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2) Dialogue dans un garage

Je me suis avancé sur le seuil du garage. Le dos dans l’obscurité de la rue, la face dans la clarté jaune des lampes baladeuses. Je parle le premier, Bruno me répond.
— Qu’est-ce que tu fais ici?
— Tu vois, je travaille.
— À cette heure? Je ne savais pas que tu t’occupais de ce genre de voitures?
— J’ai commencé dans un garage de Londres quand j'étais jeune. On a dû le savoir.
— Et ça t’arrive souvent?
— C’est la deuxième fois, pour le même client. La première fois, c'était il y a cinq ans. Je ne m'attendais pas à le revoir.
— J’imagine qu’il paye bien?
— Très bien. Il me prévient par téléphone. Puis, il amène sa voiture à dix heures du soir et il revient la chercher à six heures du matin. Il insiste pour que je sois seul.
— C’est la même voiture?
— Pas la même voiture mais le même modèle.
— Tu règles le moteur?
— Je vérifie. J'écoute les bielles. Je vérifie les freins. La routine.
— Qui est ce type? Elle n’est pas un peu mystérieuse, ton affaire?
— Très mystérieuse, mais je t’ai dit, il paye bien.
— Je comprends. Tu fais ton métier. Eh bien, je te laisse travailler.
— Attends!
— …?
— Attends! C’est plus compliqué.
— Qu’est-ce qui est compliqué? Dis-moi ce qu'il en est, Bruno. Nous sommes seuls. Il transporte de la came, ton client? Des armes, un cadavre dans le coffre?
— Comme la première fois, la voiture est vide et d’une propreté parfaite.
— Alors?
— Alors, c’est quand il s’en est allé, dans les heures et les jours qui ont suivi. Je me suis fait des idées. Je passais mon temps à regarder mon téléphone. J’ai cherché toutes les informations possibles sur une affaire de crime dans laquelle je m'étais mis dans la tête qu’il était impliqué. J’ai failli devenir fou. Je sais que c’est stupide!
— Je ne sais pas si c’est stupide. J'aurais peut-être fait pareil.
— Et maintenant, c’est de nouveau une voiture neuve. Pas de risque que je trouve, sur la carrosserie, des impacts de balles, ou une odeur d’opium sur le cuir des fauteuils, des cheveux de femme, le sang d’un cadavre dans le coffre, une facture d'hôtel dans la boîte à gants!
— Et si ce n’est plus la même voiture, tu ne peux pas t’empêcher d'imaginer que la précédente est tombée du haut d’une falaise, ou qu’elle a été broyée par un train quelque part au Pakistan. Ou qu’elle a explosé au milieu d’un marché.
— Exact!
— Et tu sais son nom?
— Il me laisse une carte…
Bruno tire une carte de visite de la poche de sa chemise et il me la tend. J’y lis un nom et un numéro de téléphone. Le nom — DAMIEN NORFOLK — semble inventé.
— J’imagine qu’il te paie en liquide?
— Même pas. Une heure après son départ, je reçois sur mon téléphone un avis de virement bancaire.
— Incroyable! Il n’y avait que toi pour me raconter une histoire pareille. Ton type, c’est James Bond?
— Oui, j’y ai pensé. C’est James Bond...
— Ou c'est le Samouraï!

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