C'était un jour de grand soleil. L’air était frais. On y respirait le parfum de la neige signalée dans la montagne voisine. Nice est une ville de montagne bâtie au bord de la mer. Un parfum blanc, qui vous faisait tourner la tête, comme celui de l'éther, tandis que le ciel était pervenche.
Je n’ai plus l'habitude des rendez-vous. Je passe des semaines entières sans aucun rendez-vous. Je suis parti de chez moi beaucoup trop tôt. J’ai marché en direction de l’ouest, sur la Promenade des Anglais.
Un bulldozer avait été abandonné sur les galets. Il était posé là, un peu de guingois, comme un pachyderme métallique, dans l'attente de travaux de terrassement qu’il faudrait effectuer avant l’été. Plus loin, quatre jeunes femmes s'exerçaient au yoga, guidées par un coach qui leur montrait les figures. Leurs corps étaient longs et déliés, taillés en fuseaux. Ils dessinaient des courbes improbables qui s’étiraient, avec l’écume de la mer en arrière-plan, comme des mobiles de Calder dans les jardins de la fondation Maeght. Les promeneurs s'arrêtaient à leur hauteur et ils souriaient en hésitant à faire des photos.
Arrivé dans le quartier de Caucade, je suis allé faire un tour au cimetière. Les grands cyprès, les plaques de marbre avec, inscrits en lettres d'or, de courts messages adressés à l’au-delà. Des bouquets de fleurs en céramique. À l'entrée des allées, des arrosoirs près des arrivées d’eau, prévus pour l’arrosage des plantes et le nettoyage des tombes. Les visiteurs étaient rares. On les apercevait de loin. On voyait que certains étaient là comme chez eux. Quand ils en avaient fini avec la tombe des leurs, ils se penchaient sur celles des autres. Ils en balayaient les feuilles apportées par les derniers orages. Le silence et la transparence de l’air faisaient envie. Se peut-il qu'il existe un lieu où il ne soit plus nécessaire de se cacher, où on ne soit plus coupable de rien? Je suis resté un long moment assis sur le bord de sa tombe. Ma main caressait la pierre où est gravé son nom qui est aussi le mien, puis, quand l’heure est venue, je suis redescendu vers le lycée.
Le quartier de Caucade est situé à la limite de la ville, où ont été construits les studios de la Victorine à propos desquels on a pu croire, à leurs débuts, que Nice deviendrait “le nouvel Hollywood”. Le bâtiment scolaire se dresse à un carrefour en pente où s'entrecroisent des avenues qui dessinent de larges courbes. Elles sont dominées par d’anciennes villas et des immeubles bas, aux toits plats, dont les allées qui conduisent aux garages s’abritent derrière des bouquets de lauriers.
Le carrefour était désert. On entendait de loin le bourdonnement d’un cyclomoteur qui gravissait la pente. J’ai eu envie de faire une courte vidéo en format vertical. Il y a une poésie du format vertical qu’il n’y a pas dans l’autre.
J’ai sonné au parlophone. Quand j’ai dit mon nom, une voix m’a répondu que quelqu'un venait m’ouvrir. Le concierge corpulent et triste, qui a déverrouillé la porte, était accompagné par la proviseure, une femme grande qui portait une robe longue qui flottait sur elle. Chaussée de talons hauts, des bracelets aux poignets, le visage maquillé, éclairé par un grand sourire, elle m’a dit:
— Monsieur Auroux, heureuse de vous rencontrer! Le commissaire Langlois nous avait annoncé votre visite.
Elle m’a expliqué que celui-ci était arrivé plus tard que prévu. Son emploi du temps était toujours bousculé par les affaires urgentes. Il fallait qu’il s’adapte, on le comprenait bien.
— Il m’a demandé de vous conduire à la salle où il intervient, et de bien vouloir attendre qu’il termine. Il n’en a plus pour très longtemps.
Devant un public d’une cinquantaine d'étudiants, il décrivait les mécanismes du narcotrafic tel qu’il sévit chez nous, dans nos cités. Ainsi, j’ai eu le temps de l’observer. On m’avait parlé de sa patience, de sa rigueur, de ses exploits. Je me souviens de l’impression que m’ont faite ses yeux clairs derrière des lunettes sans montures. Une impression d’intelligence et peut-être d’extralucidité. Les étudiants le regardaient autant qu’ils l'écoutaient, ce qui les empêchait de prendre des notes. Tandis que nous parcourions les couloirs déserts, la proviseure m’avait dit:
— Vous savez, ce ne sont pas des lycéens, ce sont de jeunes étudiants qui sont passés par la filière technique et que nous préparons à présenter les concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs. Venus de milieux modestes. Volontaires, appliqués. La crème de la crème. L’avenir de la nation.
Elle était fière de son établissement. Et elle avait raison de l'être. Des escaliers et des couloirs d’une propreté parfaite. Pas un tag sur les murs, pas l'écho d’une quelconque altercation derrière les portes. Elle m’avait dit aussi:
— Le commissaire est un ami. Il nous fait le plaisir de venir, une fois par an, parler à nos étudiants. Je sais que certains restent en contact avec lui. Qu’il répond à leurs messages, qu’il leur donne des conseils.
Je me demande à présent si, en disant cela, elle n’avait pas un peu rougi.
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