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Articles

Les amants de Nice-Nord

Quand Grégoire est apparu, personne ne savait au juste d’où il venait. Il était le nouvel horloger de la rue des Roses. Dans un quartier comme le nôtre, tout se sait. La boutique était restée longtemps fermée, et la beauté du personnage en blouse grise qui se profilait à présent derrière la vitrine, ou qui venait fumer sa cigarette devant sa porte, avait attiré l’attention de plusieurs d’entre nous. Des yeux bleus dans un visage mat, des cheveux noirs coiffés en arrière, longs sur la nuque, la taille haute et souple, une fine moustache, un sourire désarmant. Puis, un soir, il s’en trouva une pour le reconnaître sur l’estrade d’un bal. Il jouait du saxophone. Elle a dit: “Mais c’est notre bel horloger!”, et les autres avec elle se sont haussées sur la pointe des pieds pour mieux l’apercevoir. Dans ces années-là, des bals étaient nombreux à se tenir, le soir, sur les places des quartiers nord, et nous n’en manquions aucun. J’étais amie avec une jeune femme que j’appellerai Solange. Son m...

Ukraine

Mon père s’appelait Marko. Il avait un frère, de deux ans son cadet, qui s’appelait Mykola. Mon père et l’oncle Mykola avaient ouvert ensemble un magasin de jeux vidéo. Le magasin était assez grand pour qu’ils y organisent des tournois, et ceux-ci attiraient beaucoup de monde. Le soir, quand il était de retour chez nous, mon père dessinait. Nous étions alors réunis dans la cuisine. Ma mère préparait le repas. Mon père et moi étions assis derrière elle, à une table sur laquelle il avait posé sa boîte de feutres et son carnet à dessin. J’étalais près de lui mes livres et mes cahiers. J’apprenais mes leçons et je faisais mes devoirs. Une ampoule électrique pendait au-dessus de nous. Mon père prétendait surveiller mes devoirs, mais je n’avais guère besoin qu’il les surveille. J'étais un élève attentif. Tout au plus m’arrivait-il de lui donner mon livre en disant: “Fais-moi réciter!” Alors, je récitais et il hochait la tête en me soufflant, ici ou là, un mot qui me manquait. Puis, il me...

Blind Willie McTell

LUI: Elle s’appelle Viviane. Elle travaille Porte de Bercy et elle habite rue Caulaincourt. Le soir, elle quitte son bureau à cinq heures et elle rentre chez elle en métro. Elle est rendue une heure plus tard. Hector est alors à la garde de Maïa, qui est allée le chercher à l’école, qui l’a ramené à la maison, qui l'aide à faire ses devoirs, à prendre son bain, qui l'autorise à regarder un ou deux dessins animés à la télévision dans l’attente du retour de sa mère. Mais avant de monter chez elle, au troisième étage où elle habite, Viviane doit faire quelques courses. Michel assure les courses hebdomadaires au supermarché. Chaque samedi matin, il remplit un caddie. Viviane les complète par des achats qu’elle fait, le soir, dans les petits commerces du quartier: des légumes, des fruits, du fromage, des yaourts. Puis, elle prépare le repas en attendant le retour de Michel. Ce moment, au pied de son immeuble, dans les rues alentour, est important pour elle, parce qu’elle mesure al...