vendredi 8 novembre 2024

Ernest De Luca

La première fois que je les ai vus, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. De toute évidence, un père et sa fille. Une femme d’âge mûr et son père dont elle prenait soin, qu’elle accompagnait dans la rue des Boers, par un beau matin d’hiver. Ils pouvaient revenir du Monoprix, tandis que je me dirigeais vers Gorbella. Mais qu’est-ce qui me faisait ainsi sourire, à peine de les voir? Si quelqu’un avait été là pour m’interroger (et je songe à la seule personne qui aurait pu le faire), j'aurais dit qu’ils me ressemblaient. Ou que nous nous ressemblions.
J’étais venu m’installer dans ce quartier après la mort de ma femme, quand j’ai décidé de vendre l’appartement que nous avions occupé et où elle avait souffert, et, dès les premières semaines, comme il m’arrivait de les rencontrer, j’ai compris que nous étions voisins, qu’ils habitaient à six numéros de chez moi, et de les voir apparaître, marchant ainsi bras dessus bras dessous, me donnait chaque fois la même envie de sourire, un peu comme quand une vieille chanson, que vous aviez oubliée, soudain vous revient à l’esprit.
Et une bonne année est passée avant qu'un soir, comme je parlais au téléphone avec ma cousine Léonie, je lui demande: “Tu sais si Ernest est toujours vivant?” À quoi elle m'a répondu d'une voix indignée et avec le bel accent caractéristique de notre communauté: “Bien sûr qu’il est vivant. Il habite même, avec sa fille, tout près de chez toi!”
Léonie habite à Toulouse où son fils enseigne au conservatoire, mais elle sait où j’habite, elle s’est enquis de mon adresse quand je lui ai annoncé que je déménageais, et elle connaît le quartier. Elle a habité Nice pendant la plus grande partie de sa vie, et c’est seulement quand elle a pris sa retraite qu'elle a voulu se rapprocher de son fils, ce qui ne l’empêche pas de se tenir informée de l’actualité des autres membres de la famille, et de partager avec eux les informations qu’elle recueille, ces personnes de tous âges formant autour d’elle une galaxie innombrable et toujours plus lointaine, au fur et à mesure que les années s'écoulent et que les plus vieux disparaissent.
Léonie connaît notre famille beaucoup mieux que moi, parce qu’elle a habité à Alger jusqu'au mois de juin 1962, je veux dire jusqu'à ce que les derniers Européens soient chassés du territoire de l’ancienne colonie, et aussi parce qu’ensuite, elle a gardé le contact avec chacun des nôtres, tandis que je me tenais à l'écart.
J’ai dit: “Je les vois souvent, ou lui tout seul, et un jour, comme je le trouvais bien beau, toujours bien mis, je me suis demandé si ce vieux monsieur, par hasard, ce n'était pas Ernest.
— Bien sûr que c’est Ernest! m'a-t-elle répondu. Tu sais que c’est ton cousin? Tu sais qu’il porte le même nom que toi? Il faut absolument que tu lui dises, la prochaine fois que tu le vois, que tu es le fils d’Albert. Il sera tellement content!”
Qu’Ernest portait le même nom que moi, je le savais, bien sûr, ou je l’avais su, encore que j’aurais été incapable de dire en quoi consistait au juste notre lien de parenté. J’aurais dit qu’Ernest De Luca était un cousin de mon père et de mon oncle Pascal, pas un cousin au premier degré, juste un membre du même clan napolitain, issu de pêcheurs de coraux qui s’étaient exilés à Alger dans les années 1900 pour échapper à la misère. En réalité, Ernest De Luca, je ne l’avais rencontré nommément qu’une fois, et c’était à la fin de l'été 62, lorsque j’avais onze ans.
Comme beaucoup d’autres, il avait attendu le tout dernier moment pour se résoudre à quitter l’Algérie. Et mon père et mon oncle Pascal, qui avaient pris les devants depuis beau temps déjà, s'étaient mis en quatre pour accueillir ceux qui, cet été-là, arrivaient en catastrophe, “une main devant et une main derrière”, comme on disait alors. L’enjeu principal était de trouver un logement pour chacun. Et mon souvenir n’est pas assez précis pour que je puisse l’affirmer, mais il me semble qu’ils n’étaient pas pour rien dans le fait qu’Ernest et sa famille avaient pu trouver refuge dans un appartement situé à Nice-Nord, aux confins de la ville. Et c'était là qu'un jour, nous leur avions rendu visite.
Nous nous étions déplacés en délégation, en fin d’une matinée de dimanche peut-être.
Ce fut une époque où je devais découvrir que mon père entretenait des rapports étroits avec quantité de personnes que, quant à moi, je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam. Et je n'étais pas certain de me réjouir de cette découverte. Je crois que mon sentiment aurait été différent si ces gens n’avaient été que des amis. Mais non, je devais admettre qu’ils étaient de ma famille, ou plus précisément qu’ils étaient de la famille de mon père, parce que ma mère, de son côté, ne semblait pas moins surprise que moi qu’ils fussent si nombreux, et qu’ils eussent les visages qu’ils avaient, les manières qu’ils avaient, les voix qu'ils avaient, qui n’étaient pas si différentes de celles de mon père, en même temps qu’ils montraient de mon père des visages, des manières et des voix que j’aurais dites plus primitives. C'était chaque fois comme si je découvrais des dinosaures dont, dans la chaîne de l’évolution animale, mon père aurait été issu. Et c'étaient chaque fois des visages, des manières et des voix que j’aurais dites plus frustes, plus grossières, plus archaïques, dont je n’aimais pas apprendre qu’elles pouvaient être aussi les miennes.
Pour autant, ce jour-là, Ernest et les siens s’étaient montrés charmants.
Je crois que jusqu'alors je n'étais jamais monté si haut vers le nord de la ville. Après la place de L’horloge, au bas de l'avenue Jean Canavese, on tournait à droite dans une minuscule avenue du Lieutenant Émile Charpentier, qui semblait plutôt un chemin de campagne, et tout de suite au pied des collines où on cultivaient encore les œillets dans des serres qui luisaient au soleil, on se retrouvait devant La Malibran, une résidence dont les bâtiments de béton, hauts de quatre étages, semblaient être sortis de terre pendant la nuit.
Pourquoi ai-je le sentiment que les appartements n’étaient pas encore tous occupés? Peut-être parce que, tandis que nous montions des escaliers, que nous traversions des couloirs, nos voix résonnaient dans le vide.
Ernest De Luca avait deux filles. À notre arrivée, les mères et leurs filles restèrent au salon — ou dans la pièce étroite, aux murs nus, qui tiendrait lieu de salon quand ils auraient fini de la meubler —, tandis qu’Ernest nous entraîna avec lui, nous autres garçons, à cuisine. Et là se déroula une scène étonnante dont le souvenir ne devait jamais me quitter.
Ernest fit deux choses à la fois: il prépara pour nous, sur son fourneau à gaz tout neuf, des aubergines à la napolitaine, qu’il appela des mulignane, un nom que je n’avais jamais entendu jusqu’alors mais que mon oncle et mon père semblaient bien connaître et qui avait le pouvoir de les réjouir, et, debout ainsi que nous devant la poêle où les aubergines coupées en lamelles étaient en train de frire, enduites de chapelure, baignées dans une huile d'olive où il avait fait revenir d’abord quelques gousses d’ail dont le parfum aigu inondait la pièce, sans quitter la poêle des yeux et comme s’il avait été tout à fait évident et même nécessaire qu'il procédât ainsi dans cette circonstance, comme s’il n’avait fait en cela qu'obéir à un rituel propitiatoire de caractère chamanique qu’il lui revenait en ce jour d'accomplir, il avait joué sur son violon une chanson de leur pays.

À suivre...


Version complète dans Les années d'après (7.8)


vendredi 1 novembre 2024

Le balcon

Florent m’a appelé, un soir, pour me dire que son père était malade. Il sortait d’une grave opération, et Florent était en Argentine, où il habitait, tandis que son père était à Nice. Il m’a dit: “Louise vient le voir chaque semaine, mais elle habite loin, tu le sais, elle doit prendre le train. Alors, si tu peux aller le voir.”
Je me suis demandé de quand datait la dernière visite que je lui avais faite. C'était au milieu de l'été, je m'étais inquiété pour lui à cause de la chaleur, et nous étions en novembre. Ce n'était donc pas si vieux. Et je l’avais trouvé en bonne forme, il était fier d’avoir maigri. Et comme chaque fois, il m’avait fait faire le tour de son appartement pour me montrer qu’il était propre et tout le confort moderne dont il était pourvu. Le réfrigérateur, qu’il avait ouvert pour m’en montrer l’intérieur, le four à micro-ondes, la machine à café, les postes de télévision dans chacune des trois pièces, le tourne-disques qui était au salon, et les photos affichées partout. Celles de sa famille. Il m’avait dit: “Je reste ici, assis dans mon fauteuil, et je les ai tous autour de moi, et je parle à chacun, et j'écoute nos chansons. Que veux-tu de mieux? C’est Florent qui t’envoie?”
Et de nouveau il m’avait raconté deux ou trois histoires parmi celles que je lui entendais raconter depuis que j'étais enfant, des histoires que je connaissais par cœur, aussi bien que Florent et Louise, je ne sais plus lesquelles.
“Tu as toujours ta femme de ménage? ai-je voulu m’assurer.
— Bien sûr, elle vient tous les jours. Elle fait mon marché, elle fait mon ménage, elle prépare mes repas pour le midi et pour le soir. Après la visite du docteur, si le docteur a changé mon ordonnance, elle va à la pharmacie.”
Ce jour-là, il ne m’a pas parlé de mon père, comme il lui arrivait de faire quand nous étions seuls, et je ne me suis pas approché des photos où je savais qu’on le voyait, mais il m’a parlé de sa femme, ma tante Lucie, qui était morte trois ans auparavant et qui, dans les dernières années, avait fini par ne plus écouter à la télévision que des chaînes italiennes.

L’oncle Fernand avait remplacé mon père. Il avait été le double de mon père absent. Au moins une fois par an, je prenais le train de Nice pour passer un mois entier de vacances avec lui et avec sa famille. Peu après son arrivée à Paris, ma mère s'était mariée, j’avais alors trois ans, et je ne peux pas dire que Gérard Lefranc m’ait jamais maltraité, mais je ne pouvais pas douter non plus qu’il portait sur moi un regard méfiant. Et ma mère elle-même portait sur moi un regard où parfois je lisais de la méfiance en même temps que de la tristesse.
La raison de cette méfiance, je ne devais la comprendre que plus tard, le jour de mes seize ans, quand mon oncle Fernand m’a attiré dans son bureau où nous étions seuls, et où il m'a donné à lire les articles de journaux qui étaient parus au moment du procès et qu’il avait gardés à mon intention.
J’ai d’abord porté le nom de ma mère, puisque mon père n’avait pas eu le temps de me reconnaître à la mairie, puis j’ai porté le nom de mon beau-père quand celui-ci m’a adopté, si bien qu’à Paris personne ne pouvait savoir de quel père j'étais le fils, et même à Nice où je retrouvais la famille de mon père, personne ne me parlait de lui. Ou plutôt, non, personne ne me parlait du drame à la suite duquel il avait été rayé de la surface de la terre, sans que pourtant son nom ait été oublié, sans que sa figure ait été effacée des photos et des films d’amateurs que l’oncle Fernand nous donnait à visionner, les soirs d'été, sur la terrasse de sa villa de Bendejun où toute la famille était réunie. Et il n'était pas absent non plus des souvenirs que les adultes évoquaient, qu’ils se répétaient l’un à l’autre en buvant des verres d’orangeade, en mangeant des gâteaux au saindoux et à la cannelle, des souvenirs émaillés des noms de lieux, toujours les mêmes, Sidi-Ferruch, El Biar, Hussein-Dey, Birmendreis, la Pointe Pescade, le Ravin de la Femme sauvage, les Bains romains, que nous autres enfants ne connaissions pas, que quant à moi je ne connaîtrais jamais, et qui concernaient le passé de notre famille algéroise, qui en avaient été le berceau, des anecdotes amusantes dans lesquelles la figure de mon père se retrouvait au hasard, ni plus ni moins souvent que celles des autres membres de la famille, comme celle d’un personnage un peu burlesque du cinéma muet, tenant son rôle de grand frère un peu trop sérieux, un peu trop rigide, celui que leur mère appelait “l’instituteur”. Il portait des lunettes et, comme Buster Keaton, il ne souriait jamais.
C'était ainsi, dans ce rôle, qu’ils voulaient se souvenir de lui. Le reste était effacé de leurs dires mais bien sûr pas de leurs mémoires, mon oncle Fernand étant le seul autorisé, s'étant lui-même autorisé à en parler avec moi.

À suivre...


Version complète dans Les années d'après (7.7)


mercredi 30 octobre 2024

Quid des histoires?

Une histoire, c’est ce qui vaut d'être raconté.

Un auteur raconte une histoire parce que, selon lui, elle mérite d'être racontée. Et, quand il la propose au lecteur, c’est sous la forme d’une question. Il attend de savoir si celui-ci voit bien ce en quoi elle mérite d'être racontée.

Ce en quoi l’histoire vaut d'être racontée, ni l’auteur ni le lecteur ne peuvent le dire, sans quoi l’histoire ne mériterait pas d'être racontée. Car alors, il suffirait de le dire, tandis que l’histoire dit ce qu’elle dit comme elle le fait, dans son ordre et son intégralité, et pas autrement. Pour autant, auteur et lecteur peuvent se parler et faire signe, l’un comme l’autre, vers ce qu’ils comprennent de l’histoire, et s’entendre à peu près là-dessus. Les critiques s’y emploient.

Selon la définition que je propose, une histoire a donc une valeur. Et cette valeur n’est pas relative, ce n’est pas un prix. Elle est incommensurable, c’est-à-dire absolue. C’est une histoire, et elle a une valeur qui ne se calcule pas, ou ce n’est pas une histoire, et elle n’en a pas.

En ce sens, on peut dire que la question des histoires est éminemment politique. Le discours du pouvoir ne cesse de nous dire quelles sont les histoires importantes, celles qui seraient vraiment significatives, et il refuse ou invisibilise celles qui ne le seraient pas. En face de quoi, l’art de la fiction ne cesse d’en proposer d’autres, d’en faire entendre toujours de nouvelles, qui concernent, par exemple, les évènements qui se produisent dans le milieu naturel, comme fait depuis toujours la poésie, comme font remarquablement, par exemple, les haïkus, ou des évènements qui se produisent dans la vie domestique, comme a fait remarquablement aussi Chantal Ackermann dans son Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles.

Pour autant, une histoire ne perd rien à être inventée. Car sa fonction première, sa condition primordiale, n’est pas de dire la réalité des choses mais de produire du sens. Elle dit chaque fois: “Cela aussi a un sens. Lisez, voyez, écoutez!”

Ce qui se passe dans le milieu naturel ou dans la vie domestique a besoin d’une histoire pour acquérir du sens et ainsi une valeur incommensurable. À l’inverse, on peut raconter ce qui se passe seulement dans l’imagination, car cela fait partie aussi de l’expérience humaine. N’en est pas moins révélateur de ce qui fait notre vie.

Il n’est pas d’histoire qui n’enrichisse notre perception du monde et de notre propre vie. D'être inventée, l’histoire d’Ulysse n’a pas moins de sens et de valeur pour nous, elle n’en est pas moins exemplaire que la biographie de Steve Jobs.

Une histoire est toujours une. Un haïku raconte bien évidemment une histoire et une seule, tandis qu’il y a toujours dans un roman plusieurs histoires. Mais pour qu’il s'agisse d’un roman, il faut que cette pluralité d’histoires se rassemble quelque part en une seule.

Une histoire est toujours une énigme, en tant qu’on ne peut pas dire au juste quel sens elle revêt. On peut seulement la raconter. Il y a un sens de notre condition humaine qui est contenu dans Le Château de Kafka. Et on ne peut pas dire (interpréter) ce qu’il dit autrement qu’il ne fait. En quoi il est irremplaçable.

Les histoires contestent l’insignifiance de nos vies en même temps qu’elles la soulignent en montrant notamment les effets du hasard.

mardi 29 octobre 2024

Le Quatuor de Saint-Ouen

Une professeure de français veut écrire un roman. Elle appelle un ancien compagnon pour le lui raconter au téléphone, au fur et à mesure qu’elle l’invente. Il y est question d’une professeur de français qui s’attache à un quatuor de très jeunes gens qui se retrouvent à Saint-Ouen sans qu’on sache très bien ce qui les rassemble. Il y est question de Brigitte Fontaine et de Carson McCullers. On reconnaît un thème illustré par Mikhaël Hers dans Primrose Hill (2007).

3380 mots. Environ 14 minutes de lecture.


samedi 26 octobre 2024

Lincoln Heights

Un disquaire dijonnais retraité à Nice reprend contact avec un vieux camarade, sound designer, exilé à Los Angeles. Grâce à internet et à la visiophone, ils peuvent évoquer les paysages, parler de musique pop et surtout de cinéma. Mais à quoi se raccrocher quand on est si vieux? Qu’est-ce qui peut conclure l’histoire pour lui donner un sens?

2897 mots. Environ 12 mn de lecture.


dimanche 20 octobre 2024

Rien d’autre

Elle ne cesse pas de marcher. Elle a perdu sa fille. Qu'une fille perde sa mère, cela se conçoit, cela se voit chaque jour. Mais qu'une mère perde sa fille. Quand l'a-t-elle égarée et où? Elle se dit qu'elle aurait dû faire plus attention. Mais elle n'imaginait pas. D'ailleurs, est-elle bien sûre de l'avoir perdue? A-t-elle jamais eu de fille? Parfois elle en doute. Elle lui ressemblait tellement. C'était elle. En plus jeune, en plus charmante. Elle se souvient d'elle quand elle-même s'égare. Il ne lui reste qu'à marcher. Je la vois qui marche. Elle a remarqué qu'en marchant beaucoup, peu de verres de vin suffisent qu'elle boit aux comptoirs de bistrots de rencontre. La seule chose importante est de s'éloigner autant que possible du centre de la ville. Où sont les lumières des commerces et de la vie des autres. D'abord elle prend le tramway, puis, au bout de la ligne de tramway, elle descend et elle marche. Pourvu qu’elle marche, il n'est pas nécessaire de boire beaucoup. Et même, il ne faut pas. Pourvu que ce soit déjà dans les faubourgs. Non loin du cimetière. Elle n'entre pas au cimetière. À cette heure, celui-ci est fermé. Elle erre aux alentours, à la tombée de la nuit, puis encore quand la nuit est complète. Où sont des boutiques de fleuristes et d'inscriptions funéraires. Gravées sur le marbre. Avec des sculptures d'anges et de fleurs. De livres ouverts. Parfois, quand elle entre dans un bistrot et qu'elle s'avance au comptoir, il y a de la musique. Un clip sur l'écran du poste de télévision fixé au-dessus du comptoir. Alors, elle reste plus longtemps. Elle regarde et elle écoute. Sans boire plus d'un verre, parfois deux. Voilà l'histoire. Il n'y en a pas d'autre. Elle doit garder la force de reprendre un tramway pour rentrer chez elle, en fin de compte. Pour dormir et recommencer ainsi le lendemain. Rien d'autre. Le cimetière se trouve dans un faubourg où, devant, il y a la mer.

samedi 19 octobre 2024

Après l’école

Nous aurions avantage, me semble-t-il, à accorder une place beaucoup plus importante aux pratiques amateures de l'art, celles d'abord du théâtre, de la danse et de la musique. Et, par conséquent, beaucoup plus d'argent aussi. Comment ne pas souhaiter que les élèves de nos établissements scolaires quittent l'école (ou le collège, ou le lycée) tous les jours après trois heures de l'après-midi, ou même avant, pour se consacrer à des activités qui ne leur seront pas imposées mais qu'ils auront choisies? Pour faire du théâtre avec des comédiens, de la danse avec des danseurs et de la musique avec des musiciens? Ou, aussi bien, des arts visuels avec des plasticiens, et de l'écriture créative avec des auteurs.

Il me semble que Franz Kafka aurait été de mon avis, et qu'Ariane Mnouchkine le serait aussi.

On s'épuise à vouloir que les jeunes aillent au théâtre, au concert, au ballet. Et on se plaint de ce qu'ils ne montrent pas beaucoup d'enthousiasme à le faire. Mais on le fait sans vouloir considérer que ce qu'ils refusent, ce n'est pas le théâtre, ou la danse, ou la musique, c'est bien plutôt la place de spectateurs à laquelle on les assigne. Ce qu'ils refusent ou qu'ils n'acceptent plus aujourd'hui très volontiers, c'est d'être réduits au statut d'admirateurs du talent des autres.

À huit ans comme à seize, ils n'ont pas grand-chose à faire de ce que Molière, en son temps, fut un génie. De ce qu'il voulut combattre les préjugés de l'Ancien régime, comme leurs professeurs de français s'épuisent à vouloir leur faire entendre et approuver. Cela les fatigue. Ils ne sont pas disponibles pour l'entendre. Ce n'est pas leur problème. En revanche, quand on leur propose de s'engager dans l'activité collective d'un atelier de théâtre conduit par de vrais comédiens, pour peu que ceux-ci connaissent leur métier et soient désireux de transmettre ce qu’ils savent, on les voit se passionner, presque toujours. Et avec cela, en engageant leurs corps dans l’aventure, ils apprennent beaucoup. Au moins, à faire ensemble.

Le blanc et le noir

Et puis son état s’est aggravé, au point qu’il a fallu l’hospitaliser à plusieurs reprises. C’était une période critique: les hôpitaux, débo...