Pendant toutes les années où j'ai eu des obligations, je me suis fait beaucoup de souci pour mes heures de sommeil. La nuit, il fallait que je dorme, et c'était avec l'idée que, si je ne dormais pas assez, le lendemain serait terrible, ce qui bien sûr m'empêchait de dormir. Ou me faisait un sommeil troublé. Il fallait espérer que les enfants ne nous réveillent pas. Je n'imagine pas que les hommes du paléolithique obstruaient l'entrée de leurs cavernes avec des rideaux pour se protéger du bruit et de la lumière, mais, quant à nous, nous fermions les volets et nous tirions les rideaux, tandis que maintenant que je vis seul et que je n'ai plus d'obligations, je laisse mes fenêtres ouvertes, et je me réveille et je me rendors sans souci. Ce qui fait que mes nuits sont ouvertes, elles aussi.
Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs cannes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas sur...
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