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Pierre Lanteri

Pierre Lanteri apparaît accompagné par un capitaine de gendarmerie. Arrivé à l’hôtel de ville, il demande à voir monsieur le maire. On doit aller quérir celui-ci aussitôt, quitte à fermer la mairie, le temps qu’il faudra pour le trouver, et la secrétaire accourt à la scierie qui est à la sortie du village, sur la route du col, et d’où, bientôt après, l’édile redescend le cou nu, la chemise trempée de sueur, en courant presque, sous une petite pluie d’octobre qui sent le champignon et le cierge, à vous glacer les os.

Les deux hommes restent enfermés, seul à seul, un peu moins d’une heure, à la suite de quoi il est annoncé que Pierre Lanteri aura accès aux livres de comptes, aux registres d’archives, qu’il logera dans l’ancien cabinet médical, où lui sera dressé un lit et où on lui fera apporter ses repas, sauf ceux, bien sûr, qu’il souhaitera aller prendre à l’auberge.

Il demeure tout l’hiver. Le soir, dans la grande salle à manger de l’auberge, il regarde jouer aux cartes et au billard sans jamais jouer lui-même ni se mêler aux conversations. Il fume des cigares et ne boit pas de moindres quantités de vin que les autres habitués. Puis, pour regagner le cabinet médical, il doit traverser la place sur le pavé de laquelle la neige s’est couverte d’une croûte de glace. Une paire de vieux nigauds se cachent alors dans l’encoignure d’une porte pour l’épier. Ils se bourrent les côtes en pouffant de rire, convaincus qu’il finira par faire une glissade et se retrouver le cul par-dessus tête. Mais le bonhomme va sans hâte. Parfois il s’arrête au milieu de la place et, faisant mine d’ignorer la présence de ceux qui gloussent dans son dos, il pisse abondamment, la tête renversée vers le ciel.

On dit aussi qu’il se lie avec le curé. Les deux hommes auraient passé de longs après-midi ensemble sans beaucoup se parler. Pierre Lanteri s’intéressait aux fresques qui ornaient les murs d’une chapelle de la paroisse. Elles dataient du Moyen Âge et les représentations qu’elles donnaient de certaines stations du chemin de Croix paraissaient maladroites à l’excès, comme si l’artiste n’avait pas lu le texte de l’évangile, dont il confondait les personnages, intervertissant leurs rôles de manière grotesque ou peut-être provocatrice, ou comme s’il ne l’avait pas compris. Un effet de l’ivrognerie assez répandue dans la corporation des fresquistes? Ce n’était pas impossible. Mais Lanteri n’était pas convaincu par l’idée. Il penchait plutôt pour un message crypté, de caractère hérétique. Et il tâchait d’expliquer ses soupçons au prêtre. Mais celui-ci, de son côté, n’avait d’autre passion que la psychanalyse, discipline qu’il étudiait dans le texte allemand de Sigmund Freud. Et il ne répondait pas à celui qui l’interrogeait, se contentant de hocher la tête. Parfois, comme l’autre insistait, il le regardait d’un œil glauque puis repiquait le nez dans sa lecture.

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