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Côté cour

J’ai continué d’habiter notre appartement de la rue Verdi pendant une dizaine de jours après la mort de Louise. Nos enfants étaient repartis. Je garde un souvenir très flou de cette période. Je n'ouvrais aucun tiroir, je ne touchais à rien, sauf aux médicaments dont je remplissais de grands sacs en plastique que j’allais déposer sur le trottoir, quand la vitrine de la pharmacie était éteinte et la rue déserte. Mon ombre sur les murs était celle d’un voleur.

Nous étions en octobre. Je passais mes journées à marcher dans la ville. Mes pas me dirigeaient vers les quartiers nord, que je parcourais en écoutant de la musique indienne. Je ne regardais rien, il me suffisait de ne rencontrer personne qui pût me reconnaître. Je revenais aussi tard que possible. Épuisé par la marche, je passais sous la douche et j’allais m’écraser sur notre lit commun. Je ne me souviens pas des rêves que je faisais. Je me réveillais à deux ou trois heures du matin. Je traversais l’appartement, je glissais d’une pièce à l’autre, les deux bras en avant, sans faire de lumière, comme pour vérifier que j’y étais bien seul, puis je revenais à notre chambre et je m’accoudais à la fenêtre. Elle ouvrait sur une cour où il arrivait que j’entende des voix. Il pouvait s’agir d’autres habitants du quartier dont les fenêtres éclairées étaient restées ouvertes, mais il arrivait aussi que ces voix viennent du fond de la cour. 

Derrière les fenêtres, c'étaient des couples qui avaient quitté leur lit après l’amour et qui fumaient une cigarette. Il me suffisait d’attendre pour les voir se profiler derrière une vitre. Des nus académiques sortis de l’atelier d’un peintre. Au fond de la cour, deux ombres se parlaient que je ne voyais pas. Après un été étouffant, le ciel était brouillé de gros nuages noirs, aux bords irisés par la lune, qui dessinaient des formes mouvantes et monstrueuses. Je songeais à une chouette qui aurait traversé tout le ciel de la ville, depuis la colline du Château, pour m’entretenir de l'au-delà. Elle s'était posée sur la rambarde métallique et, dressée sur ses deux pattes, les ailes repliées, elle m'entretenait de ce que je devais savoir. Il faisait encore chaud mais il pouvait pleuvoir. Ces ombres s’abritaient alors dans le renforcement d’une porte et elles continuaient de parler en regardant la pluie. Je ne comprenais pas ce qu’elles pouvaient se dire, je n'étais pas certain qu’elles le fissent en français, mais les paroles étaient calmes, patientes, et, comme la musique indienne, elles me consolaient.


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