Quand Langlois lui parle du bref échange qu’il a eu avec Richard Janvrin, Daniel n’entend qu’une chose: Flora devra vendre sa maison. Et pas à n’importe qui — au couple Brandone, des gens riches et vulgaires, qui la harcèlent depuis le premier jour dans le but d’agrandir leur jardin. C’est à peine s’il peut dire qu’il connaît l’infirmière. Combien de fois l’a-t-il rencontrée? Et qu’a-t-elle pu lui laisser deviner des troubles dont elle souffre? De plus, il a toute raison de penser qu’elle vole les photos de Viviane, des photos qui doivent revenir à Cynthia, laquelle s’est engagée un jour à en dresser le catalogue, et à en faire des livres et des expositions.
Mais c’est comme s’il avait compris quelque chose de plus profond, rien qu’à la voir. Il ne saurait mettre des mots sur ce qu’il devine, mais Flora a acquis à ses yeux le statut trouble et prestigieux d’une sorcière chamanique. Et l’idée qu’on puisse la chasser de sa maison lui est insupportable. Il dit au commissaire: “Mais enfin, c’est sa maison!” Et Langlois lui répond:
— Je sais, mon petit. Mais nous avons interrogé des personnes qui la connaissent depuis bien plus longtemps que nous. Des femmes qui l’ont soignée, accompagnée. Toutes nous ont dit qu’il faut absolument qu’elle retourne vivre à l’Ariane, qu’elle y retrouve ses habitudes, qu’elle renoue avec son entourage, qu’elle reprenne son métier. Sinon, rien n’empêchera qu’elle devienne très vite une pauvre folle comme on en voit égarées dans les rues, et qui de leur côté semblent ne rien voir. Déjà, elle ne visite plus aucun malade. Chaque matin, elle quitte sa maison pour n’y revenir qu’à la nuit tombée. Entre temps, elle erre dans la ville. Elle va d’un jardin à l’autre. Elle s’assied sur les bancs, elle regarde les enfants qui jouent et auxquels elle fait peur, elle parle aux pigeons. Elle se nourrit à peine. Son psychiatre n'a plus de nouvelles depuis deux mois. Elle a manqué son dernier rendez-vous. Nous avons eu un peu de mal à obtenir ce renseignement mais il a fini par nous le dire. Aussi est-il probable qu’elle a interrompu son traitement. Un soir, elle ne saura plus où est sa Mobylette. Et après sa Mobylette, elle ne saura plus où est sa maison. Elle s’en ira dormir dans les halls d’immeubles. Tandis qu’à l’Ariane, vois-tu, elle a beaucoup d’amies. Elles sont prêtes à l’aider. Elles nous ont dit : “Faites en sorte qu’elle revienne!”
Langlois a demandé à Daniel de venir le chercher à son bureau de l’avenue Foch. Les jours ont commencé de raccourcir. Ils ont parlé en marchant sur le boulevard Dubouchage où le ciel s'obscurcit. Un magazine a consacré deux pages au commissaire Langlois. Il y est interrogé sur sa profession mais il a accepté aussi de répondre à des questions plus personnelles. On y apprend ainsi qu’il n’a jamais trouvé le temps de se marier ni d'avoir des enfants, et qu’il le regrette. Où habite-t-il? Écoute-t-il de la musique classique? Joue-t-il aux échecs? À l'entrée du Monoprix, Daniel comprend que celui-ci doit y acheter de quoi composer son repas. Il parierait pour des œufs, du bacon et une bouteille de vin. Ils se séparent sur une poignée de main. Langlois lui dit:
— Il faut maintenant que je récupère le fusil. Et que toi, tu récupères les photos de Viviane. Nous ne devons plus attendre. Je te dirai quand nous pourrons le faire.
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