Accéder au contenu principal

Articles

Le fugitif

Un soir, le téléphone a sonné. C'était Abel. J'étais resté sans nouvelles de lui depuis la faillite de l’imprimerie, mais j’ai reconnu sa voix. “Allo, monsieur Morel, c’est Abel. Vous vous souvenez de moi?” Aussitôt j’ai deviné la raison de son appel. Après un si long silence, il ne pouvait pas avoir d'autre motif. Ma voix tremblait mais je voulais penser que je me trompais peut-être. J’ai parlé comme celui qui ne veut pas savoir. J’ai dit: “Oui, bien sûr, Abel. Que devenez-vous depuis si longtemps?” Il devait être onze heures du soir. Je regardais un film. Abel avait trouvé mon numéro dans l’annuaire. Il n’a pas fait mine de répondre à ma question. Il a dit: “Je vous appelle parce qu’Arsène est chez moi, à l'hôtel. — À l'hôtel? — Oui, je suis propriétaire d’un petit hôtel, à Caucade, et Arsène est venu se réfugier chez moi. C’était il y a trois jours. Il est recherché par la police. Mais vous devez le savoir. Vous avez lu les journaux?” Si je le savais! Julius Orba...

Génèse

Mes histoires reposent sur la distinction entre impressions de lieux et intrigue. Au départ, il y a des impressions rencontrées dans des lieux. Il s’agit de lieux épars, séparés, qui me sont familiers ou qui ne le sont pas, et qui ne communiquent pas, comme s’ils étaient incompatibles. Et ces impressions peuvent me venir de l’enfance, être restées en réserve dans ma mémoire depuis de nombreuses années, ou avoir surgi tardivement, un beau jour. Elles se composent toujours de plusieurs éléments, mais elles appartiennent toujours à l’ordre de l’imaginaire, ce qui veut dire qu’elles n’ont pas de sens, qu’elles ne me disent rien, que je peux à la rigueur essayer de les décrire, de les évoquer (de les montrer), ce qui est très difficile dans la mesure où le “film de la parole” ne permet pas de faire des plans fixes, de s’attarder sur rien, à la différence du “film des images” (M. Duras, à propos d' India song , 1975, voir aussi la place donnée au temps et aux plans fixes dans le cinéma ...

Transition

Je suis tenté d’ajouter beaucoup de choses à ce récit. De parler un peu de moi. De l'été étouffant où nous sommes, du bleu du ciel vers le soir, mais aussi de la fraîcheur que je garde dans le studio que j’habite, avec le store que je déroule sur mon balcon, et les tourterelles dans les feuilles des arbres qui bruissent devant, dont je ne sais pas les noms, maintenant que j’habite dans les quartiers nord de Nice et non plus à Contes où j'étais professeur.  Là-bas aussi, à la même saison, je passais de longues soirées sur mon balcon, à observer les tours grises de la cimenterie et les terrains de sport où se retrouvaient les jeunes, Arsène et Elvire parmi les autres, à la tombée de la nuit et encore quand la nuit était venue. Je les voyais alors éclairés par de hauts lampadaires dont la clarté jaune leur faisait des visages étranges, mais de si loin pouvais-je les voir, ou fallait-il que je m’approche, suivant la route toute droite, bordée de platanes? C’était à l’heure où, dans...