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Articles

De la Petite Madeleine

En psychanalyse, il y a le moment où tu racontes un rêve puis l’autre moment où, sur l’invitation du psychanalyste, tu te livres à des associations. Chaque élément du rêve donne lieu à une chaîne d’associations. Le récit du rêve peut tenir en quelques mots, les associations auxquelles il donne lieu sont potentiellement infinies. Et ces associations, tu ne les inventes pas, tu les découvres dans la mesure où elles étaient contenues dans le rêve. Si le rêve t'a frappé, t’a ému sans que tu saches d’abord pourquoi, c’est parce qu’il contenait cela aussi, et sans doute bien d’autres choses encore. Et c’est de la même manière que j'écris la plupart de mes textes auxquels j’ajoute le libellé d’ Apparitions , en particulier celui intitulé Affaire de style , écrit la nuit dernière.   J’en parlais hier avec Michel au téléphone, en déambulant entre les étaux du marché de la Libération, devant la gare du Sud, et Michel m’a fait remarquer que Proust ne dit pas autre chose dans le fameux pas...

Affaire de style

C’était l’hiver dernier, un dimanche, je me promenais rue Hôtel des Postes, j’ai été dépassé par un groupe d’une dizaine de jeunes punks, en passant ils se sont retournés sur moi et un garçon a ralenti pour me dire que j’étais "stylé" et je l’ai remercié. Ils étaient beaux, ils me faisaient penser aux jeunes gens grimés et costumés en artistes de cirque qu’on voit au début et à la fin de Blow-Up , debout à l’arrière d’un camion puis qui s’arrêtent dans un parc pour jouer au tennis sans raquettes ni balles. J’imaginais qu’ils avaient pu passer plusieurs heures dans l’appartement des parents de l’un d’eux, un appartement bourgeois luxueux d’où les adultes s’étaient absentés, peut-être à Cimiez, et où ils avaient déjeuné de sandwichs et de Coca en même temps qu’ils s’entraidaient pour se maquiller et se vêtir debout devant des glaces, dans des couloirs, dans des chambres aux armoires ouvertes, circulant d’une pièce à l’autre avec un ou plusieurs postes de télévision allumés, et ...

L'Algérois

1. Notre premier poste de télévision est installé à la cuisine. Nous habitons au 104 du boulevard Gambetta, un appartement étroit, avec le cabinet sur le balcon. Une partie de la famille nous a rejoints. C’est Marguerite, sœur aînée de mon père, accompagnée de Jean, son mari, natif des Pyrénées orientales, et de leurs trois enfants. Nous les invitons à venir regarder la télévision dans notre cuisine. Nous éteignons la lumière pour mieux nous croire au cinéma. Ma mère fait griller des marrons que nous nous passons de la main à la main, dans l’obscurité, en nous brûlant les doigts. Je me souviens que nous regardons Cinq colonnes à la une . Un titre prestigieux et énigmatique. De quelles "colonnes" et de quelle "une" peut-il bien s’agir? Je ne pose pas la question. Mais j’entends encore la musique qui accompagnait le générique, avec ses lourds coups de timbales, et la voix grave qui annonçait: "PIERRE LAZAREFF, PIERRE DESGRAUPES, PIERRE DUMAYET ET IGOR BARRÈRE VOU...

Quand le soldat était enfant

Quand le soldat était enfant, il jouait dans la cour de son immeuble. C’était un grand immeuble situé sur un boulevard très bruyant, qui s'ouvrait à l'arrière sur une colline au sommet de laquelle étaient un lycée et, près du lycée, une piscine à ciel ouvert. Et il savait que, quand il serait plus grand, il irait s’asseoir sur les bancs du lycée qu’il voyait au sommet de la colline, qui ressemblait à un château, tandis qu’il restait des journées entières à jouer dans la cour avec ses camarades. Il se souvient que l’appartement qu’il habitait avec ses parents se trouvait au sommet de l’immeuble, au cinquième étage, et que sa mère l’appelait, chaque jour, à l’heure du goûter, en se penchant à la fenêtre de la cuisine, puis de nouveau le soir. De cela, il ne peut pas douter, c’est un souvenir certain, qu’il peut ranimer dans sa mémoire aussi souvent qu’il veut, ce qu’il fait surtout la nuit, au milieu des nuits, quand les rideaux blancs flottent aux fenêtres, que les autres blessé...

Cognitio Dei experimentalis

(i) L’idée qu’une créature puisse être sans témoin paraît inconcevable — non seulement quand il s'agit d'un être humain, ou de tout être vivant, mais aussi bien pour ce qui est d'une flaque de pluie dont le vent ride la surface, ou pour une pièce de métal abandonnée au bord d’une route de montagne, en plein midi. (ii) Telle créature singulière dont le hasard fait que je sois le témoin, creuse en perspective l’intuition de toutes celles qui restent ignorées de nous. (iii) Chaque créature, du moment qu’elle existe, revêt nécessairement une forme dont la précision du détail des lignes sculpte l'écriture du nom imprononçable par tout autre que Lui. (iv) Pour Dieu seul, il n’est de créature qui ne soit singulière. Lui ne connaît pas les arbres de la forêt mais chaque arbre en particulier, et de même pour les oiseaux du ciel, et de même à jamais pour nous. Et chacune possède un nom imprononçable par tout autre que Lui, dont l’écriture se lit en silence dans l’absolue précisi...

Énigmajoue

Roi et Princesse projetés par la lampe sautillent en silence, fâchés peut-être, d'un mur à l’autre de la chambre où le lit dessine un château. Énigmajoue debout, curieuse comme à la vue d’un carrosse courant sur le pont de la rivière où, Vois, un jeune homme se noie,  ou d’un tournoi, puis tout soudain absente. Elle a quitté ses murs et son peuple est inquiet. C’est qu’Énigmajoue dort au fond de la cour où grince la poulie d’un puits, comme une géante. _______________ Le Château _______________

En marchant

Dans une interview qu’il donne à Télérama, Salman Rushdie cite le roman de Joseph Conrad, Le Nègre du Narcisse , où il est question d’un marin atteint de tuberculose que tout le monde évite, et auquel un autre marin demande: “Pourquoi es-tu monté sur le bateau, alors que tu te savais malade?”, à quoi le premier répond: “Il faut bien que je vive jusqu'à ma mort, non?” Je l’ai lu dans le tramway, en traversant la ville pour prendre mon premier café à la Brasserie Gaglio, place Saint-Francois. Nous sommes le samedi 20 avril 2024, il est huit heures et demie, le ciel est d’un bleu parfait, avec un petit air frais qui invite à la marche. Maintenant que j’ai bu mon café, je vais continuer à pied jusqu'au port. Arrivé au port, je me suis senti assez de force pour entamer la côte du boulevard Carnot en direction de Villefranche. Habiter le monde est une activité, peut-être la plus importante qui nous soit dévolue. Qui consiste à tirer le meilleur parti du milieu naturel et construit, e...