Accéder au contenu principal

Hélène

Nous sommes en Bourgogne. Le Prince est assis dans l'herbe d'un pré en pente derrière son château. C'est l'heure de la sieste. Il est vêtu d'un costume en tweed et chaussé de mocassins sur des chaussettes à carreaux. Il est élégamment étendu dans l’herbe verte, appuyé sur un coude, une jambe pliée, derrière son château dont on ne voit qu'une muraille austère, occupé à lire dans un vieil in-octavo sans doute des vers latins ou les Pensées de Marc Aurèle.

Louise et les enfants me suivent. Ils sont un peu effrayés à l'idée que j'ose ainsi déranger le prince, mais j’ai une toute petite question à lui poser et je m'avance vers lui pour lui demander si, par hasard, il aurait vu Hélène. Il me répond que non, puis jetant un coup d'œil derrière moi, il ajoute “Ce sont votre femme et vos enfants? Ils sont très charmants, dites-leur d'approcher, mais non je n’ai pas vu Hélène ni son père depuis plusieurs jours. Vous les connaissez donc?” Je lui réponds que nous les connaissions de Nice, avant qu’ils viennent s’installer ici. Le père d'Hélène était le mécène du club de rugby amateur, son oncle dirigeait le journal local. Ensemble, le dimanche, ils allaient à la pêche au thon à bord d'un petit bateau comme celui d'Hemingway dans To Have and Have Not (Port de l'angoisse).

Il me dit encore: “Vous devriez demander à Mélenchon s’il les a vus. C’est notre voisin. — Mélenchon, lui dis-je, ce sinistre personnage? — Mais non, je vous assure, c’est un monsieur très gentil. Ici, il fait son vin.”

La muraille grise du château est de celles que hantent les choucas, et ce prince assis tout seul dans l’herbe montre tellement de simplicité! “Vous reviendrez me voir?” interroge-t-il d’un ton inquiet.

J'avais une série de photos dans une enveloppe blanche. Je les étale dans l'herbe pour qu'il puisse choisir celles qui lui plaisent. Ce sont des photos que j'ai prises à la montagne où nous étions en vacances quelques jours auparavant. Il pourra les glisser dans son in-octavo comme les images saintes que nous glissions dans les missels de notre enfance. Louise et les enfants osent enfin s'approcher. Nous devenons très amis.

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Vampire

Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs cannes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas sur...

Valeur des œuvres d'art

En quoi consiste la valeur d'une œuvre d'art? Pour répondre à cette question, je propose le schéma suivant qui distingue 3 points de vue différents: V1 - Valeur d'usage V2 - Valeur de témoignage V3 - Valeur de modèle V1 - Valeur d'usage . Elle tient à l'usage que l'amateur peut faire de l'œuvre dans l'ignorance, ou sans considération de la personne qui l'a produite, ni des conditions dans lesquelles elle l'a fait. Cet usage peut être hasardeux, très occasionnel, mais il peut être aussi très assidu et, dans les deux cas, provoquer de puissantes émotions. Ainsi, pour des raisons intimes, une simple chanson peut occuper une place importante dans notre vie, sans que, pour autant, nous nous soucions de savoir qui en a écrit les paroles ni composé la musique. Cette valeur d'usage est très subjective. Elle tient en partie au moins à la sensibilité du récepteur (celle qu'il montre aux thèmes, au climat, au genre illustrés par l'artiste), ains...

Projections du Grand Meaulnes

Augustin Meaulnes s’enfuit de l’école du village de Saint-Agathe en Sologne, où il est pensionnaire, au chapitre 4 de la première partie du roman. Nous sommes alors en décembre, quelques jours avant Noël. Et il y est de retour quatre jours plus tard, au chapitre 6 de la même partie. D’abord, il ne dit rien de son escapade. Puis, une nuit, vers le 15 février, il en fait le récit à son camarade François Seurel, le narrateur, qui est le fils du couple d’instituteurs. Et c’est ce récit que François nous rapporte, remplissant avec lui les 10 chapitres (8 à 17) qui suivent, et à l’issue desquels se clôt la première partie. Au début de ce récit (1.8), François prend soin de déclarer que son ami ne lui a pas raconté cette nuit-là tout ce qu’il lui était arrivé sur la route, mais qu’il y est revenu maintes fois par la suite. Et cette précaution me paraît de la plus haute importance, car elle est un indice. Elle s’ajoute pour donner une apparence de crédibilité à un récit qui par lui-même est in...