C'était une petite troupe de jeunes gens mais ce n'étaient pas ceux de L'Agadir. Ils n'étaient pas à Nice. Ils étaient six, trois garçons et trois filles. Les premières fois, je les apercevais de loin, dans un paysage que je ne connaissais pas. Ils se déplaçaient dans un parc immense qui bordait une ville nouvelle dont j’ai compris qu’elle se situait dans la région de Paris, et je voyais qu’ils parlaient pendant leurs promenades. Ils se dépassaient l’un l’autre, ils s'arrêtaient, se retournaient, repartaient de l’avant en se parlant toujours, ils riaient quelquefois, ils protestaient, faisaient mine de se plaindre, de se mettre en colère, de s'exclamer bien fort, mais j'étais trop loin pour entendre ce qu’ils pouvaient se dire.
Il m’arrivait de les retrouver, l’un ou l’autre, dans les rues de Paris, mais alors ils n’étaient pas ensemble, plutôt accompagnés d’autres personnes, et leurs voix étaient claires mais alors ils disaient des banalités comme on en dit quand on est en ville, le samedi, pour faire des achats dans les grands magasins, et ces séquences étaient très brèves, tandis que, les fois où ils se retrouvaient dans le parc, avec la ville nouvelle en arrière plan, les séquences se prolongeaient comme pour me laisser le temps de distinguer leurs visages, leurs vêtements, leurs allures de lutins.
J’ignorais leurs noms. Leurs promenades avaient lieu le soir, à des heures où le parc était désert, et leurs apparitions évoquaient chaque fois des saisons différentes: la lumière n'était pas la même, la végétation autour d’eux n'était pas la même, et surtout leurs vêtements témoignaient qu’on était au cœur d’un été étouffant ou au contraire en plein hiver, dans un froid qui leur faisait garder les mains enfoncées dans les poches de leurs blousons à capuche, frapper dans leurs mains et sauter sur place pour se réchauffer.
Parfois, quand c'était l’hiver, je les voyais à peine, ils n'étaient que des ombres mais ils n’en continuaient pas moins, me semblait-il, de se parler. Et ils semblaient trouver dans les paroles qu’ils échangeaient une joie, un plaisir, une énergie que je leur enviais. Que pouvaient-ils se dire?
Puis, il y a eu une séquence où ils sont entrés dans la ville. Il faisait nuit, ils marchaient tous les six dans une rue étroite bordée d’immeubles hauts de deux ou trois étages et aux façades blanches. On aurait pu penser alors à une station balnéaire mais je savais qu’on était pas très loin de Paris. Les garçons portaient des packs de bière et des cartons de pizzas. Elsa marchait en tête. Elle s'arrête devant l'entrée d’un immeuble, elle sonne au parlophone et elle dit “C’est nous, maman!”
Est-ce ce soir-là que j’ai pensé au théâtre? Les vers de Verlaine me sont venus à l’esprit, à propos des masques et bergamasques qui traversent le paysage mental d’une personne charmante à laquelle le poète s’adresse. Il y avait l'idée du spectacle mais rien encore de précis. Ils étaient tous les six dans la chambre étroite d’Elsa, assis sur son lit ou sur l’unique chaise, à même le sol où il y avait un tapis rond en sisal tressé, occupés à se partager les bières et les pizzas qu’ils découpaient avec des ciseaux dans leurs cartons, et ils écoutaient de la musique. J’ai reconnu les Talking Heads et le groupe Phoenix. Mais surtout j’entendais leurs voix et ainsi j’ai pu retenir leurs prénoms.
Plus tard dans la même soirée, je les retrouve tous les six dans le salon, cette fois en compagnie de la mère d’Elsa. Il y a un canapé sur lequel ils sont quatre à se tenir, Elsa juchée sur l'accoudoir, les autres assis par terre. Ils ont éteint les lumières et ils regardent un film sur l'écran du poste de télévision. Plus tard je me suis dit qu’il s’agissait de Retour à Séoul de Davy Chou.
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