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Articles

L'écriture et l'IA

1 - Une soirée avec Nora Il y a cinq ans, jour pour jour, j'étais avec Nora. Mon agenda électronique indique son nom à cette date, et je voudrais reconstituer le déroulement de cette soirée avec elle. Nora n’habitait pas à Nice, elle était venue pour me retrouver et le lendemain elle est repartie pour Zurich où elle habitait avec son mari et leurs enfants. C’est la dernière fois que je l’ai vue. Six mois plus tard, elle était morte sans que je l'aie revue. Raison pour laquelle ce rendez-vous est important pour moi, raison pour laquelle je voudrais en reconstituer tous les détails. Sommes-nous allés au cinéma? En sortant du cinéma, avons-nous dîné dans un restaurant et lequel? En revenant chez moi, ai-je songé à l’embrasser sous l’unique réverbère de ma rue? Impossible de m'en souvenir. Après tant d’années, c'était notre dernière fois, et voilà que le souvenir m'échappe, que je l’ai perdu alors que j’aurais tellement voulu l’emporter dans la tombe. Et comme elle est ...

Images (16-17)

16. Albert dit, Quand je l'ai vue tout de suite j'ai pensé à Camille . Elle était venue s'asseoir à une table devant moi, à la terrasse du Liber'Tea, et tout de suite j'ai pensé à Camille. C'était troublant, je ne pouvais pas m'empêcher de regarder son visage, ses mains, la courbe de sa nuque, pourtant impossible de se tromper. Camille avait son âge quand je l'ai rencontrée. 17. Il suffit parfois d'une figure revenue du passé. La cause du décès ne semble pas douteuse, a dit Cynthia. Armand a été retrouvé chez lui, tombé la face contre terre, mort visiblement d'une crise cardiaque. Le bruit de la chute alerte sa voisine du dessous qui monte aussitôt et découvre le corps sans autre désordre dans la pièce. Elle prévient les secours. Fallait-il s'étonner que la porte palière, derrière lui, soit restée ouverte? La douleur a dû l'étreindre dès sa sortie de l'ascenseur. Il a la force d'aller chercher ses clés d'une main enfoncée dan...

Images (15)

Albert parle de scènes auxquelles il aurait assisté, d'aventures qu'il a vécues, de voyages qu'il a faits, de lieux qu'il a visités et même qu'il aurait habités pendant d'assez longues périodes et dont il sait pourtant qu'ils n'ont aucune place dans la réalité des choses. Dans le fil des années. Dans le cours de sa vie. Et comme, dit-il, il n'est pas homme à croire aux vies antérieures, à la métempsycose, il en reste là, il n'en dit pas davantage, alors que nous sommes tous les trois debout devant le banc où Cynthia est assise, sur le boulevard de Cessole. C'est à peine cinq heures du soir et la nuit tombe déjà, elle nous enveloppe. Et pourtant, me dit-il aussi, comme nous nous éloignons tous les deux, comme nous quittons les autres, la précision du bruit de cette pluie qui tombait sur le jardin, devant la façade du monastère, qui s'écoulait par les gouttières, au plus haut des montagnes, et le tintement de cette cloche. À quoi je lui rép...

Images (14)

14. Il pourrait aujourd'hui passer sous ma fenêtre, la nuit. Pourquoi les gens qui passent sous ma fenêtre, la nuit, m'émeuvent à ce point. Quand les rues du carrefour sont désertes et qu'ils sont assez loin pour que je ne voie pas leur visage. Quand pas une voiture ne passe, qu'il n'y a pas un bruit. Passant dans le cône de lumière blanche de l'unique lampadaire, parfois toute une famille. Ils sont allés rendre une visite dominicale à une grand-mère ou à une tante, et maintenant ils retournent à leur voiture. Le dimanche se termine. Une femme, un homme, deux enfants. Lequel des deux parents a dans ses mains les clés de la voiture. S'il se pouvait que ma prière du haut de ma terrasse les protège. Ce qu'ils ont encore à craindre de la vie. Si seulement je pouvais les filmer, faire de leurs silhouettes à peine colorées une petite vidéo avec mon téléphone. Mais le temps que je rentre dans mon studio pour prendre mon téléphone, le trottoir est désert. Ils so...

Images (13)

13. Quand nous sortions du lycée, il y avait devant nous les terrains de tennis. Nous entendions le bruit mat des balles qui résonnait sous le ciel bleu, un bruit très différent de celui des ballons de football, beaucoup plus chic, qui s'accordait avec les silhouettes des pins et des palmiers. Nous savions que Marceau devait se trouver là, quelque part derrière les haies de cyprès, sur la terre rouge qui crissait sous les pieds, occupé à échanger des balles avec des adversaires plus forts que lui. Il le faisait avec une adresse qui paraissait miraculeuse. Marceau avait quelques années de plus que nous mais il était demeuré un enfant, ou un adolescent en dépit de sa taille et de son âge, raison pour laquelle il se plaisait en notre compagnie. Les autres étaient des gens importants qui ne faisaient pas grand cas de lui, qui ne lui parlaient pas, qui évitaient de croiser son regard, qui nous paraissaient grossiers de l'endroit où nous étions pour les voir, en haut des escaliers pa...

Images (12)

12. Il se retire dans une campagne qu'il avait choisie depuis longtemps, dont il s'était dit depuis longtemps qu'il finirait ses jours là-bas, encore qu'il la connaissait mal, il n'avait pas eu besoin de beaucoup la connaître. Quand l'occasion s'en est présentée, il y a acheté une petite maison, il l'a faite arranger, et puis un jour il s'y installe. Un bout de jardin, des chemins creux. Des chemins bordés d'arbres taillés en trognes où il pleut quand il ne neige pas. À l'écart du village. Ayant tout laissé à Paris, juste quelques livres qu'il a emportés. Prétendant se passer de toute compagnie. Il marche jusqu'au village chaque matin, il y revoit l'église, des platanes dénudés dans la cour de l'école, il y fait ses achats dans deux ou trois commerces qui sont dans la même rue puis il regagne sa maison. Il ne regrette pas sa décision. Il va même jusqu'à vendre son appartement parisien. On ne sait pas trop à quoi il occupe...

Images (5-11)

5. Au réveil je vois qu'il a plu. Je me vêts à la va-vite et je sors avant qu'il fasse jour. Je garde, quand c'est tôt le matin, le souvenir des endroits où je suis allé dans la nuit, pendant mon sommeil. Tant qu'il fait jour, je reste dans la ville. Parfois, quand je suis allé trop loin en direction du cimetière, de nouveau il fait nuit, je reviens en tramway. 6. Longtemps j'ai été inquiet de ne pas dormir la nuit quand je ne dormais pas, à cause du lendemain où je devais retrouver mes élèves, quand j'étais instituteur. Maintenant je ne m'inquiète plus du tout. Je passe une bonne partie de mes nuits à faire autre chose que dormir. J'accumule tout ce qu'il faut sur mon lit et autour pour lire et écouter de la musique, pour écrire sur mon téléphone, et ensuite, quand je dors de nouveau, c'est pour marcher jusqu'aux confins de la ville, dans la campagne parfois où il y a des jardins potagers et d'autre fois jusqu'à la mer, où il y a des...