Nina est invitée à la fête donnée pour le mariage de sa cousine Isabelle, et elle demande à Arsène de l’accompagner. C’est en automne et la fête est donnée dans une auberge située sur la plaine du Var, au bord de la route bordée de grands platanes qui file tout droit vers la montagne. Quand Nina et Arsène arrivent à l’auberge, il fait nuit, une pluie abondante et tiède inonde la route, et la fête a déjà commencé.
Ils sont venus en taxi. On aperçoit les fenêtres éclairées de l’auberge, de l’autre côté de la route. On les voit traverser la route en se tenant la main de crainte de glisser, et en baissant la tête sous la pluie qui secoue les arbres, qui s’abat sur eux par rafales. Ils arrivent trempés.
Nina a demandé à Arsène de l’accompagner à cette fête parce qu’elle craignait de s’y ennuyer. Elle a pu dire quelque chose comme: “Ma cousine est très gentille mais nous ne nous ressemblons pas beaucoup, nous n’avons pas les mêmes goûts ni les mêmes amis, je ne connaîtrai personne.” Et nous pouvons penser que c'était pour elle l’occasion aussi de présenter Arsène à sa famille, principalement à son père et son oncle Alfredo.
Quand ils arrivent, que Nina présente Arsène à ses parents et à ceux d’Isabelle, le thème est à la pluie. La météo annonce que la situation ne fera qu’empirer dans les heures qui suivent, si bien que le programme des jeunes mariés a été modifié. L’oncle dit: “Il était prévu qu’ils nous faussent compagnie pour rejoindre l’aéroport. Mais nous venons d’apprendre qu’il n’en est plus question, l'aéroport est fermé. Alors, avec ton père, nous avons réservé des chambres, ici, à l'étage. Par chance, elles étaient toutes libres, et pas question de vous laisser repartir par un temps pareil. Pour une fois que nous sommes réunis.”
La troupe compte une trentaine d'interprètes de différentes générations, parmi lesquels des enfants joliment vêtus qui courent entre les jambes. La scène correspond au salon de l’auberge. Quatre musiciens sont juchés sur une petite estrade. Les autres devant eux se déplacent en désordre.
La musique ne cesse pas, même quand les musiciens posent leurs instruments pour se mêler aux invités, mais par moments elle est à peine audible, et elle se fait de plus en plus décousue au fur et à mesure que la nuit avance. Quand les musiciens auront définitivement abandonné leurs instruments, qu'on sera passé du tango à Gustav Mahler, on comprendra qu’elle vient d’ailleurs. Qu’elle est enregistrée.
Les deux couples, les parents de Nina et ceux d’Isabelle, occupent le centre de la scène, les autres se déplacent autour d’eux en déplaçant des chaises à toute vitesse, en les faisant tomber. Côté jardin, deux hautes fenêtres dont on comprend qu’elles donnent sur la route. Côté cour, un buffet derrière lequel se tiennent deux serveurs qui ne tarderont pas à quitter leurs vestes blanches pour rejoindre les danseurs, eux aussi.
Les quatre parents, au centre, sont contents, ils sont fiers. Tour à tour, les invités qui dansent s'arrêtent devant eux pour faire leurs compliments. Puis, quelque chose se détraque. On ne sait plus où est la mariée. On la cherche. L’instant d’avant, elle dansait avec les autres, pas avec le marié mais avec d’autres garçons, puis voilà qu’elle a disparu. On ne s'inquiète pas d’abord. Elle a dû monter à l'étage pour se changer, quitter sa robe de mariée pour une autre plus simple, dans laquelle elle sera plus à l’aise pour danser. Mais comme elle ne revient pas, sa mère monte la chercher. Elle disparaît au fond de la scène, emprunte un escalier dont on suppose qu’il conduit à l'étage. Et quand un moment plus tard elle revient, seule et la mine dépitée, on comprend que l’affaire se complique.
Puis, c’est Nina qui monte chercher sa cousine, et cette fois, Isabelle redescend avec elle, le visage nu et lisse, sans aucun maquillage. Elle porte alors une robe très simple, blanche ou couleur pastel, fluide, soyeuse, à fines bretelles, pas très longue, qui ondule sur le corps, qui épouse les formes du ventre et des seins, tandis que Nina porte maintenant un pantalon large et court, serré à la taille par un grosse ceinture, de couleur sombre, peut-être un jean, et une marinière large mais courte, qui ne lui couvre pas le ventre, les pieds dans des chaussures hautes et lacées, en cuir noir, le visage au contraire très maquillé, du noir charbonneux sur les cils, du rouge sur les lèvres, et la musique redevient endiablée sur laquelle les deux cousines dansent ensemble. Mais le répit est de courte durée. Le temps d’aller se servir une coupe de champagne et la mariée a de nouveau disparu.
Qui sort sur le seuil de l’auberge pour fumer une cigarette en regardant la pluie?
Quelque chose se détraque. Plusieurs invités s’en vont, malgré l’orage, et les acteurs se taisent. Il n’y aura plus aucune parole échangée du reste de la nuit, seulement des gestes, des mouvements de tout le corps de plus en plus répétitifs et saccadés. Les lèvres cousues. Ou, au contraire, on découvre ses dents pour montrer qu’elles sont blanches, pour faire semblant de sourire. Le marié est là, au centre de la scène, il danse seul et, à le voir, on devine sa détresse. Sa honte. Puis, Arsène quitte Nina pour danser avec lui. Puis il quitte le marié pour retrouver Nina. Tous deux sont assis sur le sol, adossés au mur, sous les fenêtres. Puis ils glissent et se traînent sur le sol. Ils s’enlacent, s’enroulent, se repoussent, se rattrapent, se livrent à toutes sortes de contorsions compliquées. Ils semblent se battre puis ils s’embrassent sur la bouche, puis enfin ils se lèvent, épuisés. Ils se prennent par la main pour retourner s’asseoir au pied du mur, sous les fenêtres où on imagine que la pluie ne faiblit pas.
Il faudra que cela dure ainsi jusqu’au petit matin, avec de moins en moins d’acteurs, les musiciens partis, le sol jonché de détritus. Nina et Arsène resteront les derniers. Puis, toute la troupe reviendra sur scène pour saluer le public.
Commentaires
Enregistrer un commentaire