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Articles

Retour de Saorge

Une fois passé le col, nous savions que la mer était à l'horizon, encore que dans la nuit nous ne pouvions pas la voir, et la route dessinait de larges lacets qu'il me fallait négocier avec prudence, tandis que les petits personnages dévalaient devant nous, courant et sautant dans leurs costumes bariolés, et coupant au travers. Ils semblaient nous attendre, un virage après l’autre, comme pour nous signifier qu’ils nous devançaient toujours. À notre passage, ils se précipitaient sur la voiture et collaient leurs visages sur le pare-brise pour nous faire des grimaces. Nous avions quitté Saorge à une heure tardive. Nous y étions montés pour assister à un concert de musique baroque qui avait été donné en fin d'après-midi sur le parvis du monastère. Parmi l'assistance, nous avions rencontré Mireille avec laquelle Anna avait été liée du temps de sa jeunesse militante. Mireille habitait le village, nous le savions, si bien que nous n'avions pas été surpris de la rencontrer...

L'oiseleur

Pour l'attraper, inutile de lui courir après Vas te poster plutôt en un certain endroit qui lui est familier, cache-toi sous les branches et ne respire plus qu'à peine. Attends le temps qu’il faut et ensuite, quand il passe, le geste prompt, décidé, sans le blesser pourtant, à toi le bonheur de prendre entre tes mains la tiédeur  de son cœur qui palpite rouge sous la cendre

Stardust Memories

C’est aujourd'hui mon 73e anniversaire. Je le fêterai en me rendant sur la tombe de ma femme, au cimetière de Caucade, où je souhaite la rejoindre quand mon tour sera venu. Que puis-je espérer? De vivre le plus longtemps possible, ou de connaître une mort prompte et bienveillante, qui me trouve debout, au soleil? J’ai écouté hier, sur France-Culture, une émission consacrée à l’artiste Judith Scott , que je ne connaissais pas, à la suite de quoi j'ai fait des recherches la concernant, au hasard desquelles j’ai rencontré le terme de “cocons” pour qualifier ses œuvres, et je me dis que Nice-Nord est, lui aussi, un cocon. On a souligné à juste titre que F. Kafka n’avait pas lui-même détruit les écrits dont il a prétendu que son ami Max Brod devrait les détruire après sa mort. Au contraire, il semble les avoir conservés avec beaucoup de soin. Ainsi, que ses écrits ne fussent pas essentiellement destinés aux autres n'empêchait pas qu’ils remplissent une fonction personnelle. Cell...

L’odeur du café

Parvenu sur la crête, j'ai aperçu la mer au loin, en contrebas. Ce n'était qu'un éclat de mer, une faible irisation dessinée par un rayon de lune, dans un ciel où flottaient des nuages, mais je ne doutais pas que ce fût elle. Il me suffirait désormais de descendre dans sa direction, par les chemins que je rencontrerais, encore que je ne pouvais pas prétendre l'atteindre d'une seule traite, plusieurs dizaines de kilomètres m'en séparaient encore, et pour l'heure j'étais recru d'avoir marché depuis l'aube. J'en étais à mon troisième jour de randonnée, et je savais depuis le matin que je m'étais perdu, mais je ne m'en étais pas inquiété, le ciel était serein, mes jambes étaient solides, j'avais voulu profiter de cette dernière journée de marche avec toute la force et l'insouciance dont j'étais capable, comme d'un cadeau de la vie, et puis la nuit était venue. Et, à présent, j'aurais voulu dormir, mais le ciel se couvr...

Diptyque

Dans des quartiers reculés, aux maisons basses, des hommes sont assis aux tables des cafés. Un stylo à la main, ils relèvent des informations précieuses dans des journaux spécialisés. Ils connaissent les noms des chevaux et ceux des jockeys. Ils enregistrent leurs paris et ils les payent, puis ils sortent fumer des cigarettes sur le trottoir. Ils regardent le ciel. Le plus souvent le ciel est pâle, d’un bleu layette. Dans le vide de la rue, on entend le bruit d’une scie électrique ou d’un ponceuse. Une odeur de fer. Des carrés de jardins maraichers, des serres derrière la cour des ateliers. Puis ils reviennent se planter devant un poste de télévision fixé assez haut pour qu’ils doivent lever la tête. Debout, sans rien dire, ils assistent aux arrivées qui se disputent ailleurs, à grands coups de cravaches. Quand le résultat s’affiche, ils déchirent leurs tickets. Je me souviens d'André Salgues qui interprète le rôle du garagiste dans Le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Je me souvi...

Une vie

Je ne saurais pas dire en quelles années exactement il a connu la prison, derrière quels hauts murs, ni suite à quel crime qu'il avait commis, mais il était jeune et ensuite il a habité près des gares, dans les immeubles posés de travers, comme des cartes à jouer ou des paravents, sur des carrefours où il devait attendre la fin de la nuit pour que les bruits de la circulation ne soient plus que celui d’un tramway brinquebalant et qu’il puisse dormir, et encore que les volets ne fermaient pas et que la lumière des enseignes publicitaires traversât ses rêves, cela durant une longue période, dans différentes villes européennes. — Et ensuite, qu'est-il devenu? — Ensuite, il est allé vivre sur le port d'une petite île méditerranéenne, et il ne l'a plus quittée. Il aidait au débarquement des caisses de poisson, il aidait à la vente. On a une photo de lui, assis sur une bite d'amarrage et qui sourit à l'objectif, mais alors il est vieux.

Boulevard Franck Pilatte

Ils viennent passer deux ou trois jours ici. Ils se promènent en se tenant la main. Puis, quand ils voient le grand soleil, la couleur de la mer au pied des rochers, les adolescents qui sautent en riant du haut des rochers, ils sont troublés. Et plus tard ils s'arrêtent devant les vitrines des agences immobilières, et ils hochent la tête, sans rien dire. Quand je traverse le square Théodore de Banville, deux adolescentes assises sur un banc, l'une très maquillée, m'arrêtent pour me dire que mon K-Way est très beau. (J'avais emporté Léviathan , de Paul Auster.)