Chaque fois, au téléphone, j’avais eu affaire à Zoé, et celle-ci ne m’avait pas demandé si je comptais venir seul, ce qui me donnait à entendre qu’elle était informée de mon veuvage. Mais cette fois, au printemps, j’ai pu me décider. J’avais demandé à Zoé de me réserver l’un des petits chalets en bois blond que ses parents ont fait construire, au fil du temps, pour s’ajouter à l’accueil de la ferme, et que je connaissais pour y avoir effectué de nombreux séjours. Des maisons de poupées où nous avions nos habitudes. Où nos enfants avaient chaussé leurs premiers souliers de marche. Où, de mon côté, j’avais eu le temps de lire une bonne partie de la Divine Comédie en édition bilingue, avec la traduction de Jacqueline Risset. Et j’avais dans l'idée d’y passer deux ou trois nuits, pas plus, mais le réconfort moral que j’y ai aussitôt trouvé, et qui était pour moi tellement inattendu, m’a fait y demeurer pendant plusieurs semaines.
Un voyage en voiture, le plus souvent dans les Alpes, puis un séjour à Estenc: tel fut le programme de nos vacances d'été durant toute la période où nos enfants ont voyagé avec nous, et nos habitudes n’ont pas beaucoup changé par la suite, si ce n’est qu’à présent nous étions deux, tandis qu’auparavant nous étions quatre, comme les Beatles dont les chansons que nous répétions avec eux, parmi d’autres musiques, nous accompagnaient partout où nous allions sur les routes, le plus souvent au hasard. Et ce n’est pas que nous nous soyons abstenus de voyager ailleurs, mais les autres voyages étaient réservés à d’autres moments de l'année. À quoi je dois ajouter que le thème de la montagne était porté par Louise, qui avait séjourné à Estenc déjà lorsqu'elle était enfant, tandis que celui des voyages en voiture était de ma propre inspiration. Et ces deux thèmes se combinaient pour former ensemble une seule composition, que nous interprétions de nouveau chaque été avec d’infimes variations, et qui était comme notre chef d’œuvre, l’apanage (ou le blason) d’une famille heureuse, à ceci près qu’une famille heureuse ne dure qu'un moment, et que l’intuition de sa fin nous avait habités, Louise et moi, dès que nos enfants ont commencé à voyager sans nous, vers d’autres destinations, avant de m’obséder de manière plus sourde et douloureuse dans les dernières années qui ont précédé la maladie de Louise, et la noirceur de cette idée (ou de cette prémonition) était telle alors, et tellement irrationnelle, que je n’en disais rien.
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