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Caron et Thibaut

Caron et Thibaut forment un équipage d’ambulanciers. Au fil des ans, ils fonctionnent ensemble, dans la même ville, pour la même compagnie. Personne ne se plaint d’eux, au contraire, il arrive que les malades les réclament, ou leurs familles. On loue leur bonne humeur. Ne s’accordent-ils pas pourtant, ici ou là, d’infimes privautés? Par exemple, quand ils reviennent de l'hôpital. Ils ont eu à transporter une malade à laquelle ils sont habitués, qu’ils transportent depuis des mois, mais jamais ils n’avaient eu à le faire de manière si urgente. Si tard le soir. Tandis que les autres fois, le rendez-vous était pris plusieurs jours à l’avance.

Sa chambre est devenue, au fil des mois, un antre obscur où les boîtes de médicaments s’entassent partout, jusque sur la tablette de la cheminée où des photos sont disposées dans des cadres. Et le mari de cette pauvre dame a tenu à les accompagner. D’abord, quand il les a vu arriver, il était content que ce soient eux. Il a dit:
— Ah, Caron et Thibaut, je suis content que ce soit vous.
Il avait préparé un sac de voyage. Il est monté dans l’ambulance à côté de la civière. Ils ont fait le trajet qui secoue un peu dans les virages de la colline de Cimiez où se trouve l’hôpital. Et une fois arrivés, ils ont dû attendre qu'on lui trouve un lit. Et, quand elle a été installée, ils ne sont pas repartis sans proposer au mari de le ramener chez lui. Mais il n’a pas voulu. Il a dit qu’il préférait rentrer à pied, encore qu’il faisait nuit et qu’il aurait toute la ville à traverser.

Dans l’ambulance, maintenant, il n’y a plus qu’eux, les deux compères. Et il ne leur reste plus qu’à ramener l’ambulance au garage de la compagnie. Mais quoi, rien ne presse. Alors, ils s’arrêtent dans un virage du boulevard de Cimiez, et comme il y a là un banc, ils vont s’y asseoir pour fumer une cigarette et bavarder un peu.
CARON: Mon neveu veut me vendre sa voiture. J’hésite.
THIBAUT: C’est quoi, sa voiture?
CARON: C’est pas une petite voiture. C’est un Combi Volkswagen. Pour partir en voyage.
THIBAUT: Les Combi Volkswagen, ce sont des baisodromes. On les gare sur le bord de la route qui longe la mer. Après, on descend sur la plage pour se baigner et faire griller des saucisses. Après, dans la nuit, on joue de la guitare et on chante. Ce n’est plus de notre âge.
CARON: Mon neveu me dit qu’avec le Combi, il est allé jusqu’au Pays de Galles pour assister à un match de rugby. Et qu’au milieu de la partie, il s’est mis à pleuvoir, une grosse pluie, sans que la partie s'arrête ni que personne ne quitte les tribunes.
THIBAUT: Ça, c’est plus sérieux. Faut réfléchir.
CARON: Je réfléchis.

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