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Alain Delon est mort (encore une fois)

LUI - Tous les cafés du port ne sont pas sur les quais.
LE TÉMOIN - Tous n’ont pas leur devanture face à la mer.
ELLE - Certains ne sont pas exposés au plein soleil qui inonde le quai.
LUI - Dans chaque port, il faut qu'il y en ait qui semblent se cacher dans les rues adjacentes, qui profitent de l'ombre.
LE TÉMOIN - Sans doute ceux-ci ne bénéficient-ils pas d'une clientèle aussi nombreuse que les autres.
ELLE - Au mieux, deux ou trois tables métalliques sorties sur le trottoir, où prendre l'apéritif.
LUI - Il est rare que les touristes aient envie de pousser la porte vitrée, étroite, avec un rideau de perles qui pend derrière et qu’il faut écarter. Pourtant on y est bien accueilli.
ELLE - À midi, on peut s’y faire servir des plats simples, préparés à la poêle.
LUI - Qui sentent l’ail, le poisson et l’anisette.
LE TÉMOIN - Les âmes sensibles des touristes sont effrayées par ces antres, et elles ont raison de l'être.
LUI - Ces lieux ont partie liée avec les lourds bâtiments de la marine nationale qui font route vers l'autre bout du monde et dont, quelquefois, des matelots désertent.
LE TÉMOIN - On les appelle des matafs.
ELLE - Quelques années plus tard, on les voit impliqués dans des affaires de crimes qui se commettent à la sortie de salles de jeu, la nuit, dans des rues de Paris ou de Marseille. Parfois plus loin encore, dans d’autres pays.
LUI - Jef est l’un d’entre eux.
LE TÉMOIN - Combien d’années a-t-il habité auprès de Louise, dans l’appartement situé au premier étage, au-dessus du café, sans se lier avec personne de celles et ceux qui fréquentaient l’établissement, qui s’intéressaient à lui, qui se portaient candidats pour s’occuper de lui, c’est-à-dire pour l’enlever à Louise, avant qu’une balle ne l’atteigne dans sa course, une nuit qu’il se trouvait transporté, on ne sait par quel prodige, dans une rue de Paris?
LUI - Les bijoux, qui avaient rempli ses poches, répandus sur le sol aussi bien que le sang qui sortait de sa bouche.
ELLE - On a prétendu que Louise était sa tante, ou sa marraine, ou les deux.
LUI - Elle a été interrogée par la police, à la suite de quoi elle a fermé boutique.
LE TÉMOIN - Les volets sont restés accrochés pendant trois mois qu’elle a passés à la montagne, dans les Pyrénées, à faire des excursions.
ELLE - Un guide lui a appris à reconnaître les cris de certains oiseaux qui se font entendre à l’aube, à l’époque des accouplements, quelques jours dans l’année.
LUI - Puis elle est revenue. Elle a décroché les volets, changé les nappes. Elle a repris la vie d’avant, les apéritifs, la cuisine, le commerce, mais seule cette fois.
LE TÉMOIN - On prétend qu’elle est riche.

Jef et Louise - À retrouver dans Évite (Nice-Nord, 4)
Voir aussi, dans le même volume, La Chèvre et le Samouraï

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