jeudi 28 décembre 2023

Un marionnettiste

C’était à une époque où circulait, entre Nice et Paris, un train de nuit. Je faisais ce voyage souvent, en m’offrant le confort d’une couchette. Mais, cette fois, je m’y étais pris trop tard, et j’avais dû me contenter d’une place assise.
Jusqu’à Marseille, le train s’arrêtait dans toutes les gares et, dans mon compartiment, les passagers étaient nombreux à monter et descendre. Mais, après Marseille, il ne resta plus qu’une jeune femme avec moi, et le train ne devait plus s’arrêter qu’à Lyon, puis encore à Dijon, avant de filer tout droit jusqu'à Paris. Ce serait alors le petit matin et, en descendant du train, je me dépêcherais d’aller commander un café-crème et un croissant dans une brasserie qui ouvrirait à peine.
J’avais reposé mon livre sur mes genoux et je regardais la nuit derrière la vitre quand la jeune femme, qui était assise devant moi, m’adressa la parole. Elle me dit:
— Pardonnez-moi, Monsieur, mais je vois que vous aimez les histoires. Si cela ne vous ennuie pas de m’entendre, j’en sais une que j’aimerais vous raconter.
C’était une très jeune femme. Elle était mince et brune. Elle portait des jeans et une chemise d’un bleu clair, au col largement ouvert. Ses cheveux étaient courts, et son nez aquilin lui donnait l’air intelligent d’un petit mammifère. Le livre que je venais de reposer sur mes genoux était un volume de nouvelles de Jorge Luis Borges, Le Livre de sable. Je lui répondis
— Oui, bien sûr. Mais dites-moi d'abord, est-ce une histoire qui vous est arrivée?
— Non, c’est une histoire que j’ai inventée. Je suis étudiante en cinéma et je dois écrire un scénario. Mais avant d’écrire ce scénario, je dois en présenter l’argument à mon professeur. Ce que je ferai demain, à Paris. 
— Et vous voulez répéter devant moi ce que vous lui direz demain?
— Oui, c’est bien cela. J’ai déjà raconté cette histoire à beaucoup de gens, mais je ne suis jamais certaine que ce soit une bonne histoire. Qu’elle tienne vraiment debout. J’ai toujours l’impression qu’il m’en manque des morceaux. Elle se déroule sur de nombreuses années, dans différents pays, très éloignés les uns des autres, dont je sais les noms et où ils se situent mais où je ne suis jamais allée.
— Ne vous inquiétez pas! Vous aurez le temps de faire le voyage, si votre projet est accepté. Ou plus probablement encore, un autre sera chargé d'inspecter les lieux que vous aurez prévus, de noter des adresses et de faire des photos.
— Et puis, elle concerne des disciplines artistiques que je connais mal, elles aussi.
— D'autres encore combleront ces lacunes. 
— Oui, sans doute, mais il y a pire. Je ne suis pas certaine de bien comprendre les personnages, les vrais raisons de leurs choix. Car c’est l’histoire de certains choix qu’ils font et qui engagent toute leur vie. 
— Sait-on jamais, dans la vraie vie, quelles sont les vraies raisons de nos choix?
— Je le pense aussi. Mais ce qu’on accepte de la vraie vie, il n’est pas certain qu’on l’accepte des histoires qu’on invente. Dans la vraie vie, il faut bien se contenter de ne pas comprendre, pas même nos propres choix. Tandis que, dans une histoire qu’on invente, il faudrait que tout soit logique. Or, dans mon histoire, tout ne l’est pas.
Cette personne était jolie et amusante, avec l'air sérieux qu'elle prenait pour dire les choses les plus simples. Et la nuit serait longue encore. J’ai dit:
— Racontez-moi!
Alors, elle a dit:
— Alexandre Ripoll grandit en Camargue, auprès d’une grand-tante Henriette à qui ses parents l’ont confié lorsqu’il avait sept ans, et qu’ils ont dû partir pour un long voyage. Ce début, voyez-vous, m’a été inspiré par une lecture d’enfance, celle de L’Enfant et la Rivière d’Henri Bosco. Je me demande s’il est bien judicieux de commencer une histoire en reprenant celle d'un auteur aussi célèbre, mais c’est ainsi qu’elle m’est venue à l’esprit. Je ne veux pas le cacher. Dans le roman d’Henri Bosco, le petit garçon s’appelle Pascalet et ses parents voyagent beaucoup pour leur métier, mais ils reviennent toujours, tandis que ceux d’Alexandre ne reviendront pas. Et comme dans le roman d’Henri Bosco, Alexandre est heureux auprès de cette tante, triste de n’avoir pas ses parents avec lui, mais heureux tout de même. Et jamais il ne pose de questions à propos de ceux qui sont partis, il comprend qu’il ne faut pas, jusqu’à un certain jour. 
“Ce jour, ou plutôt cette nuit, intervient quand Alexandre a dix ans et qu'un spectacle de marionnettes est donné sur la place du village voisin. Le spectacle de marionnettes termine le roman de Bosco, d’une manière inattendue et presque miraculeuse. Dans mon histoire, il est l’événement par quoi commence l’aventure.
— J’ai hâte de la connaître! lui répondis-je.
— Attendez! Il faut d’abord que je vous parle du spectacle, de la façon dont il se déroule, des scènes qui le composent, des personnages qu’on y rencontre. C’est très important, et j’en ai une idée assez précise. 
— Prenez votre temps. Je serai un professeur attentif et bienveillant.
— Je vous en remercie. Alors, je commence. En se rendant au village, Henriette explique à l’enfant que son père, quand il était petit, a vu bouger et parler les marionnettes de monsieur Séraphin. Que déjà, à cette époque, celui-ci venait les montrer au village une fois par an. Et qu’à présent il est très vieux, on dit même qu’il ne voit plus guère. Par bonheur, cette année, on annonce qu’il se fait aider par un garçon qu'on ne connaît pas, qu’il a rencontré sur sa route habituelle, qui va du Piémont jusqu’à Perpignan. Et quand Henriette et l'enfant arrivent au village, les habitants sont rassemblés sur la place, assis sur des chaises, devant le castelet de bois qui a été installé sous les branches d’un tilleul. Ils attendent sagement. Puis on entend la musique d’une mandoline qu’on ne voit pas. Et enfin, le spectacle commence. 
Elle a marqué un temps, elle a réfléchi, toujours avec le même air qui me faisait sourire, les lèvres serrées qui lui dessinaient comme les moustaches d'un félin ou d'un jeune mousquetaire, puis elle a ajouté:
— J’ai compté qu’il y a, dans ce spectacle, trois moments. D’abord, la tour d’un château et un chat, debout sur ses pattes arrière, un chapeau sur la tête et un sac sur le dos, qui fait de grands signes et de grandes révérences pour qu’on l’y laisse entrer. Puis, c’est une barque qui navigue sur l’eau d’une rivière, ou d’un estuaire, ou d’une lagune, à la proue de laquelle un homme se tient debout, vêtu d’un chapeau et d'une cape noirs, le visage caché par un masque noir lui aussi, et qui chante d’une voix chevrotante une chanson du Don Giovanni de Mozart, qui dit: Dalla sua pace, la mia dipende; / Quel che a lei piace, vita mi rende; / Quel che le incresce, morte mi dà… Enfin, on assiste à un combat. Deux chevaliers, vêtus de heaumes et de cuirasses identiques, descendus du ciel sur de mêmes chevaux, mettent pied à terre et entament un duel terrible. Ils échangent de grands coups d’épées. Ils sont tellement semblables qu’on ne sait pas les distinguer, mais les coups d'épées font voler tour à tour les différentes parties de leurs harnachements, et chaque fois la surprise de ce qui apparait fait crier et rire les enfants. Car, on découvre qu’on a affaire, d’un côté à un vieillard à longue barbe blanche, épuisé, chancelant, étourdi par la violence du combat, tandis que de l’autre triomphe une jeune fille aux yeux pistache et aux longs cheveux roux.
“Henriette et Alexandre sont arrivés presque en retard et voici qu’ils repartent les premiers. Tandis que, derrière eux, les autres habitants, levés de leurs chaises, s’entretiennent déjà d’autres sujets, ils descendent les rues mal éclairées où les pieds se tordent sur les pavés. L’enfant tient la main de sa tante, il la serre et soudain, en la serrant plus fort, sans lever le menton, sans s’arrêter de marcher, il dit;
— Depuis trois ans que je suis arrivé chez toi, mon père ne t’a pas écrit, et tu es inquiète.
— C’est vrai, je te l’avoue. 
— Maintenant, je sais pourquoi ils sont partis sans moi et où ils se trouvent.
— Comment le sais-tu?
— Les marionnettes me l’ont dit. Tu sais que ma mère est croate?
— Je le sais.
— Eh bien, ils sont allés là-bas en Croatie parce que ma mère est malade. Il ne fallait pas que je le sache, mais elle voulait retourner dans son pays, dans sa famille…
— Et si ton père n’a pas écrit...
— Et si mon père n’a pas écrit, c’est que ma mère n'a pas guéri. Et qu'elle est morte à present.
“Henriette ne répond pas. Ils font encore quelques pas en silence, puis le garçon s’arrête. Il tire la main de sa tante pour qu’elle le regarde, et, cette fois, en levant les yeux vers elle, il dit:
— J’ai eu tellement peur, vois-tu, qu’ils soient fâchés. C’est pour cela que je ne disais rien. Mais maintenant, je n’ai plus peur. Je sais qu’ils se sont beaucoup aimés et qu’ils s’aimeront toujours.”

(Onzo, Liguria)

> Chap. 2 / 7
1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7

dimanche 17 décembre 2023

Le maître de piano

 

Lorsque le crime de Dolorès Ortiz a été découvert, que tout le village en a parlé, l’idée m’a traversé l’esprit que Domenico Gripari pouvait être le coupable, mais je n’en ai rien dit. D’abord parce que je n’étais alors qu’un enfant. Ensuite parce qu’il ne pouvait échapper à l’attention de personne que la victime était une élève de Gripari, qu’elle séjournait au village depuis plus de six mois pour prendre des leçons de piano avec lui. Enfin parce que Domenico Gripari était mon ami.
Altrosogno est un bourg perdu dans la montagne. Si, à cette époque, ce nom était cité quelquefois dans la presse, c’était dans presque tous les cas parce que Domenico Gripari s’y était retiré. Il avait fait une carrière de soliste. Une célébrité acquise très tôt lui avait donné l’occasion de se produire partout dans le monde, puis un jour il avait arrêté. Il avait déclaré qu’il était fatigué des voyages, des salles de concert trop grandes, de la discipline de fer à laquelle il devait s’astreindre pour accomplir, soir après soir, les plus invraisemblables prouesses.
— Je ne suis tout de même pas un singe savant, disait-il. Je ne suis pas un perroquet. Ni un artiste de foire.
Désormais, il recevrait quelques élèves chez lui, dans le nid d’aigle qu’il avait découvert et qu’il était en train d’aménager. Il avait le projet d’enregistrer ou de réenregistrer certaines œuvres, mais il le ferait dans son salon. Enfin, il n’excluait pas de se produire de nouveau en public, mais il s’agirait désormais de concerts uniques, annoncés un mois à l’avance et donnés dans des cloîtres, pourquoi pas dans des granges?
Pour ma part, j’étais Edmond, le fils unique de Bruno Calabre, un postier qui était mort en service.
Un après-midi d’hiver, celui-ci avait eu l’idée d’apporter l’argent d’un mandat à une vieille femme qui habitait seule, à l’écart du village, et dont on n’avait pas de nouvelles depuis plusieurs jours. Il était parti à pied, la neige encombrait le chemin. La vieille femme lui avait servi du café au lait et des biscuits confectionnés par elle, qu’elle conservait dans une boîte en fer. Elle lui avait raconté des histoires de filiation. Il lui fallait aller chercher très loin dans sa mémoire, où se confondaient quelquefois le père avec le fils, la fille avec la mère, ou l’inverse; et, d’après son témoignage, quand le postier était reparti, la nuit tombait déjà.
Ma mère ne l’a pas vu revenir. À cause de la neige qui ne cessait pas, elle a pensé que sans doute il dormait chez cette dame. Puis, le lendemain, à midi, quand il n’était plus concevable qu’il se fût attardé si longtemps, elle a prévenu la police. Des hommes sont montés au village avec des chiens, et ils ont entrepris des recherches. Il neigeait toujours, la nuit est tombée vite, et le corps de mon père ne devait être retrouvé qu’au dégel du printemps, plusieurs semaines plus tard.
De toute évidence, le soir de l’accident, la nuit était si noire qu’il s’était écarté du chemin, et qu’il était tombé dans un fossé où il s’était brisé la nuque.
Cette mort accidentelle devait valoir à ma mère une pension, mais nous avions vécu jusque là dans un appartement de fonction, au-dessus du bureau de poste que mon père tenait seul, et bien sûr nous avons dû le libérer. Nous aurions pu aller habiter ailleurs, dans la ville dont nous voyions les clochers se profiler au loin, dans la plaine. Ma mère avait des talents de couturière qui lui auraient permis de compléter sa pension, mais elle a choisi de rester au village, dans un petit deux-pièces qu’elle a trouvé à louer, que j’ai commencé par habiter avec elle et où elle est demeurée le reste de sa vie.
Domenico Gripari ne donnait pas de cours de piano à des enfants, seulement à des étudiants confirmés qui visaient l’entrée dans les grands conservatoires nationaux, quelquefois aussi à des solistes qui traversaient une période de doute ou qui souhaitaient élargir leur répertoire à des œuvres plus difficiles. Mais j’étais le fils d’un homme qui avait rempli au risque de sa vie sa mission de postier. Domenico Gripari eut écho de ce drame. Il fit dire à ma mère que, pour moi, il ferait une exception. Non seulement, il consentait à me donner des leçons de piano, mais celles-ci seraient gratuites.
Ma mère a accepté. C’était un grand honneur que le maestro nous faisait. Les gens en ont parlé. Je devais me montrer à la hauteur de la chance qui m’était offerte, et ainsi je me suis rendu chez Domenico Gripari pour apprendre le piano. Mais, après trois leçons seulement, il est apparu que je n'avais pas les dons nécessaires pour jouer de cet instrument . Faire travailler mes deux mains en même temps de manière asymétrique était impossible pour moi, et les leçons ont cessé. En revanche, dès ma première visite, Domenico Gripari m’avait proposé de m’enseigner les échecs, et tout de suite il a été surpris par les prédispositions que j’y montrais. Se pouvait-il que j’aie été champion d’échecs dans une vie antérieure? Ou peut-être général d’armée? Domenico Gripari m’a alors offert un échiquier portatif. C'était était un joli ouvrage d’ébénisterie, un objet de collection, sur lequel je pourrais m’entraîner, le soir, après l’école. Et il a été convenu que je reviendrais, chaque fois que j’en trouverais le temps, pour disputer des parties avec lui.

Chap. 2 / 11

1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7 / 8 / 9 / 10 / 11

mercredi 13 décembre 2023

Le meurtre de Michèle Soufflot

Le meurtre de Michèle Soufflot a bouleversé notre quartier. D’abord parce qu’il ne peut être que le fait d’un maniaque, et que ce maniaque, il y a toutes les chances pour qu’il demeure parmi nous, prêt à récidiver. S’en étant pris impunément à elle, il faudra qu’il s’en prenne à d’autres, nous ne manquons pas d’ivrognes et de fous pour lui servir de proies. Il suffit d’attendre que l’occasion se présente. Une nuit de lune vague après la pluie. Et puis, parce que Michèle Soufflot était notre fantôme le plus ancien et le plus assidu.
En toute saison, à toute heure du jour ou de la nuit, il arrivait qu’on la voie marcher seule, parler seule, tourner au coin des rues, d’un pas rapide de quelqu’un qui court à une affaire, vêtue d’une chemise de nuit sous un manteau, les deux mains enfoncées dans les poches du manteau, des chaussettes et des pantoufles aux pieds, tandis qu’elle ne courait après rien ni personne de visible. Un fantôme qui court après d’autres fantômes, voilà ce qu’elle était. Et elle allait ainsi, presque toujours, sans vous reconnaître, sans seulement vous voir, comme si vous n’existiez pas. Mais il lui arrivait aussi de s’arrêter soudain pour vous demander une cigarette et du feu. Dans ces moments, derrière la flamme de votre allumette ou de votre briquet, ses yeux gris semblaient vous vriller l’âme. Et elle vous tutoyait. Vous aviez la surprise de l’entendre vous tutoyer et même vous croyiez l'entendre prononcer votre nom. Aviez-vous donc rêvé? Comment pouvait-elle le savoir? Votre prénom lui sortait de la bouche comme, dans les contes de notre enfance, des serpents sortaient de la bouche des sorcières.
Pour les habitants du quartier, Michèle Soufflot était une figure familière. Ses apparitions étaient intermittentes, pour autant on était habitué à la voir. Il lui arrivait d’entrer dans une boulangerie, en haut de l’avenue Borriglione, pour demander une brioche au sucre, et dans ce cas il y avait toujours, dans la file d’attente, une cliente qui faisait signe à la vendeuse qu’elle paierait pour elle, et la vendeuse, pour n’être pas de reste, ajoutait à la brioche une petite bouteille d’eau minérale. Elle disait “Michèle, il faut vous hydrater”, et Michèle hochait la tête en guise de remerciement et elle s’en allait.
Quand, après quelques hésitations, elle choisissait de s’asseoir sur un banc du jardin Thiole, sous les pergolas croulantes de fleurs, les mères n’écartaient pas d’elle les enfants, encore qu’elle portât sur leurs jeux un regard d’une fixité effrayante, et les enfants eux-mêmes ne semblaient pas s’en soucier. D’ailleurs, elle se levait et repartait bien vite, du même pas saccadé, comme si quelque chose ou quelqu’un l’avait fâchée. Et cette contrariété qu'on lui avait faite était-elle récente ou remontait-elle à la nuit des temps? Elle-même ne devait pas le savoir.
Un soir d’hiver qu’il pleuvait, elle s’était blottie dans le renfoncement d’une porte, et j’ai vu un homme bien mis, en grand manteau, un chapeau mou sur la tête, s’approcher d’elle avec un parapluie, et Michèle, grelottant de froid, s’est aussitôt glissée sous le parapluie, comme si elle n’avait jamais douté qu’un prince viendrait la délivrer de la prison où la pluie l’avait mise, et comme si le grand parapluie noir de ce monsieur eût été un carrosse.
Pour moi, il m’a fallu deux ou trois ans après que je suis venu m’installer ici, au moment de ma retraite, pour que je commence à me dire que ce regard, et parfois même cette silhouette, me rappelaient quelqu’un. C’était une impression très vague et très fugace. Je l’oubliais pendant de longues périodes, et elle me revenait à l’improviste, certaines fois où je l’apercevais de loin. Jusqu’au jour où il est arrivé qu’elle sorte du tabac où elle avait acheté son paquet de cigarettes, elle le tenait encore à la main, quand sur son passage un monsieur de son âge (du mien) a fredonné les premières paroles de la chanson des Beatles. D’une voix très douce, du bout des lèvres, il a dit: “Michèle, ma belle / These are words that go together well”. D’habitude, Michèle n’entend rien, ne voit rien, mais cette fois elle s’est retournée vers lui et un faible sourire, un instant, a éclairé son visage, et ce sourire, un instant, lui a rendu sa jeunesse. Et peut-être est-ce alors que l’ai reconnue.


> Chap. 2 / 7

1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7