pointu, comme un donjon. On l’appelait “Le Château des Ornières". L'intérieur était plus accueillant. Un grand hall avec des tentures aux fenêtres dont les couleurs et les formes géométriques rappelaient les tapis péruviens. Un buffet y était dressé, ainsi qu’une estrade sur laquelle des musiciens allaient et venaient pour installer leurs matériels. Pourquoi Gérard avait-il choisi cet endroit pour fêter le mariage de la plus jeune de ses filles? Avant d’en venir aux questions personnelles, ou pour éviter de le faire, il nous a expliqué que le bâtiment avait été construit sur la commande d’un aristocrate bavarois qui avait fui l’Allemagne à l’arrivée des nazis. Celui-ci ne l’avait jamais habité. En revanche, on se souvenait d’un de ses descendants qui y avait fait un assez long séjour dans les années 70. Il y vivait seul avec un domestique. Il roulait à moto. Souvent...

Le flûtiste

J'étais parti trop loin. Après, il fallait revenir. Hélas, je n'étais plus tout à fait sûr de l’adresse de mon hôtel, ni même de son nom. J’avais dîné dans une taverne au plafond voûté. La lumière était insuffisante, je voyais mal ce qu’il y avait dans mon assiette. Après, j’ai voulu marcher pour digérer ce repas trop lourd, et c'est ainsi que je me suis perdu. J'ai rencontré une fête foraine. Dans toutes les villes où je me perds, je rencontre les mêmes décors. Ce sont chaque fois des villes différentes mais les décors sont toujours les mêmes. Avez-vous remarqué que, dans une ville, les tramways sont tous pareils, ce qui vous donne l’impression qu'il n'y en a qu’un, que c’est toujours le même? Quand il passe devant vous, il ne va pas très vite. Une allure de père tranquille. Les habitacles qui défilent dans la nuit n’abritent que de rares passagers qui somnolent. Et dans ce cas comment se peut-il que le même véhicule soit déjà ici en même temps que là-bas? J’ai...

La fête

Nous avons marché dans la nuit, d’abord sur la route, ensuite dans un champ, avec les lumières et les bruits de la fête devant nous. J'étais fatigué, j’avais sommeil, j'étais déjà à moitié endormi et je marchais quand même en tenant la main de maman. D’habitude, à cette heure, j'étais couché, tandis que ce soir-là, après dîner, nous étions partis tous les trois pour la fête dont les baraques avaient été installées assez loin, à la sortie du village. Et de la fête, je n’ai aucun souvenir, encore moins de notre retour. Alors, je devais dormir, il a bien fallu que Rémy me porte, mais peut-être que je dormais déjà dans les allées de la fête, malgré le bruit des manèges et des rires, couché n’importe où. Enfant, lorsque j’avais sommeil, je pouvais m’endormir n’importe où, le bruit ne me dérangeait pas. Quand nous étions invités chez des gens, maman et moi, il suffisait de me trouver un lit sur lequel étaient entassés les vêtements de tous les invités, elle me couchait là et je d...

Ernest De Luca

1. La première fois que je les ai vus, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. De toute évidence, un père et sa fille. Une femme d’âge mûr et son père dont elle prenait soin, qu’elle accompagnait dans la rue des Boers, par un beau matin d’hiver. Ils pouvaient revenir du Monoprix, tandis que je me dirigeais vers Gorbella. Mais qu’est-ce qui me faisait ainsi sourire, à peine de les voir? Si quelqu’un avait été là pour m’interroger (et je songe à la seule personne qui aurait pu le faire), j'aurais dit qu’ils me ressemblaient. Ou que nous nous ressemblions. J’étais venu m’installer dans ce quartier après la mort de ma femme, quand j’ai décidé de vendre l’appartement que nous avions occupé et où elle avait souffert, et, dès les premières semaines, comme il m’arrivait de les rencontrer, j’ai compris que nous étions voisins, qu’ils habitaient à six numéros de chez moi, et de les voir apparaître, marchant ainsi bras dessus bras dessous, me donnait chaque fois la même envie de sourire, un peu...