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8 - Gaston Puech

(10 avril 2020)

LUI - Je regarde Gaston Puech avec les yeux de l'esprit.
ELLE - C’est un vieillard, couché dans un lit étroit entouré de livres.
LUI - Gaston Puech apparaît dans une chambre où, au milieu des livres, émerge un lit étroit comme une couchette de bateau. Il s'y tient allongé, le dos appuyé sur des coussins, ce qui lui permet de lire.
ELLE - Il lit et annote des livres, et il écrit dans des carnets.
LE TÉMOIN - Il est chaudement vêtu, un foulard de soie autour du cou, une veste par-dessus des tricots de flanelle, alors qu’un beau soleil inonde la pièce.
LUI - Derrière les vitres fermées de la fenêtre, on devine un jardin.
LE TÉMOIN - Gaston Puech se lève-t-il de son lit pour admirer le jardin?
LUI - Oui, parfois, les jours où il est le moins malade. Il se lève pour aller aux toilettes, il se rase, il prend une douche, il enfile du linge propre sur la maigreur absolue de son corps, et il se tient quelques instants debout devant la fenêtre. La splendeur du jardin l’éblouit et il se recouche. Il saisit un livre et un carnet parmi ceux qui sont à portée de sa main.
ELLE - Plusieurs fois par jour, il appelle la bonne, Madeleine, qui a l’habitude de ce fatras de livres. Il lui indique un titre. D'où il est, il la guide, en levant le bras, en tendant le doigt vers les étagères surchargées de toutes sortes de publications, plus haut, plus bas, et Madeleine finit par trouver. Elle lui remet le livre qu’il a demandé, non sans l’épousseter d’abord, et elle retourne à son ménage ou à la cuisine.
LUI - Madeleine lui sert d’infirmière et elle tient la maison. Sa femme, Jeanne, s’occupe du jardin.
LE TÉMOIN - Gaston Puech a été professeur de mathématiques, à Paris d’abord, au lycée Louis Legrand. Puis, dans les dernières années de sa carrière, il a voulu revenir à la campagne, habiter cette maison.
LUI - Il a fini sa carrière dans l’établissement de la ville voisine où il se rendait à bicyclette, et c’est alors qu’il a commencé à se désintéresser des mathématiques pour leur préférer le latin.
LE TÉMOIN - Il revient de Paris avec une femme très belle, beaucoup plus jeune que lui, qui a été son étudiante. Et, en retrouvant sa maison natale et le lycée où il avait été élève, il se souvient que, dans son jeune âge, il a étudié le latin et il décide de s’y remettre.
LUI - À ce moment, il est déjà malade.
ELLE - Quand il prend sa retraite, son niveau de compétence en latin est celui d'un élève de sixième. Mais cela remonte à de nombreuses années, et aujourd'hui son niveau est celui d'un solide agrégé. Il est devenu un bon connaisseur d'Ovide. Il lit, annote et commente plus particulièrement, dans les Métamorphoses, le chapitre consacré à Diane et Actéon.
LUI - Il dit, J'ai été Actéon. J'ai surpris Diane au bain, et je n'ai pas pu l'oublier.
ELLE - Jeanne entre quelquefois dans sa chambre avec des fleurs du jardin. Elle s'assied au bord de son lit et ils bavardent. Gaston Puech l'interroge à propos du jardin qu'il connaît pour y avoir couru quand il était enfant et qu'il revoit avec les yeux de l'esprit.
LUI - Il en connaît chaque recoin. Il l'interroge. Ses questions concernent les plantes, le bassin, les oiseaux, les insectes. Jeanne lui répond avec précision. Puis elle appelle Madeleine pour que celle-ci mette les fleurs dans un vase et elle disparaît.
LE TÉMOIN - Elle aime le cinéma. Elle prend la bicyclette pour aller à la ville. Elle s'y rend le matin, les jours de marché, et presque tous les soirs pour y voir des films.
ELLE - Quand elle rentre, il est tard, souvent Gaston Puech s'est endormi.
LE TÉMOIN - Le carnet et le crayon lui sont tombés des mains. 
 ELLE - Elle les cueille où ils sont et leur trouve une place. Elle éteint la veilleuse et, un sourire aux lèvres, sans bruit, elle quitte sa chambre.

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