Accéder au contenu principal

4) Une scène de crime

Donc un crime est commis à Londres. La victime est un banquier, Emilio Cassirer, dont la fortune était récente et qui était connu pour ses frasques, ses insolences à l'égard de la couronne britannique, ses amitiés douteuses, et plus récemment pour sa liaison tapageuse avec l'épouse d’un homme d’affaires libanais aussi puissant que lui.

Le corps a été retrouvé avec une balle au milieu du front, dans son bureau situé au huitième étage de l’emblématique Somerset House qui sert de siège social à la banque International Capital Group (ICG) dont il présidait le conseil d’administration.

Cassirer revenait d’un voyage à Hong Kong. D'après les premières informations fournies par le procureur général lors de sa conférence de presse, il arrive à l’aéroport d’Heathrow un peu après vingt-deux heures, et au lieu de rentrer chez lui, il demande à son chauffeur de le déposer à son bureau en précisant que celui-ci ne doit pas l’attendre. Le chauffeur, qui connaît ses habitudes, ne s’en étonne pas. D'après lui, Emilio Cassirer était un travailleur infatigable et il n'était pas rare qu’il passe une nuit dans le petit appartement qu’il avait fait aménager au même étage du siège social, plutôt que dans sa résidence de Belgravia. Il est donc reparti. L’attaque a eu lieu un peu avant minuit. Pour parvenir jusqu'à son bureau, l’assaillant a dû abattre huit vigiles armés, dont les corps ont été retrouvés, quatre dans le hall principal du rez-de-chaussée, deux sur le palier du sixième étage où l’ascenseur a été bloqué, et deux sur le palier du huitième étage où il est parvenu à pied, par l’escalier de service.

Il a été filmé, on peut même dire qu’il n’a pas évité de l'être, passant devant les caméras de vidéosurveillance sans hâter le pas, sans tourner la tête. Mais cela n'aidera guère à l'identifier, car il portait un masque. Et, outre cette hécatombe, le point le plus remarquable dans l’affaire est que, derrière corps affalé de Cassirer, on découvre un coffre-fort ouvert où s’empilent des liasses de billets de banque, quelques montres de prix et des dossiers dont on suppose que certains au moins étaient confidentiels

Est-ce à dire que le vol n'était pas le mobile de l’agression? Et si ce n'était pas pour le voler, pourquoi a-t-on assassiné Emilio Cassirer? Voilà les questions qui s’affichent en une des tabloïds dans les jours qui suivent. Elles font le tour de la planète. Bruno les entend évoquer une première fois à la radio, un matin où il est occupé à servir des céréales à ses enfants, avant de les amener à l’école et tandis que leur mère est encore sous la douche. Puis, le même jour, sur le seuil de son garage, assis sur l’aile d’une voiture, il fouille dans son téléphone pour en apprendre davantage. Il lit tout ce qui est publié sur la question, et déjà il pense à son client, au prétendu Damien Norfolk. Il se demande si ce n’est pas lui qui aurait assassiné le banquier de Londres, et cette idée ne le quittera plus pendant les quatre années qui vont suivre. Ce sera une obsession.

Précisons que Bruno n’est pas fou. Pas le moins du monde. Il ne délire pas. Dès le premier jour, il a conscience du caractère hautement improbable de son hypothèse, on dirait mieux de son “fantasme”. Et il a conscience aussi que rien de ce qu’il pourra apprendre par la suite, concernant cette affaire, ne sera de nature à confirmer son intuition, à lui fournir le moindre indice probant, pour la simple raison qu’à propos de Norfolk, il ne sait rien. À moins que peut-être, au bout de l’enquête, quand l’assassin sera arrêté et que les caméras des journalistes accourus devant le tribunal le montreront à visage découvert, l’impossible se produise. Il arrivera alors que Bruno reconnaisse de toute évidence, dans ce personnage menotté, les traits creusés, les yeux hagards, le propriétaire de l’Aston Martin rencontré une nuit dans l'avenue Cyrille Besset, dans le quartier nord de Nice, l’inconnu de son garage.

Commentaires

  1. Les trois dernières phrases s'agencent de façon étrange, discrètement baroque. J'aime beaucoup. Aussi le contraste entre le début, presque série B, et le retour au "fantasme" de Bruno.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Vampire

Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain, elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs cannes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas su...

Valeur des œuvres d'art

En quoi consiste la valeur d'une œuvre d'art? Pour répondre à cette question, je propose le schéma suivant qui distingue 3 points de vue différents: V1 - Valeur d'usage V2 - Valeur de témoignage V3 - Valeur de modèle V1 - Valeur d'usage . Elle tient à l'usage que l'amateur peut faire de l'œuvre dans l'ignorance, ou sans considération de la personne qui l'a produite, ni des conditions dans lesquelles elle l'a fait. Cet usage peut être hasardeux, très occasionnel, mais il peut être aussi très assidu et, dans les deux cas, provoquer de puissantes émotions. Ainsi, pour des raisons intimes, une simple chanson peut occuper une place importante dans notre vie, sans que, pour autant, nous nous soucions de savoir qui en a écrit les paroles ni composé la musique. Cette valeur d'usage est très subjective. Elle tient en partie au moins à la sensibilité du récepteur (celle qu'il montre aux thèmes, au climat, au genre illustrés par l'artiste), ains...

Projections du Grand Meaulnes

Augustin Meaulnes s’enfuit de l’école du village de Saint-Agathe en Sologne, où il est pensionnaire, au chapitre 4 de la première partie du roman. Nous sommes alors en décembre, quelques jours avant Noël. Et il y est de retour quatre jours plus tard, au chapitre 6 de la même partie. D’abord, il ne dit rien de son escapade. Puis, une nuit, vers le 15 février, il en fait le récit à son camarade François Seurel, le narrateur, qui est le fils du couple d’instituteurs. Et c’est ce récit que François nous rapporte, remplissant avec lui les 10 chapitres (8 à 17) qui suivent, et à l’issue desquels se clôt la première partie. Au début de ce récit (1.8), François prend soin de déclarer que son ami ne lui a pas raconté cette nuit-là tout ce qu’il lui était arrivé sur la route, mais qu’il y est revenu maintes fois par la suite. Et cette précaution me paraît de la plus haute importance, car elle est un indice. Elle s’ajoute pour donner une apparence de crédibilité à un récit qui par lui-même est in...