Depuis le temps que j'écris des histoires, j’ai fini par comprendre (je crois) quel est mon projet. Après quoi je cours, quel est le principe génératif qui m’anime.
Ce principe est double et contradictoire. Il concilie continuité et discontinuité.
La continuité est le principe fondamental, auquel doit obéir toute œuvre narrative, qu’elle soit littéraire ou cinématographique, et qui veut qu’un texte soit fait pour être lu du début à la fin, dans son ordre et son intégralité. Or, pour que le lecteur tourne les pages, qu’il enchaîne les chapitres, il faut qu’un chemin (ou un fil) le conduise.
Un point important: Si le texte a bien nécessairement un début et un fin, cela ne signifie pas pour autant que l’histoire soit complète. On peut même dire qu’on ne sait jamais très bien où commence ni où finit une histoire. Que, dans tous les cas, ce n’est jamais ni au début ni à la fin du récit.
Tout raconter d’une histoire est impossible. On peut consacrer huit cents pages au récit d’une seule journée à Dublin, on n’aura pas tout dit. En même temps, tout ce que contient le récit ne se rattache pas à l’histoire de la même manière. Il n’est pas un récit qui ne contienne des choses qui paraissent (ou puissent paraître) superflues. Dont on se dit qu’on aurait pu omettre de les raconter parce qu’elles ne font pas tout à fait partie de l’histoire. Ou qu’elles n’en font pas partie du tout. Or, ceci est d’autant plus remarquable que c’est bien ainsi que les choses se passent dans la vie.
Nos histoires humaines se déroulent dans le temps, comme le fait la parole qui est censée les raconter. Mais cela ne signifie pas qu’elles soient pleines et homogènes. J’ai envie de dire qu’elles ne sont pas “unanimes”, c’est-à-dire faites d’un seul souffle.
Aussitôt qu’on tente de raconter une histoire, on s'emploie à extraire de l’expérience vécue tout ce qui semble n’en faire pas partie. On sélectionne, on tamise, on choisit. Et en cela on donne à l’histoire le sens qu’on lui prête, mais on s'éloigne de la vie. À l’inverse, le but de mon travail consiste à me rapprocher autant que possible de l’expérience, de la réalité du monde et de la vie. Et, pour cela, je compose mes histoires de morceaux rapportés, de choses hétérogènes qui contrastent entre elles, sans pour autant perdre le fil.
On se souvient que Lautréamont définit le beau comme “une rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie.” Dans L’affiche rouge, Aragon fait dire à Missak Manouchian qui est sur le point de mourir, exécuté par les nazis, “Un grand soleil d'hiver éclaire la colline / Que la nature est belle et que le cœur me fend”. Contrairement à ce qu’on voit chez les poètes romantiques, ici la nature ne symbolise pas avec le drame. Veuille le Ciel que nous mourions ainsi!
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