Le curé de Tende s’était arrangé pour qu’Edward reparte avec un journal dont un titre au moins méritait de retenir son attention. C’était celui d’une enquête concernant le pillage d’œuvres d’art qui s’opérait à grande échelle dans les églises italiennes. L’article expliquait que les cambrioleurs agissaient sur commande de receleurs internationaux. La semaine suivante, Edward passa toute une journée à Nice, à effectuer des recherches à la bibliothèque municipale du boulevard Dubouchage.
Il consulta les Lettres de Nice sur Nice et ses environs (1763-1765), de Tobias Smollett, le Journal d’un voyage fait en 1775 et 1776 dans les pays méridionaux, par Johann Georg Sultzer, divers numéros des revues Nice Historique et Lou Sourgentin; et le soir, il en revint content.
Nous l’attendions à la maison. À table, il nous expliqua où il en était de son enquête, et il ajouta que maintenant il ne restait plus qu’à demander au maire de bien vouloir nous ouvrir l’église.
— Nous devons chercher quelque chose qui y manque, je veux dire quelque chose qui a été là-bas et qui ne s’y trouve plus.
Il aimait à parler ainsi, de cette manière énigmatique, qui avait l’avantage d’exercer notre esprit, à nous qui étions ses élèves et ses amis. Avec Edward Zambetti, vous aviez toujours l’impression de faire de la gymnastique, qu’elle fût physique ou intellectuelle. Il n’aimait pas le mot de compétition, mais il créait autour de lui un climat d’émulation constante et joyeuse, à laquelle je dois d’avoir trouvé la force de surmonter mon léger handicap de naissance (une luxation congénitale de la hanche) et d'être devenu, à force de travail, le pilote d’essai puis l’astronaute que je suis devenu. Mais, bien sûr, pour me rendre sensible à cette influence, pour me rendre capable de relever le défi, il fallait que je profite d’abord de l'immense amour que ma mère m’a donné.
Edward Zambetti aimait parler avec elle, échanger avec elle. Il aimait sa compagnie. Elle était son Docteur Watson.
— Et sais-tu à quoi peut ressembler cet objet absent, celui que tu cherches?” lui a-t-elle répondu ce soir-là en allumant une cigarette. Car elle fumait à table, oui, je ne peux pas le nier. Elle fumait beaucoup trop, mais elle ne le faisait pas sans ouvrir la fenêtre et battre l’air avec la main pour chasser la fumée.
Depuis le départ du curé pour une maison de retraite en Charente-Maritime, l’église Saint Sauveur était fermée. Et comme on ne savait pas quand un nouveau curé remplacerait l’ancien, l’électricité avait été coupée.
Sylvain en avait les clés, bien sûr. Edward voulut que nous fussions de la partie, maman et moi. Il demanda en outre à Madeleine Orengo de nous accompagner. Sa connaissance du monument et des cérémonies religieuses qui s’y déroulaient pourrait nous être utile.
Nous avions emporté avec nous des torches électriques. Je me souviens de l’odeur de poussière et des faisceaux de lumière qui perçaient l’obscurité, éclairant ici et là les hauts piliers de marbre, un crucifix monumental pendu au-dessus de l’autel, un retable primitif qui représentait (je crois) une Annonciation, une statue de la vierge, une autre en bois d’un saint, le visage levé vers le ciel, qui portait un grand livre.
Edward tenait à la main une feuille de papier sur laquelle il avait noté une liste d’objets de culte dont il voulait vérifier la présence. Parmi les livres de voyage qu’il avait consultés, plusieurs évoquaient cette église et détaillaient les richesses qu’elle abritait. Il faisait le pari que l’une au moins de ces merveilles avait été volée.
Il nous fallut un peu de temps pour découvrir une chasuble ornée de pierreries, qui datait de Charles Quint. Elle gisait au fond d’une armoire qui sentait le camphre et où trottait une souris. Un encensoir en céramique y était également remisé. Il paraissait si lourd qu’on imaginait mal qu’un enfant de chœur pût le balancer à bout de bras. Le dernier objet dont il s’enquit était un ciboire, auquel les indications qu’il avait recueillies attribuaient une grande valeur. On ne le voyait nulle part.
— Bien sûr que vous ne le voyez pas!” gronda Madeleine qui ne pouvait concevoir notre ignorance. “Il est caché. Il est enfermé dans son tabernacle. Où voulez-vous qu’il soit?”
Maman dut m’expliquer alors, en quelques mots murmurés à l’oreille, que le ciboire est le vase sacré en forme de coupe, où l'on conserve les hosties qui symbolisent le corps du Christ, tandis que le tabernacle est la petite armoire qui occupe le milieu de l'autel et qui abrite le ciboire.
— Ne vous fâchez pas, Madeleine. C’est entendu. Mais ce tabernacle, où se trouve-t-il?
Elle répondit qu’il ne fallait pas le chercher sur le maître-autel (celui au-dessus duquel pendait le grand crucifix qui m’avait effrayé), mais sur celui d’une chapelle latérale vers laquelle aussitôt elle nous conduisit.
Quatre faisceaux de lumière furent braqués ensemble sur la porte de bronze de la petite armoire. Et là, surprise! Elle n’était pas fermée, à peine rabattue.
Il y eut une hésitation. Nous parvenions ici à la clé de voûte du scénario élaboré par Edward. Son intuition de fin limier se vérifierait-elle? Qu’allions-nous découvrir?
Sylvain avança une main pour l’ouvrir tout à fait. Ne croyant en rien qu’en l’idéal communiste et, plus sûrement encore, en l’excellence des pains, des croissants et des tourtons sortis de son four, il ne craignait pas de commettre un blasphème. L’intérieur était vide.
> Chap. 4
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