Deleuze et Guattari ont eu le mérite de s'intéresser à la nouvelle comme genre littéraire. On sait qu’ils lui consacrent le chapitre 8 de leur Mille plateaux. Je ne suis pourtant pas certain d'être d’accord avec le point d’où ils partent. Ils avancent, dès la première phrase, que la nouvelle reposerait sur la question de savoir “Qu’est-ce qui s’est passé?”, ce qui supposerait que l’essentiel consiste dans ce qui a déjà eu lieu à l'intérieur du monde de l’histoire que le récit, après coup, vient seulement relater.
Mon idée est que la nouvelle repose plutôt sur celle de savoir “Qu’est-ce qu’il va se passer?”, c’est-à-dire qu’est-ce qu’il peut donc advenir, dans l’ordre du récit, dans le présent de son déroulement textuel, pour que celui-ci s'achève. Pour que tout ce que le récit contient s'ordonne enfin de façon à peu près satisfaisante, et pour qu’on ait affaire, en effet, à quelque chose comme une histoire.
Et l’important n'est pas la façon plus ou moins spectaculaire, émouvante, sensationnelle dont l’histoire se termine, mais plutôt celle selon laquelle l’hétérogénéité du récit finit par s'ordonner pour faire quelque chose comme une histoire. Ce qui revient à se demander “De quoi, de quel disparate, de quelle multiplicité peut donc se composer une histoire?”
La prouesse que Sherlock Holmes accomplit dans chacune des nouvelles qui lui sont consacrées, le lecteur n’est pas censé y croire. En revanche, celle qu’accomplit l’auteur est bien réelle. Cela ressemble chaque fois à un tour de prestidigitation, et la qualité qu’on reconnaît à l’auteur est celle de l’astuce, de l'habileté, de la virtuosité, plutôt que le génie.
Comme “Un coup de dés jamais n’abolira le hasard”, la conclusion d’une nouvelle ne réfutera jamais non plus le caractère rhizomatique du monde et de nos existences humaines. Sa conclusion donne une consistance à l’histoire, mais aussitôt qu’on s’éloigne d’elle, celle-ci s’en va s’hybrider ailleurs, bouturer avec d’innombrables histoires racontées par d’autres auteurs, tout près de nous comme aussi bien apparus en d’autres siècles, à l’autre bout du monde.
Car les consistances sont toujours provisoires, elles sont question d'échelle. Il faut que des consistances adviennent, que des œuvres s'écrivent, se composent, que leurs auteurs les signent, pour que l’art dont elles relèvent continue de les défaire et les refaire ailleurs. “Pour qu’il y ait encore sur la terre (comme l'écrivait Robert Desnos) Des nuits après les jours Des jours après les nuits”.
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